L'expérience que j'ai de la formation continue depuis vingt ans me permet de mesurer la nécessité que les lois du secteur de l'insertion soient connues à un bon niveau, car je sais quelles menaces récurrentes de variation conjoncturelle pèsent sur les crédits dégagés à ce titre.
Je n'ai pas le temps ici de décrire dans le détail ce que j'appelle l'« ingénierie de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion ». Je soulignerai simplement que la panoplie des structures mobilisées dans ce combat va du lieu de vie, en marge des marchés compétitifs, pour la remise en selle des personnes les plus blessées par la vie et dont on ne peut jamais dire à l'avance qu'elles sont perdues pour toute vie sociale et vie économique classiques, jusqu'à l'Association pour le droit à l'initiative économique, fondée en France par Maria Nowak et qui accompagne les créateurs d'entreprise par le système du microcrédit. Dix mille prêts ont été ainsi distribués par son entremise l'année dernière. Ils ont permis de sortir dix mille personnes du chômage par la création d'entreprise et donc par une insertion par le haut. Je rappelle que l'économiste Muhammad Yunus né au Bangladesh en 1940 et inventeur du microcrédit a reçu le prix Nobel de la paix en 2006. Ce n'est pas indifférent.
Entre ces deux extrémités de la panoplie, on observe toute la gamme progressive des chantiers d'insertion, chantiers-écoles, associations et entreprises intermédiaires, entreprises d'insertion, dont les revenus proviennent à 80 % de la vente sur les marchés compétitifs, jusqu'aux entreprises courantes placées au coeur des marchés internationaux et qui s'impliquent de plus en plus en amont dans l'invention de parcours de réinsertion de personnes en situation d'exclusion ou menacées d'exclusion au coeur même de leur entreprise.
Ainsi que vous en avez également fait la remarque, monsieur le haut-commissaire, je pense qu'une des grandes attentes que suscite le Grenelle de l'insertion repose sur cet engagement progressif, et relativement nouveau pour certains, du tissu économique dans la grande cause nationale de l'insertion.
Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale comprend en son sein, depuis juillet 2005, les syndicats professionnels et de salariés. J'ai pu noter de leur part la volonté de se tourner collectivement vers cette problématique de la lutte contre l'exclusion par les politiques d'insertion.
En effet, si, comme je le disais précédemment, nous devons affronter un problème structurel de nos systèmes économiques et sociaux, il est clair que la persistance du phénomène engendre des pénalités considérables pour notre avenir économique et social. Sa résorption ne peut, dès lors, que se traduire par une meilleure performance économique : c'est donc notre intérêt.
Mais l'enjeu est aussi l'obtention d'un degré supérieur de cohésion sociale : c'est donc aussi notre obligation politique.
Avant de conclure, je souhaite attirer votre attention sur une dimension cachée de cette problématique.
Il faut s'interroger en effet sur ce qui blesse notre corps social au point de fournir des cohortes de personnes en situation de pauvreté et d'exclusion d'une participation normale à la vie commune et à la répartition équitable des biens. Il y a là la marque d'un échec politique majeur.
Lorsqu'on essaie de systématiser les processus d'insertion, on constate qu'ils comportent tous deux dimensions : une dimension financière, car l'insertion a un coût, et une dimension humaine, car l'insertion exige toujours un accompagnement individualisé, professionnel ou social, ou professionnel et social.
On comprend donc aisément que, s'il y a un aspect technique de la problématique - une qualification à acquérir et une rémunération de transition à offrir -, il y a également un aspect de lien social, de relation interpersonnelle qui est en cause.
Cette dernière dimension est essentielle, et je crois qu'elle n'est plus niée par quiconque.
Cette découverte m'avait conduit à proposer en 2003 la création d'un « contrat d'accompagnement généralisé » tant pour l'insertion par un contrat de travail que pour l'insertion par une création ou reprise d'entreprise.
Mais il est intéressant de se demander si ce recours subitement nécessaire à un accompagnement lors d'un processus d'insertion ou de réinsertion ne révèle pas une blessure plus chronique et plus structurelle du lien social lui-même en tant que protection contre l'exclusion sociale.
Qu'il me soit permis ici d'orienter notre réflexion sur un sujet grave et délicat que j'aborde sans aucune agressivité.
L'émergence du problème de l'insertion commence très tôt dans notre existence puisqu'on peut affirmer que le premier acte de notre insertion est notre naissance. Notre existence s'impose au monde depuis que l'infanticide a été banni de nos sociétés. Cette insertion ne peut être refusée par la société, et c'est un progrès de civilisation. Les législations de solidarité sociale, au moins dans nos pays, ont reconnu la nécessité de soutenir financièrement cet événement, cet avènement, dirai-je, cette première insertion.
Une ombre s'est cependant répandue depuis que de nombreux régimes démocratiques ont libéralisé la possibilité d'interruption des grossesses, rendant ainsi précaire la phase préliminaire de préparation de l'insertion initiale de l'être humain dans la société.
Je me place ici d'un point de vue peu exploré, qui n'est ni d'ordre démographique ni d'ordre juridique, mais qui est d'ordre relationnel qualitatif et relève donc de la morale collective.
Il est incontestable que l'avènement de l'autre dans notre conscience, son accueil dans notre mentalité et la reconnaissance de ses droits imprescriptibles par notre volonté sont déportés à un moment qui dépend de notre enregistrement à l'état civil et ne se produisent pas en amont de la naissance, à un stade qui ferait abstraction de notre sensibilité.
Cette solution a pour elle l'avantage de la force du fait, mais elle a contre elle la faiblesse de ne pas être inconditionnelle et indépendante de la qualité, de la situation et de l'état de l'être humain en cause, de son stade de développement. Cette problématique est celle-là même de l'insertion tout au long de la vie.
Aujourd'hui, la législation protectrice de l'insertion et des droits des handicapés est une garantie importante contre les dérives eugéniques de notre humanité.
Notre situation demeure cependant pénalisante pour toute la philosophie exigeante de l'inclusion sociale. Elle suppose en effet, pour être vraiment digne d'une haute conception du corps social, c'est-à-dire d'une conception unifiée indépendante des valeurs et des performances individuelles, un respect absolu de la dignité de l'être humain dans son essence.
Mère Theresa avait coutume de dire que l'avortement légal était le principal ennemi de la paix dans le monde.