Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la Guadeloupe vit un hivernage douloureux. Des pluies exceptionnelles ont causé des inondations à répétition, particulièrement en Côte-sous-le-Vent, provoquant des dégradations importantes du réseau routier et des habitations privées.
Le 21 novembre 2004, un séisme d'une magnitude rare a frappé la Guadeloupe, particulièrement les Saintes, archipel dans l'archipel, dont les deux communes souffraient déjà des handicaps liés à ce que l'on qualifie désormais de « double insularité ».
Sans une intervention tout à fait exceptionnelle de l'Etat, à la mesure de la gravité des événements, ce séisme pourrait enfermer Terre-de-Haut et Terre-de-Bas dans une troisième insularité. Ces « îles-communes » seraient dès lors menacées à terme de mort.
Madame la ministre, je sais que je parle à une convaincue. En effet, dès le lendemain du séisme, nous étions, vous et moi, ainsi que Mme Michaux-Chevry, sur le même vol transatlantique qui relie Paris à la Guadeloupe.
Je tiens ici à vous féliciter : les habitants de Terre-de-Bas ont apprécié la présence rapide de l'Etat, représenté par votre personne.
Je vous sais également gré de votre décision d'accorder une aide d'urgence exceptionnelle de 200 000 euros aux sinistrés. Mais c'était avant votre visite à Terre-de-Bas et l'évaluation rapide des dégâts à laquelle vous avez pu personnellement procéder à cette occasion, madame la ministre, vous a sans doute montré que nous sommes encore très loin du compte.
C'est d'autant plus vrai que vous n'avez pas pu visiter Terre-de-Haut : des pans entiers du « Pain de sucre » ont été précipités dans l'Atlantique ! Je vous l'assure, le préjudice subi, tant en ce qui concerne les édifices publics que les constructions privées, y est au moins équivalent à celui qui a été subi par Terre-de-Bas.
Madame la ministre, mes chers collègues, avant de poursuivre mon propos, je veux rendre un double hommage, et je suis heureux de pouvoir le faire ici, au Sénat, où je prends la parole pour la première fois, et prendre ainsi à témoin les membres de notre Haute Assemblée.
Tout d'abord, je m'incline respectueusement devant la population des Saintes pour son courage et pour le sang-froid dont elle a fait preuve dans des circonstances qu'on ne peut souhaiter à personne.
Je veux ensuite distinguer deux hommes dont le comportement exemplaire honore tous les élus. Ce sont deux modestes maires : Fred Beaujour et Louis Molinié. Leurs communes font partie des plus petites de l'archipel. Mais je reconnais humblement que, moi-même, maire de la plus grande ville de Guadeloupe, j'aimerais pouvoir affirmer qu'en de telles circonstances, face à une telle adversité, j'aurais su agir avec un égal discernement, avec le même dévouement, avec autant d'efficacité, en somme avec un tel altruisme. Des maires de cette trempe me remplissent d'une légitime fierté, car ce sont les héros républicains d'aujourd'hui.
Si j'en parle en ces termes, madame la ministre, c'est que de tels hommes, de tels élus ne méritent pas qu'on les abandonne sitôt passée l'émotion, les attentions et les bonnes intentions des premiers jours.
C'est pourquoi je demande qu'aux Saintes l'action de l'Etat soit exemplaire, d'autant qu'il s'agit de deux petites collectivités, représentant à peine la population d'un îlot d'immeubles d'un quartier de Paris. Je demande donc que la reconstruction des bâtiments publics les plus symboliques de la République - mairies, écoles - soit prise en charge à 100 % par l'Etat.
C'est avec en mémoire ces images de désolation, mais aussi avec espérance que j'ai examiné, madame la ministre, le projet de budget que vous nous présentez.
C'est aussi avec un esprit ouvert que j'ai étudié ce projet de budget, avec le souci d'y trouver réponse à nos attentes légitimes et à celles de nos populations.
