Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je n'ai aucun motif de cacher l'émotion que je ressens au moment de m'exprimer pour la première fois du haut de cette tribune au nom de la population mahoraise.
Mes premiers contacts avec la Haute Assemblée remontent en effet aux années 1974 et 1975, période où le sort et le destin de Mayotte paraissaient bien incertains, et même très compromis.
Je dois dire que, dans notre combat pour Mayotte française avec Marcel Henry, les encouragements et les appuis les plus sûrs nous sont venus de diverses travées de cet hémicycle et de tous bords politiques.
C'est pourquoi je tiens personnellement à rendre un hommage de gratitude à la mémoire de tous ceux qui ont ainsi mérité l'infinie reconnaissance des Mahorais : au président Alain Poher ainsi qu'au directeur adjoint de son cabinet, René Peyrou, au sénateur Baudouin de Hauteclocque, défenseur intransigeant, à la commission des lois, du droit de Mayotte à rester dans la République, à Max Lejeune, à Geoffroy de Montalembert, à Marcel Champeix, président du groupe socialiste au Sénat, qui nous ont aidés, avec quelques autres, à résister à ce que certains appelaient - quelle illusion ! - le « sens de l'histoire » ou le « vent de l'histoire »...
Permettez-moi encore, mes chers collègues, de rappeler très brièvement un ou deux souvenirs qui n'ont rien d'anecdotique.
C'est du bureau de René Peyrou à la présidence du Sénat qu'ont été transmis, par mes soins, les télégrammes adressés aux plus hautes autorités de l'Etat et destinés à placer Mayotte sous la protection de la République et de la loi françaises. C'était, je m'en souviens très bien, le dimanche 6 juillet 1975, le jour même de la proclamation unilatérale de l'indépendance des Comores par les responsables locaux.
Au principe de l'intangibilité de frontières coloniales, nous opposions « le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ».
Mes chers collègues, Mayotte, sur ce point, n'a jamais changé d'opinion ni de discours.
Autre souvenir, un peu plus lointain mais également significatif et combien décisif : l'amendement, adopté le 12 novembre 1974 par la commission des lois du Sénat, substituant au projet de loi organisant une consultation de « la » population un texte prévoyant de consulter « les » populations des Comores.
Cette substitution du pluriel au singulier permettant la consultation île par île de l'archipel comorien résultait de ce fameux amendement, rédigé - avec quelle subtilité ! - par un administrateur de la commission des lois du Sénat, Jean-Dominique Lassaigne. S'il m'entend, qu'il accepte que je le remercie encore une fois !
C'est en s'appuyant sur cette disposition législative et salvatrice que le Conseil constitutionnel a justifié le décompte île par île des résultats et permis d'organiser une nouvelle consultation d'autodétermination à Mayotte.
Depuis lors, les Mahorais n'ont pas cessé, avec le concours de nombreux amis - je songe notamment à M. Didier Béoutis, de l'Association pour Mayotte française, à Me Vallery-Radot, avocat à Paris, ou à M. Pierre Pujo -, de réclamer « l'ancrage » définitif de Mayotte dans la République.
Plus que jamais, les Mahorais souhaitent accéder au statut de département d'outre-mer, qui leur apparaît, à juste titre, comme la plus sûre garantie de leurs libertés et de leurs progrès dans la voie du développement économique, social et culturel.
C'est à ce titre et dans cet esprit, mes chers collègues, que j'aborde maintenant les questions relatives au budget du ministère de l'outre-mer pour 2005, qui est aujourd'hui soumis à l'appréciation et au vote de notre Haute Assemblée.
Ce budget de 1, 6 milliards d'euros appelle de ma part deux observations générales et plusieurs interrogations.
Ma première observation a trait à l'évolution affichée de 52 % du montant global de votre projet de budget, madame la ministre, dont vous avez vous-même reconnu, en commission, le caractère quelque peu artificiel.
Une telle hausse est liée à l'intégration dans ce budget de plus de 678 millions d'euros de crédits qui relevaient auparavant du ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.
