Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaiterais, pour débuter mon intervention, aborder la crise politique et sociale que connaît actuellement la Polynésie française.
La campagne électorale de mai 2004 a révélé, comme on le sait, un mécontentement croissant de la population et des élus polynésiens concernant la gestion de M. Flosse.
Le rejet d'un système qui a dominé sans partage les institutions depuis deux décennies et la volonté de changement ont abouti au vaste rassemblement formé autour de M. Temaru, qui dépasse très largement, madame la ministre, la seule mouvance indépendantiste.
Pour sortir de cette situation, il n'y a pas d'autre réponse politique que celle de la démocratie et de la justice sociale.
Après l'annulation par le Conseil d'Etat du scrutin du 23 mai dans les îles du Vent - Tahiti et Moorea -, c'est la voie parlementaire qui est envisagée pour rendre possible une nouvelle consultation. Dans le cadre des négociations conduites à Paris, un accord de principe a été signé entre Gaston Flosse et Oscar Temaru sur la tenue d'élections générales dans les territoires. Mais la proposition de M. Flosse d'attendre dix-huit mois pour les futures élections générales a soulevé, encore une fois, l'inquiétude.
Aujourd'hui, force est donc de constater que la résolution de la crise en Polynésie devra encore attendre. Les discussions entamées à Paris ont, en effet; été suspendues, après le départ de Gaston Flosse pour Papeete.
Face à cette crise profonde, le gouvernement français doit intervenir, madame la ministre, en tant que garant de la démocratie et de la justice. Il doit permettre aux Polynésiens de s'exprimer.
Las de la corruption des dirigeants de Papeete, de l'absence de démocratie et de l'accroissement des inégalités sociales qui ravagent leur archipel, les Polynésiens désirent un changement radical. Il est de notre devoir, madame la ministre, de les aider à opérer ce changement. Il est donc désormais urgent de laisser au peuple polynésien, et à lui seul, le libre choix de sa destinée.
Mais j'en viens, madame la ministre, au budget de votre ministère pour 2005, qui s'élève à 1, 71 milliard d'euros et enregistre donc, apparemment, une hausse de 52 % par rapport au budget voté en 2004. Cependant, ainsi que vous l'avez vous-même reconnu, madame la ministre, il ne s'agit que d'une progression artificielle. En effet, cette hausse est uniquement liée, comme l'a rappelé ce matin M. Henri Torre, rapporteur spécial, au transfert sur le budget de l'outre-mer de crédits destinés à compenser les exonérations fiscales de cotisations sociales dans les départements d'outre-mer, lesquels étaient jusqu'à présent inscrits au budget du ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale.
En réalité, une comparaison à périmètre constant entre le budget 2004 et le budget 2005 permet de constater que ce dernier s'élève à 1, 032 milliard d'euros. Il est donc en diminution de 7, 9 % par rapport au budget 2004.
De manière générale, les différentes lignes budgétaires accusent une stagnation, voire une régression si l'on prend en considération une inflation prévisionnelle de 1, 8 % en 2005. Concrètement, le budget pour 2005 constitue, madame la ministre, un véritable budget de régression sociale et de désengagement de l'Etat.
Plusieurs évolutions inscrites dans ce budget ne peuvent susciter que l'inquiétude.
Ainsi, les moyens des services, qui représentent 8, 7 % du budget, devraient être de 148 millions d'euros, ce qui traduit une baisse de 23 % par rapport à 2004. A cet égard, le maintien de personnels et de moyens de fonctionnements suffisants pour mener à bien les missions du ministère semble fortement compromis.
La réduction de près de 90 millions d'euros - donc de presque un tiers - des crédits du FEDOM, le fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer, est elle aussi très préoccupante. Alors que l'emploi est supposé constituer une priorité du budget 2005, on peut s'alarmer, madame la ministre, lorsqu'on constate la nette diminution qui affecte le FEDOM, sur lequel sont financés les contrats aidés. Cette mesure s'inscrit, conformément à la logique libérale de votre gouvernement, dans le cadre de la diminution des crédits pour l'emploi.
Par ailleurs, il faut relever la diminution sensible des crédits affectés aux activités culturelles, sportives, sociales et aux activités de la jeunesse, ou encore à la subvention au fonds d'investissement des départements d'outre-mer. Il ne s'agit que de quelques exemples, mais il est important de les relever au moment où l'on nous présente un projet de budget qui affiche la volonté de mettre en oeuvre des mesures à caractère social.
Vous avez indiqué, madame la ministre, que, dans le cadre de la politique de l'emploi, la priorité portera sur le développement de l'emploi dans le secteur marchand. Nous refusons, bien entendu, la logique d'un Etat minimal que sous-tend cet objectif. Au contraire, l'Etat devrait occuper une place importante dans l'outre-mer : la politique de l'emploi ne peut pas reposer simplement sur le secteur marchand.