Globalement, madame la ministre, je crois en votre volonté d'établir le meilleur budget possible avec les moyens qui vous sont consentis. Toutefois, en la circonstance, je dois déplorer les limites étroites du possible. En effet, que ce soit en valeur absolue ou en valeur réelle, non seulement votre budget n'augmente pas mais il diminue - on l'a dit avant moi - et, avouons-le franchement, le transfert de crédits venus d'autres ministères provoque une « enflure » qui ne saurait faire illusion.
S'agissant des deux priorités affichées par l'Etat, l'emploi et le logement, si je ne méconnais pas les efforts accomplis depuis quelques années par différents gouvernements, je ne peux, pour autant, être satisfait du résultat.
Tout d'abord, sur la question majeure de l'emploi, il est vrai que nous connaissons un frémissement heureux depuis quelque temps, avec notamment une baisse du chômage outre-mer alors qu'il progressait en métropole.
Mais, hélas ! les taux de chômage recensés par l'INSEE restent très nettement supérieurs à la moyenne nationale. Cela fait si longtemps que cette situation inacceptable dure qu'elle a fini par sembler normale. Non, madame la ministre, 30 % de chômeurs, ce n'est pas normal ! L'affirmer, c'est sans doute la première étape de la lutte qui reste à conduire contre ce fléau.
J'ai noté qu'à défaut de pouvoir augmenter les moyens vous aviez la volonté, madame la ministre, à travers la globalisation des crédits relatifs aux emplois aidés, de renforcer l'efficacité du dispositif général en y introduisant plus de souplesse.
Mais, pour atteindre cet objectif, il faut accroître l'accessibilité aux différentes mesures en intensifiant la bataille de l'information auprès des jeunes, des chômeurs et des petites entreprises. Pour ce faire, il faut notamment exiger une démarche plus volontariste des administrations dans la promotion de ces mesures auprès des publics concernés.
Quant à votre deuxième priorité, le logement, vous savez qu'en Guadeloupe, par exemple, 21 000 habitations, soit 15 % du parc, sont classées insalubres. Cela représente les deux tiers de l'habitat insalubre des départements français d'Amérique. Or je ne trouve pas dans le projet de budget des facteurs susceptibles d'entraîner l'éradication, dans des délais raisonnables, de ce véritable fléau, source par ailleurs d'inégalités supplémentaires de toute nature.
Les efforts en faveur du logement méritent donc d'être renforcés. Des dispositifs tels que la location-accession gagneraient à être davantage promus, car ils s'adressent à des populations de niveau intermédiaire, un peu laissées-pour-compte. De même, on attend encore que le prêt à taux zéro joue le rôle pour lequel il a été instauré.
Ces dispositifs ont le mérite d'exister, madame la ministre, mais il faut se fixer des obligations de résultat dans leur mise en oeuvre.
Toujours à propos d'habitat, je veux exprimer une inquiétude, voire une déception. Elle concerne la régularisation de la situation des ménages habitant dans la zone des cinquante pas géométriques. Cette régularisation, prévue pour la énième fois par la loi du 30 décembre 1996, ne donne pas, une fois de plus, les résultats escomptés. Moins de 1 000 dossiers ont été déposés en Guadeloupe, pour 10 000 cas estimés. Vous avez d'ailleurs avoué que, compte tenu des délais inhérents aux procédures de cession, aucune aide n'a été accordée en 2003 dans le cadre de ce dispositif.
Cet échec repose pour une large part sur l'importance du nombre de refus de validation, que les requérants soient porteurs à titre personnel de leurs titres de propriété ou que leurs droits découlent de ceux de leurs ascendants, acquis depuis parfois plus d'un siècle.
En définitive, après de précédentes opérations de validation ratées- notamment celles qui avaient été engagées par le décret du 30 juin 1955 -, nous sommes restés au point de départ, ou presque, et la précarité reste la règle en Guadeloupe, dans cette zone du littoral déjà bâtie. L'Etat doit donc impérativement reprendre la main dans ce dossier, qui doit fort opportunément prendre le train de la nouvelle loi sur le littoral. Je pense même que notre Haute Assemblée devrait se saisir de ces questions, le cas échéant en créant une mission d'information parlementaire.