Certes, les apparences d'un budget en croissance continue sont sauves, mais je crains qu'une telle démarche, si elle cessait d'être exceptionnelle, n'aboutisse au « désengagement » des ministères vis-à-vis de nos collectivités. Mayotte, qui a tant de mal à obtenir l'intervention des services publics d'Etat sur son territoire, serait ainsi lourdement pénalisée.
Ma seconde observation d'ordre général concerne la mise en oeuvre de l'impératif de rattrapage inscrit depuis longtemps dans les diverses conventions de développement signées depuis 1986, dans la convention Etat-Mayotte 2003-2007 comme dans l'actuel contrat de plan.
Le même objectif de rattrapage est affiché dans la loi statutaire du 11 juillet 2001, dont le titre V traite du développement économique de Mayotte tout en prévoyant, à l'article 43, la création d'un « fonds de développement » financé notamment par les concours de l'Etat, de la collectivité départementale et de la Communauté européenne.
Permettez-moi, madame la ministre, de vous rappeler, à cet égard, que ce même article 43 prescrit l'établissement et la remise au président du conseil général d'un rapport annuel sur le développement économique de Mayotte. Or, sauf erreur de ma part, ce rapport n'a pas été déposé : il serait bon que, dans les prochaines années, ce document de synthèse soit établi et diffusé avant le vote du budget.
Quoi qu'il en soit, j'observe que Mayotte a beaucoup souffert, au cours des récentes années, de diverses mesures de suspension, de réductions ou d'annulations de crédits qui ont été justifiées par des contraintes ou des difficultés budgétaires. Si chacun doit, certes, prendre sa part des mesures de restriction imposées à tous, il serait cependant souhaitable, ces décisions étant d'application indifférenciée ou uniforme, que des priorités soient mieux affirmées pour ne pas priver l'exigence de « mise à niveau » de toute signification.
Ainsi, s'agissant du réseau routier, la réhabilitation ô combien nécessaire des routes nationales, inscrite pour 2 millions d'euros, n'a réuni que 800 000 euros en 2003 et n'a reçu aucune dotation en 2004, de même que diverses opérations, prévues depuis longtemps dans le contrat de plan pour la déviation des villages, attendent pour être réalisées que soient versés les crédits de paiement.
Il en va de même pour les grandes opérations d'équipement, qu'il s'agisse du port de Longoni ou de l'aéroport. Pour ma part, je souhaiterais que le Gouvernement nous apporte enfin une réponse claire sur l'allongement de la piste d'aviation, qui fait l'objet, depuis des années, d'interminables études.
Il est important, madame la ministre, de nous accorder sur la définition et le contenu de l'impératif de rattrapage économique et social voulu par le législateur.
Toujours dans le souci de combler, progressivement et par des moyens adaptés, nos retards, j'en viens, madame la ministre, aux trois questions qu'a fait naître dans mon esprit votre projet de budget pour 2005.
La première concerne les fonds structurels ouverts aux régions dites « ultra-périphériques » d'Europe, les RUP. Les départements français d'outre-mer appartiennent à cette catégorie, et c'est notamment, d'ailleurs, ce qui explique notre volonté, ancienne et renouvelée, d'accéder au statut de DOM. Si nous n'y parvenons pas, nous demeurerons tributaires du Fonds économique de développement, le FED, dont la compétence s'étend aux pays indépendants d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique et dont les concours financiers varient dans une proportion de un à douze par rapport aux « fonds structurels ».
Le Président de la République, ayant parfaitement admis nos raisons, avait écrit au Président de la Commission Européenne pour nous défendre et souligner tout l'intérêt qu'avait Mayotte à figurer désormais parmi les RUP. J'ignore quelle a été la réponse de la Commission, mais j'avais cru comprendre qu'il appartenait au Gouvernement d'engager avec les Etats membres les négociations préalables à l'intégration de Mayotte dans les RUP.