L'essor de l'emploi doit s'effectuer dans le secteur public et le secteur privé, sans quoi il n'y a pas de développement durable possible. Nous regrettons, madame la ministre, que votre projet de budget ne le permette pas.
Le logement est présenté comme le deuxième axe prioritaire de ce projet de budget. Il s'agit, selon nous, plus que d'une priorité, d'une nécessité impérieuse. L'accroissement de la population, la formation de nombreux jeunes ménages et la croissance des villes rendent nécessaire la construction d'un grand nombre de logements. En effet, le parc actuel est précaire et insalubre,
On constate outre-mer à la fois l'insuffisance du nombre de logements et la persistance d'un habitat insalubre, qui prend parfois la forme de véritables « bidonvilles ». Pour remédier à cette situation catastrophique, il est nécessaire de multiplier les efforts en faveur de la construction de logements sociaux et de la résorption de l'habitat insalubre.
Comment atteindre, madame la ministre, l'objectif de 1 000 nouveaux logements sociaux, quand ce budget se contente de maintenir le niveau d'effort des années 2002 et 2003 ?
Le désengagement opéré par l'Etat dans le domaine du logement a un effet encore plus pervers quand les engagements de l'Etat sont brusquement abandonnés.
A cet égard, la commission des finances de l'Assemblée nationale a fait part de ses inquiétudes quant aux difficultés rencontrées avec la gestion des crédits de l'outre-mer en 2003 et 2004 et sur la ligne budgétaire unique consacrée à la politique du logement. En effet, pendant plusieurs années, l'intégralité des crédits inscrits sur cette ligne n'a pas été consommée en fin d'exercice, ce qui a généré d'importants reports. Le ministère a donc choisi, en 2002 et 2003, de concentrer l'effet des mesures de régulation budgétaire sur cette ligne, entraînant des annulations de crédits importantes et brutales.
Aujourd'hui, les crédits de paiement sont devenus insuffisants au regard des engagements ; des factures impayées sont en instance dans les directions départementales de l'équipement pour un montant global de 20 millions d'euros, comme vous le savez, madame la ministre, alors que 26 millions d'euros de crédits sont gelés en 2004.
Vous prétendez que ce projet de budget favorise également la continuité territoriale. Il s'agit en effet d'un enjeu essentiel pour le développement économique de l'outre-mer et pour l'amélioration du sort des ultramarins vivant en métropole.
En réalité, les crédits n'augmentent que d'un million d'euros dans ce domaine et la dotation pour le passeport mobilité stagne. Or la flambée, depuis trois ans, des prix du transport aérien sur les liaisons aériennes ultramarines pénalise fortement le rapprochement des familles ainsi que le tourisme outre-mer, et l'on ne voit pas comment, dans ces conditions, le principe de continuité territoriale pourrait ne pas être privé de toute effectivité.
L'instauration d'une vraie continuité territoriale passe notamment par l'imposition d'un prix plafond des billets d'avion et la mise en place de tarifs sociaux. Nous regrettons, à cet égard, que le dossier des coûts du transport aérien vers l'outre-mer continue de stagner.
Nous sommes également opposés à votre volonté de faire contribuer les collectivités d'outre-mer au financement de la continuité territoriale. Nous considérons que cela va à l'encontre de la solidarité nationale. Il est nécessaire que l'Etat prenne ses responsabilités face aux abus patents des compagnies aériennes en les obligeant à mettre un terme aux pratiques tarifaires abusives.
A cet égard, on sait que le problème, tant pour les ultramarins que pour l'Etat lorsqu'il paie les billets au titre des congés bonifiés, tient à la situation de quasi-monopole dont Air France bénéficie aujourd'hui. Il est désormais indispensable, madame la ministre, d'imposer des obligations de service public à cette compagnie pour instaurer une continuité territoriale effective.
Concernant le système des congés bonifiés, qui permet aux personnes originaires de l'outre-mer travaillant en métropole de bénéficier, tous les trois ans, de billets d'avion et de deux mois de congés bonifiés outre-mer, vous avez indiqué, madame la ministre, que ce système pourrait être prochainement remplacé par un autre système plus soucieux de l'équilibre budgétaire. Lequel ?
Nous refusons que le système des congés bonifiés soit la cible d'une remise en cause plus générale des droits statutaires des fonctionnaires ultramarins.
La réforme projetée par le Gouvernement s'inscrit dans la ligne des rejets massifs par les employeurs publics des demandes de congés bonifiés et du versement des indemnités d'éloignement des agents. Aussi, nous demandons, madame la ministre, que la transparence sur le contenu et les enjeux de cette réforme soit totale.
Ce projet de budget pour 2005 consacre l'accentuation des désengagements de l'Etat. La solidarité nationale se désagrège toujours plus. Certains ont parlé d'un budget courageux : je ne partage pas cette appréciation. Le sentiment d'abandon, ressenti durement depuis deux ans par nos concitoyens, est consacré officiellement avec votre projet de budget.
C'est la raison pour laquelle le groupe communiste républicain et citoyen votera contre ce dernier. §