Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, deux dépêches d’agence de presse publiées lundi fixent parfaitement le cadre du débat qui nous préoccupera pendant les deux ou trois jours prochains.
La première précise, à propos de la situation de la banque britannique Royal Bank of Scotland : « Le cours de la banque britannique Royal Bank of Scotland, RBS, a cédé jusqu’à 71, 18 % lundi après-midi à la Bourse de Londres, tombant à 10 pence, après qu’elle eut annoncé qu’elle pourrait perdre jusqu’à 28 milliards de livres, 31 milliards d’euros, en 2008. »
Une seconde dépêche, publiée dans l’après midi de lundi dernier, jour noir pour certains, rapporte que le CAC 40 a continué de dévisser, clôturant sous les 3 000 points.
La Commission européenne elle-même a indiqué que le produit intérieur brut de la zone euro devrait reculer de 1, 9 % en 2009.
Au troisième trimestre 2008, la zone euro est déjà entrée en récession, laquelle se définit par deux trimestres consécutifs de baisse du PIB. Mais, en 2009, elle devrait connaître la première contraction de son économie sur l’ensemble d’une année depuis sa création, voilà tout juste dix ans, et elle sera de taille !
Bruxelles, un peu avec la foi du charbonnier, anticipe ensuite un léger redressement de la situation, avec une croissance de 0, 4 % en 2010.
Toujours selon Bruxelles, toutes les grandes économies de la zone euro devraient être affectées, avec des reculs du PIB de 2, 3 % en Allemagne ou de 1, 8 % en France cette année.
On notera que cette prévision est parfaitement contradictoire avec le cadrage macroéconomique défini tant dans la loi de finances initiale pour 2009 que dans les deux collectifs, celui du mois de décembre et celui que nous examinons aujourd’hui.
En outre, la Commission prévient : « De grandes incertitudes pèsent encore sur ces prévisions, l’économie mondiale traversant sa crise la plus grave depuis la Première Guerre mondiale. »
La véritable incertitude, serait-on tenté de dire, portera sur l’amélioration de la situation en 2010, la seule certitude étant la chute à court terme de l’activité et les suppressions d’emploi qui iront avec.
Cette récession généralisée devrait s’accompagner d’une hausse du taux de chômage de près de trois points dans la zone euro entre 2008 et 2010. Il devrait atteindre, selon ces pronostics 10, 2 % en 2010, dépassant ainsi les 10 % dans la zone euro pour la première fois depuis 1998. Dans certains pays, l’envolée sera spectaculaire. En Espagne, qui bat tous les records, il devrait passer à 18, 7 % contre à peine plus de 8 % en 2007. En France, il devrait monter jusqu’à 10, 6 %.
Cela signifie, monsieur le ministre, qu’en dépit de moult manipulations de la statistique publique vous ne pourrez pas masquer la réalité : notre pays comptera plus ou moins 3 millions de chômeurs à la fin de l’année.
Après la liquidation de milliers d’emplois sous contrat à durée déterminée et celle de milliers de contrats d’intérim à cause de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA, nous allons avoir plan social sur plan social dans l’ensemble des secteurs d’activité, de l’industrie aux services en passant par la construction !
Dans ce contexte, l’Union économique et monétaire apparaît gravement atteinte, chaque pays appliquant le bon vieux précepte du « Chacun pour soi, Dieu pour tous », qui consiste à surenchérir en permanence dans l’engagement des deniers publics au soutien de marchés et d’un secteur financier en pleine panade.
C’est vrai pour le Royaume-Uni, qui, certes, n’est pas dans la zone euro, mais dont la devise se dévalue aussi rapidement que fond le pouvoir d’achat des retraités britanniques résidant dans notre Sud-Ouest ; mais c’est aussi vrai pour la France.
À ce propos, où en est-on de la mise en œuvre du plan de refinancement voté lors du collectif d’octobre, et quels résultats peut-on tirer des premiers mois d’activité des deux structures dédiées, créées par l’article 6 de ce collectif budgétaire à 360 milliards d’euros?
En tout cas, la détérioration de la situation d’une banque comme Natixis, peu de temps après la révélation de l’affaire Madoff, montre la gravité du mal dont souffre notre économie.
Le titre Natixis a ainsi perdu près de 85 % de sa valeur en un an, et l’action ne vaut plus aujourd’hui qu’entre 1, 15 euro et 1, 20 euro...
Et, pendant ce temps, les plans sociaux, par absence de trésorerie disponible, commencent à se multiplier, le phénomène touchant tous les secteurs d’activité.