Les explications que vous avez données récemment à l'Assemblée nationale semblent ouvrir des perspectives plus favorables.
J'ai bien compris que la situation des quatre DOM se trouvait aujourd'hui consolidée dans le cadre du nouveau traité européen. Toutefois, s'agissant de Mayotte et de son éventuel passage du statut de PTOM à celui de RUP, vous avez indiqué, madame la ministre, qu'il serait nécessaire « de consulter tout le monde » en raison de la « souplesse nouvelle » introduite dans le traité. Qu'en est-il exactement ? Vos explications, qui contribueront à clarifier notre situation, seront attentivement écoutées à Mayotte.
Ma deuxième question concerne la Société immobilière de Mayotte, la SIM, qui demeure depuis plus d'un quart de siècle l'instrument essentiel de la politique du logement dans notre collectivité.
Cette dernière a pu notamment créer, au fil du temps, un modèle original d'habitat social, la « case SIM », bien adaptée aux besoins de la population, et développer avec les artisans mahorais, dans les divers corps de métiers, un système cohérent et très efficace de coopération professionnelle et technique, dont les résultats sont probants si l'on en juge par les distinctions et récompenses nationales et européennes conférées à la SIM.
D'aucuns projettent, dit-on à Mayotte, de nous appliquer dès l'an prochain le droit commun de la construction sociale avec les logements évolutifs sociaux, ou LES. Je pense, pour ma part, qu'une transition doit être observée afin de permettre l'adaptation des méthodes, des moyens et des hommes à ces productions nouvelles.
Il faut maintenir et relancer les « cases SIM », dont la construction a fléchi ces derniers temps, et, à cet effet, augmenter de 8 millions d'euros la dotation de la ligne budgétaire unique, la LBU, pour la mise à niveau de la politique de construction à Mayotte.
Madame la ministre, mes chers collègues, ma dernière question me permettra d'exprimer une conviction très ancienne : les Mahorais doivent être les acteurs vigilants et dynamiques de leur propre développement, et non pas de simples spectateurs. Il n'est ni possible ni souhaitable d'installer Mayotte dans une sorte d'assistanat généralisé. Il faut, en revanche, aider les familles et les personnes les plus démunies en raison de l'âge ou des handicaps sociaux.
Il m'est particulièrement agréable de remercier ma distinguée collègue de la Réunion, Mme Anne-Marie Payet, d'avoir accepté, sur ma demande, de présenter au bénéfice des familles mahoraises un amendement étendant les conditions d'accès aux allocations familiales, jusqu'à présent limitées à trois enfants.
Une telle proposition, qui se fonde à l'évidence sur un impératif de justice et d'égalité devant la loi républicaine, vise aussi à apporter à des familles souvent déshéritées le supplément de ressources indispensable à la santé comme à la bonne éducation des enfants.
Cet amendement présente un autre mérite, madame la ministre : celui de chercher à atténuer les conséquences de l'article 68 de votre loi de programme de 2003, qui interdit à l'avenir la polygamie. En effet, certains maris ayant profité de ces dispositions nouvelles pour les appliquer à titre rétroactif, de nombreuses femmes avec des enfants à charge se retrouvent maintenant seules et sans ressources.
C'est pour pallier, autant que faire se peut, les effets et les « dégâts collatéraux » de ces dispositions qu'il est proposé d'aider ces femmes abandonnées, en leur accordant le bénéfice de l'allocation de parent isolé.
En définitive, en dépit de la rigueur de la conjoncture budgétaire et financière, ce projet de budget pour 2005 me paraît, notamment à la lecture de l'annexe « jaune » de la loi de finances, équilibré et réaliste. Même s'il ne représente que 12 % à 15 % de l'ensemble des crédits publics consacrés à l'outre-mer, il nous donne l'occasion, encore trop rare, d'avoir une réflexion sur la situation et les perspectives des économies et des sociétés d'outre-mer. C'est pourquoi, malgré les insuffisances que j'ai signalées, je le voterai.