On a fait naître des espoirs, on fait aujourd'hui beaucoup de déçus avec le Grenelle de l'environnement. Mais si, en mai 68, il y a eu un Grenelle, je tiens à rappeler que celui-ci s'est conclu, le 27 mai 1968, sur un accord créateur de droits et qui améliorait considérablement la vie des travailleurs de notre pays, avec par exemple une augmentation de 25 % du SMIG, le salaire minimum interprofessionnel garanti, une hausse des salaires de 10 %, ou encore la création de sections syndicales d'entreprise.
Je ne crois pas trop m'avancer en disant qu'il n'en sera pas de même avec le Grenelle de l'insertion sociale, et je le regrette pour les quelque 8 millions de nos concitoyens qui vivent, ou plutôt survivent, avec à peine plus de 800 euros par mois. Pour autant, notre groupe ne néglige pas les nombreuses propositions que vous venez de détailler au cours de votre intervention liminaire, monsieur le haut-commissaire.
Dans le courrier que vous avez adressé aux sénateurs, vous présentez les trois thématiques qui seront abordées au fil des travaux du Grenelle de l'insertion sociale : comment redéfinir les objectifs de la politique d'insertion et sa gouvernance ; comment développer la mobilisation des employeurs pour l'insertion ; comment construire des parcours d'insertion adaptés.
Pour être franche, à une certaine époque, j'aurais pu, avec mes collègues du groupe CRC, être simplement sceptique. C'était avant les huit premiers mois de présidence de M. Sarkozy, avant l'adoption de la loi en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat et la dilapidation de 15 milliards d'euros pour financer des mesures inefficaces ou des cadeaux fiscaux, mais aussi avant l'adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 ou bien, plus récemment encore, avant la fusion forcée de l'ANPE et de l'UNEDIC. Mais depuis, je dois vous dire que mon scepticisme a viré au doute sérieux...
On connaît d'ailleurs déjà la conclusion que vous allez tirer de ce Grenelle : la généralisation du revenu de solidarité active. Pas plus tard qu'hier soir, sur une chaîne de télévision d'information en continu, vous n'avez pas dissimulé votre volonté d'étendre le RSA sans pouvoir aujourd'hui, vous le reconnaissiez vous-même, faire le moindre bilan de son expérimentation.
Je vous poserai donc deux questions : pouvez-vous nous indiquer le nombre précis de bénéficiaires du RSA dans les quelque quarante départements qui expérimentent ce dispositif ? Pouvez-vous nous indiquer quel est le montant moyen de leurs revenus ?
Je crois savoir que vous ne le pouvez pas, naturellement, et c'est là que le bât blesse. En effet, vous le savez, cette mesure est profondément inégalitaire.
Le dispositif est d'abord inégalitaire parce que vous renvoyez aux départements le soin de le mettre en oeuvre. Cela veut dire que le montant de l'allocation perçue sera différent selon que le bénéficiaire résidera dans un département riche ou dans un département plus pauvre.
Le dispositif est ensuite inégalitaire parce qu'il renvoie, comme toutes les autres mesures prises par le Gouvernement auquel vous appartenez, à l'individu, puisque le montant de l'allocation pourrait également varier entre deux bénéficiaires d'un même département.
Cela étant, quel est le contenu de ce fameux RSA ? En quoi consiste-t-il ?
Vous souhaitez, dites-vous, inciter les demandeurs d'emploi, les personnes en difficulté, à retourner sur le marché du travail. Est-ce à dire que vous considérez les demandeurs d'emploi comme des personnes qu'il faudrait supplier pour qu'elles acceptent de travailler ? Telle n'est pas notre conception des choses.
Pour nous, les chômeurs sont des salariés privés d'emploi par des politiques libérales de spéculation et de recherche du bénéfice, politiques où l'être humain est toujours la variable d'ajustement.
Pour vous, « l'incitation » passe par un complément de revenu attribué aux bénéficiaires de minima sociaux en cas de reprise partielle de l'activité. Pour ce faire, vous souhaitez fusionner tous les minima sociaux. Vous partez du postulat que le demandeur d'emploi ne doit pas perdre d'argent en raison de la reprise de son activité professionnelle, raison d'être de ce complément de revenu.
S'il est présenté ainsi, comment s'opposer à la mise en oeuvre du dispositif ? Mais voyez-vous, monsieur le haut-commissaire, nous ne voulons pas « donner une activité » aux demandeurs d'emploi ; nous voulons leur donner un travail, qui leur permette de vivre dignement du revenu de leur labeur. C'est là toute la différence entre nous !
Même dans vos rangs, on doute de la pertinence de votre revenu de solidarité active. Déjà, en mai 2005, un rapport d'étude du Sénat réalisé par Valérie Létard, actuelle secrétaire d'État chargée de la solidarité, avertissait en ces termes : « Le soutien très important apporté par le RSA dès les premières heures d'activité fait craindre des pressions à la baisse sur les salaires, et un renforcement du recours par les entreprises à des emplois à temps partiel. »
J'en reviens à vos trois thématiques. II y manque la question des moyens et du financement. Et cela n'est pas anodin, monsieur le haut-commissaire ! Le Président de la République avoue lui-même ne rien pouvoir faire pour le pouvoir d'achat en raison de la situation des comptes publics : les caisses seraient vides ! On peut le croire ; il ne le sait que trop puisque c'est lui qui les a vidées.
On devine où le Président de la République veut en venir : demain, ou plus tard, viendra une nouvelle vague de décentralisation. Il ne restera alors plus qu'à l'État la charge très partielle des missions régaliennes, réduites à une portion congrue, et aux départements et aux régions le financement des politiques de solidarité. Tout cela pour réduire les dépenses publiques, ce qui est l'obsession de M. Sarkozy.
Alors, monsieur le haut-commissaire, permettez-moi de formuler une suggestion. Le 23 janvier prochain, le Sénat examinera le projet de loi pour le pouvoir d'achat. Avec mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen, nous interviendrons dans le débat de manière constructive en proposant des actions concrètes pour relancer le pouvoir d'achat des Français et pour favoriser l'emploi.
Cela passe notamment par la suppression des exonérations de cotisations sociales, allégrement offertes aux patrons pour poursuivre leur politique de sous-emploi et d'emplois précaires. Le Conseil économique et social et même certains élus de l'UMP ont d'ailleurs émis des réserves sur les effets de telles largesses. Il faut en finir avec ce non-sens qui veut que, systématiquement, les gouvernements de droite subventionnent les employeurs pour favoriser les emplois précaires, alors qu'ils sont source de trappes à bas salaires.
Je m'étonne également que vous ne vous soyez pas opposé aux franchises médicales lors du vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ce mécanisme est profondément non solidaire ; il fait payer aux malades le prix de leur maladie. Le Gouvernement a même refusé d'exonérer les malades les plus atteints. Il s'agit pourtant d'un cercle vicieux : la maladie précarise et diminue les ressources ; puisqu'ils manquent de ressources, les franchises médicales aidant, les malades sacrifient l'accès aux soins ; sans soins, la situation s'aggrave, et les malades se précarisent de plus en plus.
Monsieur le haut-commissaire, vous avez dit qu'il fallait changer le système. Nous craignons que votre Grenelle ne soit en réalité qu'un cache-misère. Si vous y croyez fortement - et nous voudrions bien, nous aussi, y croire fortement -, nous savons que M. Fillon, quant à lui, y voit le moyen de dissimuler les réels projets du Gouvernement.
À n'en pas douter, le Gouvernement auquel vous participez est profondément cohérent : il recodifie le code du travail en diminuant les droits des salariés ;...