Intervention de Jean Desessard

Réunion du 17 janvier 2008 à 9h30
Grenelle de l'insertion — Débat sur une déclaration du gouvernement

Photo de Jean DesessardJean Desessard :

Je voudrais ensuite vous faire part de ma satisfaction s'agissant des méthodes que vous employez : expérimentation, débat de société, consultation des associations, débat au Parlement, groupes de travail en amont ; a priori, les formes sont là ! J'espère qu'elles seront respectées.

Je vous incite, monsieur le haut-commissaire, à consulter non seulement les associations qui s'occupent d'insertion, mais également celles qui soutiennent les chômeurs, comme l'Association pour l'emploi, l'information et la solidarité des chômeurs et travailleurs précaires, le Mouvement national des chômeurs et précaires, Agir ensemble contre le chômage, Droit au logement, le Comité des sans-logis, et d'autres.

Ces associations sont à l'image du public qu'elles rassemblent, ou organisent puisqu'elles veulent rendre la dignité aux chômeurs : elles ont des difficultés financières, elles luttent pour leur survie économique, et elles sont dans une grande précarité. Si l'on veut que les chômeurs aient la parole, il faut donner des moyens financiers à ces associations, car les cotisations des adhérents sont insuffisantes. Une solution pérenne doit être trouvée pour assurer le financement des associations de chômeurs, qui rencontrent aujourd'hui des problèmes avec les administrations.

Monsieur le haut-commissaire, vous parlez de droits et de devoirs pour les bénéficiaires. Une société humaine doit être solidaire de l'ensemble de ses citoyens, y compris et surtout les plus faibles. Assurer la garantie d'un revenu à toute femme ou à tout homme qui n'a pas de ressources, c'est une marque de respect des droits humains, mais c'est également une façon de réaliser des économies pour la société.

En effet, à moins que l'on n'accepte cyniquement que les pauvres ne soient plus logés et fassent la manche pour survivre, il faudra bien, vous en conviendrez, qu'ils aient un logement, qu'ils puissent se nourrir, et que leurs enfants puissent accéder à l'éducation. Cela a un coût, qui est aujourd'hui assuré par l'État et, surtout, par les collectivités locales, les services publics et les associations caritatives.

Pourquoi tout simplement ne pas garantir un revenu social suffisant à toute personne sans ressources pour éviter les expulsions, les coupures d'électricité et de chauffage ?

Pourquoi vouloir absolument imposer des contreparties à cette solidarité nécessaire ?

Les premières conditions de l'insertion, c'est de pouvoir se nourrir, conserver son logement, s'habiller et assurer l'éducation des enfants. C'est pourquoi il est nécessaire d'augmenter le montant des minima sociaux. Sur ce point, je vous ai trouvé bien timide, monsieur le haut-commissaire : vous avez parlé d'une petite taxe sur le textile, de « mesurettes » ; j'attendais une plus grande contribution de la part de l'État.

Il faut rendre ces minima sociaux inconditionnels et indépendants des revenus des autres membres de la famille ; il faut les élargir aux 18-25 ans.

L'une des questions porte sur les emplois aidés.

Les écologistes considèrent qu'il faudra bien en venir à une réduction de la consommation. Vous allez me dire que nous sommes d'accord ! Mais cela signifie, à terme, une diminution de la production. Nous ne pouvons donc avoir comme objectif la course à la croissance, qui risquerait d'entraîner un appauvrissement des ressources naturelles de la planète.

En conséquence, un jour ou l'autre - bientôt ! - il faudra nécessairement dissocier le revenu du travail si l'on veut éviter une catastrophe écologique.

Néanmoins, dans le système actuel, il importe de permettre à chaque individu de pouvoir trouver une activité salariée. Monsieur le haut-commissaire, vous avez évoqué un service public national de l'emploi. Il faudrait qu'il repose non pas sur la rentabilité, mais sur l'intégration de tout un chacun. Il n'est pas normal que les payeurs décident qui a droit à une allocation.

À une certaine période, on considérait comme justifié qu'un chômeur touche 90 % de son ancien salaire. Les valeurs morales ont-elles changé ? Non ! C'est le nombre de chômeurs qui a augmenté. Ce n'est pas à ceux qui cotisent de fixer le montant de l'allocation ; cela relève de la solidarité nationale.

