Intervention de Yannick Botrel

Réunion du 21 janvier 2009 à 21h45
Loi de finances rectificative pour 2009 — Suite de la discussion de deux projets de loi le second étant déclaré d'urgence

Photo de Yannick BotrelYannick Botrel :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les deux projets de loi soumis à notre assemblée procèdent d’un constat : nous sommes entrés dans la crise économique et rien à ce jour ne permet d’en indiquer le terme.

Dans nos communes, les élus locaux en mesurent déjà les conséquences chez nos concitoyens les plus défavorisés. Les travailleurs sociaux des conseils généraux font état d’une fragilisation accélérée du tissu social. La crise était financière, elle est devenue économique ; n’oublions jamais qu’elle est aussi, et pour beaucoup de Français, une crise sociale.

Comme le montrent les indicateurs économiques, les défaillances des entreprises sont en augmentation sensible, le chômage repart à la hausse, passant la barre des 8 %. Pour faire face à cette situation, le Président de la République et son gouvernement proposent la mise en œuvre d’un plan de relance de l’économie.

Nous devrions tous souscrire à une telle initiative, d’ailleurs commune à tous les pays industrialisés, destinée à soutenir l’activité économique. Encore faudrait-il qu’elle soit dépourvue de toute arrière-pensée et à la hauteur d’une situation sans précédent depuis de nombreuses décennies.

Je ferai deux observations.

Première observation : le plan de relance, qui représente 1, 3 % du PIB sur deux années, se révèle en l’état insuffisant. Il est très en deçà des préconisations du FMI, qui situe l’effort nécessaire à 2 % du PIB, en deçà également des indications, pourtant moins ambitieuses, de la Commission européenne qui place la barre à 1, 5 % du PIB.

Si l’on compare le plan de la France à ceux des autres pays industrialisés, on constate que les efforts engagés le classent dans la catégorie des plus modestes. À cela s’ajoute qu’il se compose, pour une large part, de financements déjà engagés, les crédits nouveaux ne représentant que 4 milliards à 5 milliards d’euros.

Sans doute faut-il voir là la conséquence de décisions passées qui continuent à affecter notre capacité d’agir sur la conjoncture actuelle. Il suffit pour s’en convaincre de rapprocher les 26 milliards d’euros annoncés des 16 milliards d’euros du paquet fiscal, dont les effets perdurent, pour juger a posteriori de ce qu’il aurait fallu ne pas faire en 2007.

Seconde observation : on peut douter de l’ambition affichée de voir ce plan de relance injecter réellement 20 milliards d’euros dans notre économie dès 2009. Pour des raisons techniques et de conjoncture, nous serons probablement loin de cet objectif.

J’en viens au projet de loi sur l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés proprement dit, puisque le plan de relance y est pour partie adossé.

À la lecture de ce texte, on est partagé entre perplexité et incompréhension, tant il tient du mariage de la carpe et du lapin ou de l’auberge espagnole. C’est d’ailleurs ce que paraît constater Mme la rapporteure elle-même lorsqu’elle écrit : « De nombreux articles additionnels n’ont pas forcément d’effet accélérateur et n’ont parfois même pas de lien évident avec le texte. »

Ce qui nous est soumis est un assemblage composite de dispositions qui se perdent parfois dans le détail, « un ensemble de mesures qui peuvent apparaître ponctuelles », de l’aveu même de M. le ministre chargé de la mise en œuvre du plan de relance.

Ce texte est aussi fortement empreint d’idéologie puisque, toujours selon M. Devedjian, il s’agit de saisir « une opportunité pour accélérer le rythme des réformes engagées depuis dix-huit mois ».

Si l’on suit le raisonnement qui a présidé à l’élaboration du projet de loi, la réglementation en vigueur est un frein à l’initiative publique et privée. C’est sans doute dans cette optique qu’il faut comprendre les nouvelles dispositions qui sont proposées à plusieurs articles, s’agissant en particulier de l’urbanisme.

Si les règles sont à ce point paralysantes, il est plus que temps de s’en apercevoir. En outre, pourquoi limiter à deux années la portée de certaines dispositions ?

Outre que certaines des mesures proposées sont potentiellement porteuses de contentieux, du fait du délai requis pour leur mise en œuvre, elles ne produiront pas leurs effets avant une période assez longue, ce qui les rendra inopérantes sur la conjoncture, du moins en 2009.

De la même manière, les préconisations en matière d’archéologie préventive ou d’avis conforme de l’architecte des Bâtiments de France démontrent que, à la faveur des circonstances, on cherche davantage un assouplissement qui ne dit pas son nom qu’une mesure de portée économique.

