Monsieur le ministre, j’ai toujours cru que le pouvoir ministériel commandait à l’autorité administrative. Si j’ai bien entendu mon illustre prédécesseur, ce ne serait plus le cas, ce que je regretterais !
Certes, la crise doit être dominée, mais nous ne croyons pas à la crédibilité de votre projet. Notre jugement se fonde essentiellement sur deux raisons principales : d’une part, vous refusez de prendre en considération la véritable origine de la crise et, d’autre part, tout en faisant des collectivités territoriales des « acteurs majeurs de la relance », selon l’expression de M. Marini, vous les maintenez dans des incertitudes qui hypothèquent leur mobilisation. Tels sont les deux points que je développerai.
En ce qui concerne la véritable origine de la crise, une vérité s’impose : depuis quelques années, le partage des revenus dans notre pays est devenu de plus en plus inégalitaire et injuste. Nous assistons – cela n’est ni de la théorie ni du virtuel, mais bien la réalité – à une baisse de la part des revenus liée au travail et à une augmentation de celle qui est tirée du capital.
À titre d’exemple, les dividendes versés aux actionnaires en 2007 représentaient 12, 4 % de la masse salariale, contre 4, 4 % en 1982. Vous connaissez les conséquences de ce mouvement : l’investissement stagne, le pouvoir d’achat fait de même ou recule, les ménages et les collectivités s’endettent. Un nouveau rapport s’est établi entre les actionnaires et les dirigeants d’entreprise, qu’illustre – Mme Bricq l’a rappelé –l’évolution de la rémunération de certains d’entre eux.
Je voudrais brièvement rappeler l’évolution historique du pouvoir dans l’entreprise.
Jusqu’aux premières décennies du XXe siècle, nous avons affaire à des patrons propriétaires qui vont utiliser intelligemment la société anonyme par actions, n’hésitant d’ailleurs pas à faire appel à l’idéologie démocratique pour opérer la concentration des capitaux.
Dans un second temps, ces patrons propriétaires feront confiance à des managers salariés. Ces derniers mettront en place des logiques d’expansion industrielle et sauront passer avec les organisations syndicales un compromis social fondé sur un partage des gains de productivité. Des réformes fiscales, sociales, statutaires favoriseront cette négociation.
Arrive ensuite le temps – nous y sommes actuellement – d’un nouveau libéralisme : la logique financière l’emporte sur la logique industrielle ; les managers font alliance avec les investisseurs institutionnels ; le compromis social est rompu ; une nouvelle connivence s’instaure. De nouveaux modes de rémunération se mettent en place avec les bonus, les stock-options, les parachutes dorés, les « retraites chapeaux » et les actions gratuites.
Toutes les tentatives « autogérées » de moralisation ont échoué : du rapport Viénot au nouveau code de conduite MEDEF-AFEP en passant par le rapport Bouton et un précédent code de 2003.
Le législateur n’a pas su ou voulu imposer une norme éthique, seule capable de donner une assise solide à l’action économique, qu’il s’agisse des lois de 2001, de 2005, de 2006 ou de notre dernière loi de finances.
Mes chers collègues, nous sommes face à un problème non pas de bonne gouvernance, mais de justice sociale et d’efficacité économique. Toutes les études montrent que, au cours des vingt dernières années, les salaires les plus élevés des entreprises du CAC 40 ont substantiellement augmenté. Le Bureau international du travail s’en est ému dans un rapport récent : « Les faits démontrent que l’évolution de la rémunération des dirigeants a été à la fois un facteur d’accroissement des inégalités et d’inefficacité économique ».
Que vous le vouliez ou non, l’assainissement de notre économie doit emprunter différentes voies de contrôle, de lutte contre les paradis fiscaux – on ne cesse de le rappeler –, de choix en faveur de l’investissement et de la recherche.
Quant à la relève du défi des rémunérations excessives, elle passe par la fiscalité et le renforcement du principe progressif. Si certains parmi vous ont des doutes, je les renvoie à la période du New Deal, qui a montré que des législations fiscales importantes n’empêchaient pas le développement de grandes entreprises et le rayonnement du capitalisme.
J’en viens aux collectivités territoriales, qui sont dans l’incertitude. Je sais que nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet.
Ces collectivités territoriales, que nous connaissons bien, exercent pleinement leurs responsabilités. J’en veux pour preuve tous les partenariats que l’État ne cesse de tisser avec elles dans les secteurs les plus divers, y compris régaliens. Toutefois, pour que ces collectivités assument pleinement leurs responsabilités, monsieur le rapporteur général, il faut que leur futur soit assuré, qu’il soit lisible et qu’elles aient confiance en leur avenir.
Pour entreprendre – c’est vrai pour les collectivités territoriales comme pour les chefs d’entreprise –, il faut savoir ce dont demain sera fait. Or, aujourd’hui, c’est l’incertitude qui domine.
L’incertitude quant à l’existence des collectivités territoriales a été créée par le Président de la République. Ce dernier voit en effet dans le nombre et l’enchevêtrement des compétences de nos collectivités locales une source d’inefficacité et de dépenses supplémentaires. Il a ainsi déclaré : « Je pense que 2009 doit être l’occasion d’une réflexion, d’un débat et d’une concertation approfondie sur la question des communes, des communautés de communes, des départements et des régions ».