Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les collectivités locales interviennent dans tous les aspects de la vie quotidienne.
De plus en plus de compétences leur ont été transférées au cours des années. La loi d’août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales en était une des plus importantes après celle sur la décentralisation.
À ces compétences se sont ajoutés au fil du temps des abandons de responsabilités, particulièrement avec la mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques, ou RGPP.
On pourrait, bien sûr, prendre l’exemple de l’urbanisme où l’on constate l’abandon progressif de la gestion des permis de construire ou encore la réduction drastique des services d’ingénierie de l’équipement qui fragilise les petites communes et intercommunalités et les oblige à trouver d’autres réponses par l’intermédiaire de bureaux d’études ou par l’augmentation des personnels territoriaux.
Quant aux conseils généraux, ils sont devenus, au fur et à mesure de la mise en place de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, du revenu de solidarité active, le RSA, et de la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, de véritables prestataires de services pour les bénéficiaires de ces politiques définies par l’État.
Cher collègue Guené, votre rapport sur cette réalité, établi à l’occasion d’une proposition de loi présentée par notre groupe, mais aussi par le groupe socialiste et par le groupe RDSE, montre clairement que le budget de l’État est loin de compenser ces nouvelles obligations : l’allocation personnalisée d’autonomie est couverte à 30, 8 %, la prestation de compensation du handicap est prise en charge à 60, 4 %, selon les chiffres à partir du bilan de 2009.
Pour les conseils régionaux, la politique des transports engagée a démontré toute sa pertinence, mais, aujourd’hui, le Gouvernement veut pousser ces collectivités dans des financements qui auparavant étaient réalisés par le budget de l’État, celui de la SNCF et celui de Réseau ferré de France, RFF.
Le Gouvernement va même plus loin en les sollicitant pour financer de nouvelles lignes TGV qui ne sont pas de leur responsabilité. Les financements croisés sont tout à fait acceptables, y compris dans le cadre d’un partenariat public-privé.
Pourtant, lors de la présentation de la loi sur la réforme des collectivités territoriales, que n’a-t-on pas dit sur les dépenses inconsidérées des collectivités, ou le poids de leurs dépenses de personnels, sur leur refus de regarder la vérité en face concernant la situation financière de notre pays, son endettement ou le déficit du budget de l’État, sur les méfaits de ces financements de plusieurs collectivités sur un même projet qui, nous disait-on, incitaient les élus à proposer des projets surdimensionnés !
En même temps, vous avez mis en place la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale. Vous avez ainsi fait un cadeau de près de 12 milliards d’euros la première année aux entreprises, soit une perte d’autant pour le budget de l’État ! La compensation par le versement de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, ou CVAE, et la cotisation foncière des entreprises, ou CFE, semblent loin de couvrir le différentiel. Le reste à charge pour le budget de l’État, prévu à hauteur de 4 à 5 milliards d’euros, atteindrait plutôt aujourd’hui 7 à 8 milliards d’euros.
Ce ne sont pas les collectivités territoriales qui sont responsables de ce manque à gagner, ce sont les choix que vous avez proposés.
La suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale, ou CET, n’est pas sans soulever des interrogations.
Ainsi, la contribution foncière des entreprises est sans commune mesure avec la réalité du chiffre d’affaires et nous avons clairement l’impression qu’elle constitue un sérieux problème pour les plus petites entreprises et singulièrement pour celles qui ne sont pas concernées par la CVAE mais dont le revenu est étroitement dépendant de la réalité de son contexte économique.
J’espère que nous aurons bientôt à notre disposition une juste évaluation de la nouvelle contribution dans le secteur artisanal et commercial. Les « remontées de terrain » qui me parviennent me laissent penser que la fiscalité semble peser bien plus sur les plus petites entreprises, les petits artisans et les commerçants que sur les grandes entreprises.
Pourtant, pour celles-ci, la fiscalité n’est qu’une variable ajustée, en tirant parti de tout moyen, au niveau admissible, en interne, au regard des objectifs de rentabilité fixés, ce que beaucoup appellent « optimisation fiscale ».
La financiarisation de l’économie est une réalité prégnante et de plus en plus présente. Elle s’accompagne d’ailleurs, comme chacun le sait, de transformations juridiques adaptées qui ont conduit à séparer les actifs financiers des actifs matériels, les activités de gestion et de stratégie des activités de production, pour aller à l’essentiel.
Des sommes de plus en plus importantes, qui sont pourtant le produit de l’activité économique, ont ainsi fait l’objet de placements divers, ont été cantonnées dans des structures ad hoc, et ont sollicité, à nouveau, la production et l’activité pour les rémunérer.
L’économie a changé sous certains aspects et c’est ainsi que les prélèvements opérés par les structures et circuits financiers sont devenus de plus en plus importants.
Évidemment, à ce stade du débat, vous allez nous demander pourquoi, sur le fond, nous souhaitons mettre plus à contribution les entreprises qu’elles ne le sont aujourd’hui.
Le rapporteur Charles Guené nous dit même que c’est un mauvais service rendu à l’économie en général que de décider d’un nouveau prélèvement, représentant neuf dixièmes de point de prélèvements obligatoires, acquitté par les seules entreprises.
Vous nous reprochez de proposer un texte dont le principal défaut serait de ne pas être exempt de motifs idéologiques, mais vous y opposez en même temps, de fait, une autre idéologie, la vôtre, bien sûr, celle dont la crise financière porte l’échec !
Nous ne voulons pas mettre à contribution les entreprises avec notre proposition. Ce que nous voulons, c’est que le travail des salariés, source unique de création de richesses dans les entreprises, soit en quelque sorte plus correctement rémunéré qu’il ne l’est aujourd’hui.
Il est plus que temps que nous rendions aux salariés eux-mêmes le produit de leur travail.