Si la finalité de ces dispositions nouvelles réside bien dans un allègement de la réglementation, il faut le dire et organiser un débat de fond. D’autant que, parallèlement à cet objectif de simplification, l’article relatif à la notion de paysage apporte, quant à lui, une restriction. Il serait pour le moins opportun de préciser clairement ce qu’il recouvre réellement. S’il s’agit de réguler davantage l’implantation des éoliennes, à un moment où de nombreux dossiers se constituent et alors que des collectivités ont pris des délibérations et élaboré des schémas de développement de l’éolien, il faut le dire.

Quant aux règles de fonctionnement des collectivités territoriales, elles sont remises en cause sans que l’on voie nettement le rapport entre les propositions qui sont présentées et la relance économique. La possibilité de donner au président de l’exécutif délégation pour passer des marchés publics sans limitation de seuil est une initiative inopportune. Quel sera le gain d’efficacité de cette mesure ? Dans les faits, le déroulement des procédures sera raccourci d’un mois et, à la clé, les commissions permanentes des conseils municipaux seront transformées en chambre d’enregistrement ; voilà qui promet de beaux débats après coup !

Les collectivités territoriales, cela a été rappelé à maintes reprises, sont porteuses des trois quarts des dépenses publiques civiles d’investissement de notre pays. Quelle place leur accorde-t-on ? Quel rôle veut-on leur faire jouer ?

Comment passer sous silence les transferts de compétences aux départements et aux régions qui n’ont pas été compensés à due concurrence par l’État ? Ainsi, les dépenses liées à l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, qui étaient compensées à hauteur de 49 % en 2002, ne le sont plus aujourd’hui que pour un peu moins de 40 % ? A-t-on évalué l’impact négatif que cela représente sur la capacité d’investissement des collectivités ?

Le reformatage de l’enveloppe normée des dotations de l’État par inclusion dans son périmètre du Fonds de compensation de la TVA, le FCTVA, porte directement atteinte à leur capacité d’investissement, ce que beaucoup d’élus et leurs associations ont dénoncé avec vigueur.

L’État, qui désire qu’elles conservent leur fonction d’acteur économique dynamique, leur propose une anticipation du reversement du FCTVA qu’il leur doit pour les années à venir. En toute hypothèse, cette mesure tient du fusil à un coup.

Comprenne qui pourra cette politique erratique !

D’autres sujets auraient mérité un débat de fond plutôt qu’une discussion précipitée qui n’a pour seule ligne conductrice que la volonté d’apporter des réponses conjoncturelles et d’opportunité.

L’article 5 de ce texte est relatif aux établissements publics de santé. Ces questions seront examinées dans quelques jours lors de la discussion, à l’Assemblée nationale, du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires. D’autres articles concerneront le Grenelle 2. Rien ne contraint donc à la précipitation.

La modification de la procédure relative aux installations classées pour l’environnement suscite d’ores et déjà l’inquiétude sur un sujet particulièrement sensible, qui ne peut être sans conséquence pour la sécurité des populations. Se réserver plus de temps pour en débattre paraît donc tout à fait indiqué.

Plus spécieuse est la proposition de l’Assemblée nationale portant sur la notion de délit intentionnel de favoritisme, à laquelle Mme la rapporteure n’était pas hostile dans un premier temps. Mais comment en juger ? Même si un justiciable soupçonne une telle pratique, il sera incapable de déterminer par lui-même la réalité de la volonté du maître d’ouvrage de favoriser une entreprise donnée. Cela ne diminuera donc en rien le risque de recours. J’ai toutefois cru comprendre que l’unanimité se faisait au sein des groupes de notre assemblée pour s’opposer à cette disposition, voire pour la supprimer.

Que dire enfin de la tentation à laquelle le Gouvernement a cédé de repêcher des propositions qui n’avaient pas été retenues dans la loi de modernisation de l’économie ou d’anticiper sur l’adoption du projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion ?

Le Gouvernement a fait des choix clairs et somme toute sans surprise. Sous le couvert d’un plan de relance, il s’apprête à faire avancer de manière significative sa conception libérale de l’action publique, sans incidences déterminantes sur les conséquences de la crise économique.

Là où il faudrait la solidarité envers les plus modestes et le soutien à la consommation de biens essentiels, j’insiste sur le mot « essentiels », les réponses sont insuffisantes.

Là où les capacités d’investissement des collectivités territoriales dans leur ensemble devraient être efficacement mobilisées, on relève surtout des insuffisances.

Là où, fort de l’expérience récente, l’État devrait affirmer sa présence régulatrice, le Gouvernement ne répond que par la dérégulation.

À terme, le constat est sans équivoque : après un plan de relance sans ambition, voici un projet de loi d’accélération des dépenses hors sujet, disparate, bref, voué à l’inefficacité.

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