Intervention de Josette Durrieu

Réunion du 8 décembre 2005 à 10h15
Loi de finances pour 2006 — Défense

Photo de Josette DurrieuJosette Durrieu :

Madame la ministre, je reprends à mon compte la question qui vient de vous être posée à l'instant : les crédits de la défense sont-ils sincères ?

Cette préoccupation est à l'évidence légitime lorsque l'on constate le décalage, évoqué par tous les orateurs qui m'ont précédée, de plus de 2, 7 milliards d'euros, donc presque de 3 milliards d'euros. La Cour des comptes a d'ailleurs présenté des observations à ce sujet.

Si ces reports sont des renoncements aux projets (, c'est grave. S'ils résultent de difficultés d'ordre technique ou de nature financière, s'ils traduisent un renoncement final pour apurement des comptes, on peut avoir une appréciation différente.

Quoi qu'il en soit, ces reports sont très nombreux. Le processus s'allonge, les coûts augmentent et la technologie devient obsolète. Madame la ministre, il est difficile d'identifier l'interaction des aspects techniques et financiers. Nous attendons des réponses et des éclaircissements sur ce point.

Permettez-moi d'ajouter quelques exemples à ceux qui ont déjà été donnés.

Certes, s'agissant des systèmes intérimaires de drone MALE, dits SIDM, pour lesquels le retard atteint dix-huit mois, il semble que ce soit le constructeur qui est en cause. Le retard atteint malgré tout dix-huit mois. Ces nouveaux matériels devaient remplacer les drones HUNTER en 2006. Cela ne peut que nous interpeller.

On peut en effet s'interroger sur les conséquences de ces retards pour les capacités de l'armée de l'air. Pourraient-ils expliquer un éventuel transfert du projet français de drone EuroMALE vers l'Agence européenne de défense ? §Par ailleurs, le financement de ce projet est-il assuré ?

Ces retards sont encore plus difficiles à admettre s'agissant du Rafale ; ils sont aujourd'hui de 116 mois, ce qui fait presque dix ans. Quant aux chars Leclerc, sur les 90 livraisons prévues en 2004, seuls 35 ont eu lieu.

Dans ces conditions, on peut légitimement se demander ce que devient le modèle d'armée 2015, pour lequel il manque entre 40 millions et 70 millions d'euros ? Même si l'on reportait l'échéance à 2020 ou à 2025, il manquerait toujours plus de 20 millions d'euros. Finalement, ce modèle d'armée 2015 peut-il être atteint ou est-ce une chimère ?

Sur les six programmes prévus pour 2006, trois doivent être rediscutés : le deuxième porte-avions, les missiles liés à la dissuasion et les sous-marins nucléaires.

J'en viens à la coopération internationale. Si nous avons des doutes sur le modèle d'armée 2015, pouvons-nous envisager d'intégrer notre défense dans un système européen ?

Nous avons le droit de nourrir des craintes à ce sujet. Comme nous avons pu le constater, les coopérations européennes se résument plutôt à des négociations au coup par coup. Il semble que l'on veuille, coûte que coûte, maintenir l'objectif national. Le principe du juste retour n'est jamais éliminé et le protectionnisme, voire le nationalisme sont toujours présents.

Madame la ministre, dans l'optique de la concurrence ouverte en 2006, vous parlez d'un code de bonne conduite. Vous avez même évoqué, à titre personnel, le « patriotisme économique européen », et nous nous en réjouissons. Mais cela ne nous dit pas ce que va devenir l'Europe de la défense.

J'en viens au secteur industriel. Le budget européen des vingt-cinq États de l'Union s'élève à 180 milliards d'euros. Mais, madame la ministre, le marché européen est petit, morcelé, ouvert, il ne croît plus depuis dix ans et les programmes ne sont que nationaux.

Aux États-unis, le paysage est tout différent : le budget atteint 387 milliards d'euros et le marché est vaste, unifié, protégé, en croissance de 25 % ; en outre, il n'y a qu'un seul programme fédéral.

Dès lors, on peut légitimement s'interroger sur les mesures justes, nécessaires et urgentes que l'Europe devra mettre en place.

Elle est confrontée à un défi, à un challenge entre, d'un côté, la menace du terrorisme et, de l'autre côté, le risque de la prolifération nucléaire. Et je ne parle pas des conflits régionaux toujours latents ! On n'a pas encore réglé la question du Kosovo et on ignore ce qui en découlera. Je ne parle pas non plus des crises nombreuses, militaires ou civiles, des post-crises, du désengagement américain - qui n'est pas un retrait politique - ou encore de la faiblesse politique de l'Europe, faiblesse que le « non » des Français n'a pas provoquée mais simplement révélée et qui exige maintenant des initiatives

En matière de prolifération nucléaire, l'initiative diplomatique de la France, du Royaume-Uni et de l'Allemagne est positive. Elle nous a permis de gagner du temps et de faire évoluer ou de voir évoluer les choses.

Cependant, madame la ministre, force est de constater qu'il y a beaucoup de silences ou de double langage à ce propos. Dans une zone que l'on pourrait appeler le grand Moyen-Orient, le risque de prolifération concerne certes l'Iran, mais également l'Inde et le Pakistan... sans oublier Israël ! Il faudra bien, à un moment donné, dire ce que l'on veut pour cette zone, c'est-à-dire une dénucléarisation qui portera son nom et que nous devrons énoncer clairement.

Dans un tel climat, quelles mesures devons-nous prendre, quelles réformes devons-nous conduire ?

Récemment, M. Denis Ranque, le président de Thales, évoquant les mêmes questions que celles que nous avons soulevées les uns et les autres, soulignait la nécessité de donner priorité à la recherche. M. Fréville, rapporteur spécial, a bien dit qu'il ne fallait pas oublier cette priorité ; hier, s'exprimant sur les crédits de la mission « Recherche », il avait déjà regretté que l'on n'insiste pas suffisamment sur ce point.

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