On doit garantir, pour tout emploi aidé, au minimum le SMIC mensuel, et non pas horaire. Il faut arrêter les « mesurettes », monsieur le haut-commissaire !

Il faut développer le secteur de l'économie solidaire et les travaux d'utilité publique, sociale ou écologique.

Il faut revaloriser les métiers dans les secteurs qui ne parviennent pas à recruter. On dit souvent que les gens ne veulent pas travailler. Mais il faut voir quelles sont leurs conditions de vie et de travail : ils sont souvent obligés de se lever tôt le matin et de travailler le week-end pour gagner peu. Des compensations doivent être prévues ! C'est à l'État d'accompagner la transformation et la valorisation de ces métiers.

Monsieur le haut-commissaire, j'approuve votre volonté de permettre le cumul des minima sociaux et des revenus de l'activité pour éviter de pénaliser les chômeurs qui retrouvent un travail peu rémunéré et qui perdent tout à coup de nombreuses aides sociales. Cela évite les effets de seuil et rend toute reprise du travail financièrement intéressante.

Mais ces avantages se retrouvent dans une proposition plus générale que j'ai déjà présentée ici même : le revenu d'existence universel. Son montant serait fixé en fonction du seuil de pauvreté ; ce serait un droit individuel, sans condition de ressources, ouvert à tous les citoyens majeurs, et cumulable avec d'autres ressources, ressources du travail ou du capital. Le financement de cette mesure serait compensé par l'impôt sur le revenu.

Cette solution serait plus simple pour l'administration et pour le bénéficiaire, car elle remplacerait toute une série d'aides éparpillées pour le logement, les transports, la santé, ou les loisirs ; elle serait également moins intrusive, moins stigmatisante et plus égalitaire pour les chômeurs et les travailleurs à faible revenu.

Si le but est de faire baisser le pourcentage des personnes sous le seuil de pauvreté, la mesure que je propose, sans pour autant ruiner nos finances, serait immédiatement efficace. Évidemment, elle coûterait un peu plus cher que le modeste RSA. Pour mémoire, l'expérimentation du RSA qui a été votée cet été coûte 50 millions d'euros pour 90 000 personnes. C'est loin d'être suffisant pour changer la vie des personnes ciblées par cette mesure. Pourtant, on ne peut pas dire que la France soit particulièrement généreuse avec ses chômeurs. À titre de comparaison, pour chaque chômeur, le Danemark dépense 2, 6 fois plus que la France.

Et ce n'est pas près de changer ! Le 31 décembre dernier, le Président de la République, qui se revendique comme « président du pouvoir d'achat », a augmenté le RMI de 1, 6 % pour une personne seule et l'AAH de 1, 1 %, tandis que le complément AAH réservé aux handicapés qui ne peuvent plus travailler reste stable à 179, 31 euros. Pour les prestations familiales, l'augmentation sera de 1 %. Enfin, le minimum vieillesse a été relevé de 1, 1 %. Or la hausse des prix, en rythme annuel, est de 2, 4 % !

Monsieur le haut-commissaire, quand on baisse le revenu réel des 7 millions de personnes qui dépendent des minima sociaux l'année où l'on donne 15 milliards d'euros de cadeaux fiscaux aux plus riches, cela nous laisse perplexe.

Le projet d'une société solidaire et respectueuse des droits pour tous paraît difficilement compatible avec une politique économique basée sur la croissance à tout prix, la concurrence exacerbée, la compétition économique et la diminution du rôle de l'État.

Je doute que ce système capitaliste - vous avez utilisé l'image de la centrifugeuse, mais il faut bien appeler les choses par leur nom ! -, qui privilégie le profit au détriment de l'individu, soit compatible avec les objectifs affichés dans votre discours.

Néanmoins, monsieur le haut-commissaire, vous voulez associer les parlementaires à votre démarche. Les élus Verts répondent présents. Ils adhèrent à votre démarche et s'associeront à toutes initiatives et propositions susceptibles d'améliorer les conditions des plus démunis, même si cela s'apparente à un travail de Sisyphe, dans notre société inégalitaire et discriminatoire.

En conclusion, monsieur le haut-commissaire, je vous remercie de cette analyse rigoureuse, documentée et pertinente. C'est une excellente base pour le travail à venir. Bon courage à vous ! Je souhaite également bon courage aux parlementaires et à tous les acteurs qui participeront à ce Grenelle de l'insertion.

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