La cohérence du maintien coûte que coûte d’une parité élevée pour l’euro est directement mise en question par une telle dégradation de la situation économique.
M. Joaquín Almunia a beau repousser les craintes d’un possible « éclatement » de la zone euro, illustrée par l’intensité de la crise et la hausse des déficits, ou marquée par l’abaissement de la notation financière de l’Espagne, après celle de la Grèce, la démonstration est pleinement faite que les choix monétaristes contenus dans le traité établissant une Constitution pour l’Europe et dans le trompeur mini-traité ou traité de Lisbonne ajoutent leurs effets dévastateurs à une situation déjà détériorée.
En ce début d’année 2009, où le débat européen va encore rebondir en fonction de l’attachement des citoyens européens à participer aux élections de juin prochain et du comportement éventuel des électeurs irlandais, que l’on presse d’accepter le texte de Lisbonne, j’invite tous ceux qui soutiennent l’actuelle construction européenne à s’interroger et à procéder à une véritable analyse critique de la situation.
Soyons clairs, et passons de L’Aveuglement à La Lucidité, à l’exemple du grand écrivain portugais José Saramago, pour qui le processus de construction européenne actuelle est en voie d’échec.
Eu égard aux intentions affichées, il ne fait ni la preuve, ni la démonstration de son efficacité sociale et économique, bien au contraire ! Et ce processus de construction que l’on affuble du nom d’Europe n’apparaît de plus en plus que pour ce qu’il est, c’est-à-dire une soumission de l’ensemble de la société à la sacro-sainte économie de marché.
Paradoxe sans doute : c’est à Lisbonne, dans l’un des pays les plus directement vulnérables de l’Europe, que l’on a signé ce traité, présenté comme la version light du TCE et qui n’en est que le copier-coller.
Laissons la parole, pour le coup, à José Saramago, sur le processus mis en œuvre. Selon lui, « Les peuples n’ont pas élu leurs gouvernements pour que ceux-ci les “offrent” au marché. Mais le marché conditionne les gouvernements pour que ceux-ci leur “offrent” leurs peuples. Avec la mondialisation libérale, le marché est l’instrument par excellence de l’unique pouvoir digne de ce nom, le pouvoir économique et financier. Celui-ci n’est pas démocratique puisqu’il n’a pas été élu par le peuple, n’est pas géré par le peuple, et surtout parce qu’il n’a pas pour finalité le bonheur du peuple. »
Cette grande voix de la littérature lusophone et européenne est à mon avis dans le vrai, monsieur le ministre !
Nous en avons d’ailleurs l’illustration patente tous les jours, dans la politique menée par ce gouvernement et concertée, pour certains aspects – nous avons dit à quel point ils étaient limités –, au niveau européen.
Pour ne citer qu’un exemple, M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances à l’Assemblée nationale, envisage de consacrer, au travers d’un paquet de mesures diverses portant sur le RSA ou la prime pour l’emploi, un milliard d’euros – j’insiste sur ce montant ! – au pouvoir d’achat des ménages, quelques mois après avoir voté, sans sourciller plus que cela, 360 milliards d’euros pour sauver les banques ! Comment ne pas trouver cela indécent ?
Comment ne pas remarquer, dans les deux textes que nous avons à examiner, que la crise économique grave que nous traversons et qui dévalue à vitesse grand V les discours ronflants de la campagne présidentielle, sert de prétexte à mettre en œuvre, encore une fois, des mesures ne concernant que quelques intérêts très déterminés ?
Nous avons fait l’expérience, depuis le printemps 2007, de la vassalisation des politiques publiques au service d’intérêts privés et nous ne cessons de dénoncer ces procédés dans cet hémicycle.
La loi de modernisation de l’économie, que la tornade de la récession économique semble devoir éparpiller au vent, ne contenait-elle pas de nombreuses mesures favorables à quelques grands groupes du bâtiment comme Bouygues, quelques opérateurs de téléphonie comme Free ou Numéricâble, quelques acteurs de l’audiovisuel comme Lagardère ou Bolloré ?
Les créations d’emplois promises par la loi semblent, quant à elles, se faire attendre !
Au contraire, 206 postes vont être supprimés à Radio France Internationale, qui a d’ailleurs été regroupée de force avec France 24 et TV5 au motif de constituer une seule structure pour l’audiovisuel extérieur de la France !