Si je reste sur ma faim s'agissant des deux priorités définies par le Gouvernement, vous imaginerez aisément, madame la ministre, que je sois amené à souligner également d'autres motifs de déception pour nous, élus d'outre mer.
Vous savez mieux que quiconque les difficultés financières auxquelles sont confrontés les conseils municipaux des communes d'outre mer. Qu'il me soit permis d'affirmer ici solennellement que l'idée selon laquelle les maires de Guadeloupe et leurs conseils municipaux seraient moins aptes que leurs homologues exerçant sous d'autres cieux à remplir leurs fonctions ne saurait raisonnablement prospérer dès lors que l'on prend en compte la réalité du contexte dans lequel ils évoluent.
Très clairement, dans une situation de chômage massif telle qu'elle a été évoquée tout à l'heure, les maires qui nous ont précédé, voilà vingt ou trente ans, furent des précurseurs dans le traitement social du chômage. En effet, il est bon de rappeler que, à cette époque, l'indemnisation du chômage n'avait pas cours chez nous, le RMI n'existait pas, et il a fallu mettre en oeuvre des recrutements sociaux, qui se traduisent aujourd'hui par des sureffectifs chroniques.
C'est dans un tel contexte que l'Etat, fort généreusement bien sûr, a décidé de réduire la précarité dans l'emploi public, notamment en 1996, 1998 et 2001. Dès lors, comment ignorer les effets mécaniques de ces dispositions légales, qui ont plongé les communes dans une recherche d'équilibre budgétaire frisant la mission impossible, sachant que le passage des agents de la situation de contractuel au statut de fonctionnaire entraîne un surcoût de 40 % sur la rémunération des personnels ?
De plus, toutes nos municipalités doivent supporter le choc des frais d'approche sur leurs achats, qui s'élèvent, chacun en convient, à près de 20 %.
Tout cela pour vous dire, madame la ministre, que la détermination de nos dotations globales ne prend pas suffisamment en compte ces éléments discriminants. Et, même avec la réforme projetée de la dotation globale de fonctionnement des communes, le compte n'y sera pas, car le problème de fond demeure : l'inégalité intrinsèque.
Madame la ministre, puisque vous êtes parfaitement informée de ce problème, acceptez-vous de franchir le pas, de mettre la question à plat ? Les élus de la Guadeloupe sont prêts à entreprendre une opération vérité qui ferait la part entre le handicap et d'éventuelles décisions de gestion inadaptées. L'économie et la société guadeloupéennes souffrent des difficultés des communes. Il faut donc traiter ce mal-là aussi.
Voilà qui me conduit à vous dire que les Saintes constituent un condensé de la Guadeloupe tout entière. J'appelle donc votre attention, solennellement là encore, sur l'urgence d'une mise aux normes actuelles des bâtiments publics, une majorité d'entre eux - notamment les écoles, les mairies, les églises - datant de plus d'un demi-siècle. On ne peut pas attendre dans l'inertie que la catastrophe survienne, alors que l'on sait que les communes n'ont pas les moyens de relever le défi de la sécurité de leurs administrés face aux risques majeurs.
C'est un défi que l'Etat doit relever avec nous, et de façon urgente.
Toujours dans le prolongement de la question des dotations financières, vous savez, madame la ministre, que les communes de Guadeloupe ont un contentieux avec l'Etat.
Le bien-fondé de notre revendication est établi puisque, saisie par trois communes, la juridiction administrative a admis cette dernière. Dès lors, pourquoi ne pas commencer par nous rendre ce qui nous est moralement et juridiquement dû ? Là encore, il est urgent que l'Etat agisse en toute équité.
Dans ce même registre, je vous dirai, madame la ministre, que, dans votre projet de budget, vous effleurez la question de la continuité territoriale. C'est bien, et je devrais vous en féliciter, mais les montants affectés sont si faibles que je me demande comment nous allons véritablement avancer. Je pense qu'il n'est pas normal que les régions d'outre-mer soient obligées de faire l'effort !