Intervention de André Boyer

Réunion du 8 décembre 2005 à 10h15
Loi de finances pour 2006 — Défense

Photo de André BoyerAndré Boyer :

Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, avec ce projet de loi de finances pour 2006, nous examinons, en ce qui concerne les investissements de la défense, la quatrième annuité de la loi de programmation militaire.

À mi-parcours de la programmation actuelle, il est possible de tenter un premier bilan et d'envisager la physionomie de la programmation suivante. Plus que jamais, en ces temps budgétaires difficiles, l'exercice de programmation reste indispensable pour préparer des investissements très importants - certains portent sur plusieurs milliards d'euros - dont le calendrier s'étale parfois sur près de vingt ans, pour une durée de service équivalente.

Vous l'avez rappelé, madame le ministre, l'annuité 2006 est conforme à l'enveloppe prévue, comme c'est le cas depuis trois ans. Un effort substantiel a été consenti sur tous les postes : condition des personnels, maintien en condition opérationnelle et programmes d'équipement.

Mais, après trois ans, des inquiétudes persistent. La situation d'entrée dans la programmation était, il est vrai, dégradée, tant pour l'organisation de l'entretien et son financement que pour le niveau des commandes de matériels neufs, en deçà des prévisions.

On peut constater que la disponibilité des matériels en service ne s'est pas totalement redressée en dépit de l'investissement massif réalisé. Le maintien en condition opérationnelle reste très coûteux en raison du vieillissement des matériels et de l'entrée en service d'équipements plus sophistiqués. La situation de monopole des industriels chargés de l'entretien est loin d'orienter les coûts à la baisse, et l'organisation de la filière de maintien en condition opérationnelle n'est pas stabilisée. Pourriez-vous à ce sujet, madame le ministre, nous informer des aménagements envisagés, plus particulièrement, pour l'entretien des matériels aéronautiques ?

Il est vraisemblable que les coûts de cet entretien seront au mieux contenus ; ils pourraient même progresser encore. Or un équilibre fragile doit être maintenu entre l'entretien, l'achat de matériels neufs et le fonctionnement courant, pour préserver à la fois la motivation et l'entraînement des personnels. Les indicateurs d'activité de nos forces restent insuffisants, à l'exception de certaines unités.

Si les annuités budgétaires prévues ont été respectées, il n'en va pas de même des prévisions de la loi de programmation en matière de réalisation des équipements. Certains programmes ont été sous-calibrés ; d'autres - je pense aux sous-marins nucléaires d'attaque, les SNA - ont subi la répercussion de normes nucléaires plus exigeantes ; d'autres enfin, comme les frégates, ont vu leur enveloppe vidée pour faire face à d'autres besoins.

Pour des raisons diverses, des programmes de grande ampleur ont subi des retards importants. Tel est le cas du char Leclerc, en raison de problèmes internes à l'entreprise, du programme de SNA, différé pour des raisons à la fois techniques et budgétaires, mais aussi de l'hélicoptère de transport NH-90, qui rencontre des problèmes de mise au point par l'industriel.

Sur ce point, madame le ministre, quelles sont les mesures que vous comptez prendre, alors que la marine continue de financer ce programme sans résultat tangible à l'échéance prévue ?

Si les restructurations industrielles ont lourdement pesé sur l'enveloppe des programmes, l'accumulation des reports de crédits, 2, 77 milliards d'euros accumulés à la fin de l'année 2005, témoigne de la difficulté à dépenser l'enveloppe prévue dans le régime actuel de financement des opérations extérieures, qui sont remboursées en fin d'année, mais aussi de la difficulté de gestion des programmes.

En dépit des aménagements du régime de la LOLF, pour répondre aux besoins spécifiques du déroulement des programmes d'armement, c'est la situation budgétaire de notre pays qui rendra difficile la consommation de ces reports dans un délai raisonnable. Et, s'ils ont été pour partie consommés cette année, c'est parce que la défense n'a pu obtenir le remboursement du coût des opérations extérieures. Il s'agit d'une consommation de crédits non génératrice d'équipements.

La nécessité de consommer les reports, ajoutée au lancement, en 2006, de programmes extrêmement lourds, comme le porte-avions ou les sous-marins nucléaires d'attaque, laisse présager un gonflement des annuités budgétaires au cours des prochaines années. Cette dépense sera-t-elle supportable pour le budget de l'État ?

Il est vraisemblable que la réponse sera négative si aucune des composantes du coût des programmes d'équipement n'évolue. Dans le cas contraire, faute de pouvoir dépenser plus, le ministère de la défense sera contraint de rechercher une baisse des coûts ou de réviser ses ambitions à la baisse.

La coopération avec nos partenaires européens, que nous appelons naturellement de nos voeux, reste trop souvent source de difficultés et de surcoûts. Le programme de frégates antiaériennes Horizon en apporte la démonstration. Sur ce sujet, madame le ministre, pouvez-vous nous dire quelles sont les perspectives de développement de l'Agence européenne de défense ? Comment le rôle de cette instance est-il perçu par vos homologues européens ? Pourra-t-elle disposer des moyens nécessaires à son développement ? Est-il envisageable qu'elle assure à moyen terme un pilotage des programmes véritablement générateurs d'économies ?

En l'absence de véritable intégration industrielle, la coopération européenne reste bien souvent incantatoire. Nous en mesurons les effets dans le dossier du porte-avions. Réalisée en partie pour les matériels aéronautiques, elle est à peine esquissée pour les matériels terrestres et dans le domaine naval. Peut-on envisager, en préservant les savoir-faire les plus stratégiques, un renforcement de cette intégration qui soit synonyme de baisse des coûts ?

Quel regard le ministère de la défense, en particulier la délégation générale pour l'armement, porte-t-il ainsi sur les tentatives de la Commission européenne d'instiller une dose minimale de libéralisation dans le marché de l'armement ? En d'autres termes, la France soutient-elle le maintien de la conception très large de l'article 296 du traité sur l'Union européenne ou peut-elle en accepter une vision plus restrictive ?

Certes, trop souvent, le déroulement des programmes d'armement souffre, faute de crédits, d'un étalement mais aussi de modifications des spécificités après le lancement de la phase industrielle. La modification des pouvoirs du chef d'état-major des armées, responsable, aux côtés de la DGA, de la gestion des programmes d'armement, est-elle de nature à contribuer à un meilleur cadrage de ces programmes ?

Enfin, s'il est convenu que le format 2015 ne sera pas atteint à cette date, pouvez-vous nous dire quels sont les aménagements d'ores et déjà prévus et les arbitrages à réaliser ?

En conclusion, madame le ministre, je voudrais souligner combien c'est la capacité même de la défense à investir qui est en jeu pour les années à venir. Je suis convaincu que seule une réflexion menée à l'échelle européenne pourra dégager les marges de manoeuvre nécessaires, en réservant nos réflexes nationaux aux domaines les plus strictement stratégiques.

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