Dans le cadre de la « loi Albanel » sur la réforme de l’audiovisuel public, nous venons de constater à quel point le travail législatif pouvait se trouver soumis à la seule loi du marché et mis au service des intérêts très particuliers de grands groupes privés !
La même remarque vaut d’ailleurs pour l’un des points saillants de la loi de modernisation de l’économie : l’ouverture à la concurrence du livret A, et la distribution de ce produit d’épargne par tous les établissements de crédit, à commencer par ceux qui avaient porté plainte contre le prétendu scandaleux monopole de la Poste et des caisses d’épargne devant la Commission européenne.
À peine votée la loi de modernisation de l’économie, Paribas, ING Direct ou Crédit Agricole ont mené une intense campagne publicitaire pour attirer le chaland, se répandant en offres alléchantes, avec des taux de rémunération garantis supérieurs à 5 %, c’est-à-dire au-delà du taux du livret A !
Cette campagne publicitaire omettait bien entendu de parler du problème posé par la fiscalité pesant sur l’épargne en question et consommant 27 % du taux de rémunération claironné par les messages les plus alléchants.
Je ne sais pas si l’affaire a provoqué l’ouverture d’un grand nombre de livrets A sur les réseaux bancaires banalisés. Dans un entretien accordé lundi à la presse économique, le patron de la Banque Postale évoque la migration de moins de 3 000 livrets A de la Poste vers d’autres opérateurs.
Toujours est-il que, un mois après l’ouverture de la chasse à l’épargnant, voici que l’on procède à la révision à la baisse du taux de rémunération, ramenant brusquement ce dernier de 4 % à 2, 5 % !
Pourtant, vous chercherez toujours, monsieur le ministre, à justifier cette mesure, et vous aurez au besoin le soutien de Mme Boutin, dont le projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, déclaré d’urgence, n’a pas encore été examiné par l’Assemblée nationale quatre mois ou presque après son passage ici !
Mais la vérité commande de le dire, au-delà de la prétendue divergence entre Matignon et l’Élysée sur le nouveau taux, c’est une pure escroquerie qui est ici mise en œuvre. On a bel et bien, à la demande expresse de quelques établissements financiers, ouvert à la concurrence la distribution du livret A. Cela visait à ce que la clientèle soit attirée autant que possible par les autres réseaux.
Évidemment, comme tout a une raison en ce monde, le but de l’opération est connu : inviter les épargnants soudain refroidis par la baisse du taux à engager leur épargne sur d’autres produits. Et pourquoi pas à la Bourse ? En effet, si le CAC 40 diminue et la valorisation des titres se réduit, les dividendes ne semblent pas devoir s’orienter à la baisse, bien au contraire !
Nous attendons de voir ce qui va être fait, derrière les rodomontades du Président de la République en la matière, pour que bonus, dividendes et autres accessoires de rémunération tendant à devenir le principal de celle-ci cessent d’être distribués dans les plus grandes entreprises, notamment dans celles qui vont procéder cette année à quelques plans sociaux.
Rien dans ce collectif budgétaire comme dans ce plan de relance ne traduit de rupture profonde concernant les choix politiques et économiques à l’œuvre depuis trop longtemps dans notre pays. Ces choix résonnent avec les aspects pris, sur le sol français, par la crise économique dont nous commençons à voir les effets.
La crise semble fournir le prétexte et l’habillage nécessaire pour aller encore plus loin dans la soumission de la loi aux intérêts privés, au mépris de l’intérêt général.
J’ai écouté Mme et MM. les ministres, ainsi que Mme et MM. les rapporteurs. Or, je n’ai rien entendu concernant les ménages, aucune mesure visant à traiter les causes profondes de la crise, aucune remise en cause des critères de gestion et de financement qui sont à la source de la financiarisation et de cette crise !
Considérant que vous allez en rajouter à la crise, que la première urgence est de sécuriser les salaires et les emplois face à des actionnaires qui veulent faire payer la crise au monde du travail, que les profits des dividendes versés aux actionnaires ne sont pas mis à contribution, que les salaires et le pouvoir d’achat populaire qui seraient un efficace soutien à la demande ne sont pas pris en compte dans ce plan, que rien n’est fait s’agissant de la santé comme du logement, qui nécessitent pourtant une intervention, que vous continuez à faire des cadeaux à l’image du paquet fiscal que vous refusez d’annuler, nous nous opposerons sans la moindre équivoque à ces deux lois à la fois inutiles et néfastes pour la grande majorité des habitants de notre pays !