Intervention de Bernard Seillier

Réunion du 17 janvier 2008 à 9h30
Grenelle de l'insertion — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Bernard SeillierBernard Seillier, pour la commission des affaires sociales :

Monsieur le haut-commissaire, après votre exposé complet, qui a fait l'inventaire aussi bien de l'existant que des pistes ouvertes par ce Grenelle de l'insertion, je suis en grande difficulté pour ajouter quelque chose de pertinent, d'autant que je partage très largement les analyses que vous avez développées.

La référence aux accords de Grenelle de 1968 me permet toutefois de prendre quelques libertés puisqu'elle signifie l'ambition de remettre à plat toute la problématique de l'insertion de chaque citoyen dans la vie économique et sociale.

Ainsi que vous le disiez vous-même, monsieur le haut-commissaire, lors lancement de cette vaste opération, à Grenoble, où j'ai eu la chance de pouvoir vous écouter, il s'agit de réviser le régime de répartition des droits et des devoirs de tous les acteurs autour de cette problématique de l'inclusion sociale.

Le champ est donc très vaste et mérite d'être segmenté ou, pour le moins, mis en perspective. C'est ce que j'essaierai très simplement, et sans aucun doute trop sommairement, de faire.

Tout d'abord la problématique même de l'insertion peut être posée par référence à la logique de développement de la société dans laquelle nous vivons.

Si nous admettons, à ce titre, que la dominante de nos sociétés développées est la performance d'un système technologique concurrentiel, nous admettrons que l'impératif d'une insertion réussie sera de permettre à chacun d'accéder à un haut niveau de compétence scientifique et technique. C'est donc la qualité du système éducatif et de la formation professionnelle qui devra être considérée comme prioritaire.

La mobilisation des moyens financiers, notamment ceux du système de formation professionnelle, qu'elle soit initiale ou continue, devra suivre cette logique. Le rapport de la mission sénatoriale de 2007 sur ce sujet a montré que nous étions loin de satisfaire à cette nécessité. Cependant, nous connaissons désormais la voie à suivre.

Si nous remarquons, ensuite, que l'acquisition d'un haut niveau de qualification professionnelle requiert un effort intense et prolongé tout au long de la vie, nous mettrons en évidence le lien étroit qui existe entre la satisfaction de cette exigence personnelle et ce que j'appellerai la stabilité mentale, la force de caractère et de volonté des intéressés.

C'est donc la formation morale qui se trouve mise en jeu, de même que tout le contexte culturel dans lequel nous baignons. Nous devons nous interroger, alors, pour savoir si la pédagogie de l'effort intense et continu que sous-tend cet objectif est bien la caractéristique dominante de notre éducation et de notre existence quotidienne. Je ne me prononce pas sur la qualité de cette existence dès lors qu'elle est soumise à une telle tension ; néanmoins, la question doit être posée, et je laisse chacun s'interroger en son for intérieur et répondre à cette question.

La fréquentation des publics en difficulté d'insertion dans les missions locales rend dubitatif à ce sujet. Il y aurait donc, là aussi, une voie évidente de progrès dans la prévention de l'exclusion. Trop de jeunes ne sont, à l'évidence, pas armés pour affronter les conditions de la vive compétition inhérente aux économies de la connaissance quand on constate les difficultés qu'ils rencontrent en découvrant à la fin de l'adolescence les règles élémentaires de l'hygiène de vie, si une pratique sportive de bon niveau ne les a pas préalablement éveillés en ce domaine.

La responsabilité de l'échec de l'insertion ne saurait, a fortiori dans de telles conditions, être imputable aux victimes. Ceux qui disposent du pouvoir de décider de la formation des jeunes et de la dispenser sont les premiers responsables du succès ou de l'échec de leur bonne insertion.

Autrement dit, c'est sur nous que repose cette responsabilité.

Il serait trop facile de construire, ensuite, le mythe d'une inadaptation insurmontable de quelques personnes et d'inventer l'inacceptable concept de « handicapé social » quand on a préalablement tout fait pour qu'il en soit ainsi !

Nous pouvons aussi aborder la problématique de l'insertion par un examen critique de notre modernité, ce que vous avez très largement fait. Permettez-moi toutefois de préciser quelques points auxquels je suis particulièrement sensible.

On peut notamment se demander si les contraintes inhérentes à nos sociétés technologiques, libérales, capitalistes, individualistes et compétitives ne sont pas en définitive excessives, au point d'engendrer des forces centrifuges telles - nous avons les mêmes références mécaniques ! - que l'exclusion est un sous-produit systémique, aussi bien au niveau du volume d'emplois que de la rémunération du travail et de la distribution des revenus.

La question n'est pas indécente, au contraire. La difficulté tient à l'inaccessibilité à ce jour d'un système de régulation non destructeur du système de base producteur de richesses.

On identifie le mal, mais on ne maîtrise pas le remède, au moins au niveau global.

C'est pourquoi, à l'expérience, je pense qu'une fois admis que l'effort de prévention de l'exclusion passe par l'éducation fondamentale et la formation professionnelle initiale et continue telle que je viens de l'évoquer, il faut déployer toute la panoplie de ce que l'ingénierie de l'insertion a mis au jour et en oeuvre progressivement depuis plus de trente ans maintenant, jusqu'à l'invention du revenu de solidarité active, dont vous êtes le concepteur.

Il est essentiel que cette ingénierie soit connue par tous et spécialement par les ministres et leurs conseillers. Surtout, il importe de prendre très au sérieux la gravité et l'ampleur de la question et de rejeter toute conception superficielle des moyens à mettre en oeuvre dans la lutte contre l'exclusion, conception selon laquelle il ne s'agirait que d'un secteur d'ajustement conjoncturel alors que nous sommes confrontés à un phénomène structurel.

Cette observation, cela va de soi, ne concerne pas le haut-commissariat et les conseillers qu'il regroupe.

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