C’est le sens, entre autres éléments, de la mesure principale contenue dans notre texte.
Dans un pays où les salaires demeurent faibles et où il n’y a pas d’année pendant laquelle il n’a pas été procédé à un allégement de cotisations sociales – c’est-à-dire de suppression d’une partie du revenu socialisé tiré du travail –, il n’est pas forcément mauvais en soi de redonner un peu de sens à l’effort partagé en direction de tous.
Faire contribuer les entreprises, de manière significative, aux efforts accomplis par les collectivités locales en matière de lutte contre l’exclusion sociale, de développement d’infrastructures ou encore de création et d’animation d’équipements publics les plus divers ne semble pas incongru. Vous avez d’ailleurs fréquemment considéré que les efforts réalisés par les collectivités locales avaient constitué de véritables boucliers sociaux pendant la crise grâce aux services publics qu’elles font vivre pour leurs habitants et dont tout le monde reconnaît d’ailleurs qu’ils sont facteurs de réduction des inégalités.
Les entreprises elles-mêmes bénéficient de ces efforts des collectivités quand elles mènent des politiques d’aménagement du territoire et de développement d’infrastructures destinées aux activités économiques. Elles peuvent et doivent donc prendre leur part à l’effort collectif.
Mes chers collègues, pouvons-nous décemment mettre durablement en œuvre des politiques locales en les adossant à des ressources fiscales de plus en plus contraintes et transformées en dotations ?
La taxe professionnelle a été supprimée alors qu’elle était considérée comme un élément de lien entre les territoires et les entreprises. Nous vous proposons d’appréhender la question de la fiscalité des entreprises autrement, grâce à cette proposition de loi.
Depuis quelques années, on nous rebat les oreilles avec cette sorte de dogme, que l’on ne transgresse que lorsque la situation ne peut plus être prise en compte autrement : taxer les entreprises, les faire contribuer serait, par essence, par nature, mauvais pour l’économie, désastreux pour l’investissement et dramatique pour l’emploi.
Mais depuis 1985, loi de finances après loi de finances, et parfois en dehors de celles-ci, nous n’avons pas cessé de voir adoptées des mesures d’allégement des impôts et taxes, tantôt de l’impôt sur les sociétés, tantôt de la taxe professionnelle, sans parler des cotisations sociales.
Ces mesures diverses et variées d’abandon de recettes, de réduction des impôts, ont-elles permis, dans les faits, dans la réalité de l’appareil de production industrielle de notre pays, de créer les conditions de la croissance économique, de la création d’emplois et de l’amélioration de la qualité de vie du monde salarié ?
La réponse est claire, vous la connaissez tous. L’État a abandonné des recettes, creusant d’ailleurs de plus en plus ses déficits, et s’est de plus en plus souvent retourné vers les collectivités territoriales pour leur faire partager le fardeau de ces pertes de recettes. Pour quel résultat ?
Quelque huit millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté dans notre pays, autant de besoins et de sollicitations auxquels nous devons, nous, élus locaux, ensuite répondre, notamment par l’intervention sociale de nos collectivités.
Notre pays compte plusieurs millions de travailleurs précaires, victimes obligées de la flexibilité du travail – celle-ci n’est flexible que pour le patronat et elle est dure à vivre pour le salarié qui la subit. On dénombre également en France près de trois millions de chômeurs officiels, sans doute plus compte tenu des radiations accélérées et des pressions constantes sur les chômeurs pour qu’ils en rabattent sur leurs aspirations et leurs prétentions.
Notre pays connaît aussi depuis plusieurs années un déficit chronique de son commerce extérieur et à la facture énergétique s’ajoute, de plus en plus, un déficit industriel, notamment vis-à-vis de notre principal partenaire européen, à savoir l’Allemagne. Cela signifie que le long pari de la concurrence fiscale, de la défiscalisation compétitive, n’a pas atteint ses objectifs et a même, sous bien des aspects, conduit notre pays aux pires difficultés, mettant notamment en cause ses propres atouts et ses capacités de développement.
Le mouvement de défiscalisation compétitive est allé de pair avec un accroissement constant et permanent de la financiarisation de l’économie, le détournement de la richesse créée vers les placements spéculatifs, l’augmentation constante de la rémunération du capital au détriment des nécessaires investissements dans les nouveaux modes et processus de production, dans l’emploi et la formation des salariés.
Mettre à contribution les actifs financiers, comme nous le proposons, après des années de séparations juridique et comptable – bien encouragées – des unités de production, constitue, de notre point de vue, l’outil nécessaire d’une véritable péréquation.
Pourquoi un tel choix ? Tout simplement, entre autres éléments, parce que la domiciliation juridique des actifs tend à les faire figurer au haut des bilans des têtes de groupe et assez peu dans les plus petites entreprises.
Pour beaucoup de commerçants et d’artisans, les actifs financiers ne sont constitués que du compte en banque, même pas rémunéré, et parfois de quelques placements sur des livrets d’épargne ou quelque chose de semblable. Et comme ce qui valorise ces actifs ne peut pas toujours être clairement localisé, le choix de la péréquation s’impose de lui-même. D’autant que nous sommes tous conscients – enfin, je l’espère – des inégalités de situation entre collectivités et qu’il est nécessaire de mettre en place une péréquation permettant de les corriger. Nous ne pouvons nous contenter des quelques centaines de millions d’euros envisagées pour l’alimenter comme le prévoit la loi de finances pour 2011 si on veut que les collectivités répondent aux exigences actuelles.
Alors, évidemment, le rapport tente de laisser penser que nous avons recouru à l’approximation et que nous avons fait une sorte de cote mal taillée quant à l’affectation éventuelle des ressources nouvelles tirées de la mise à contribution des actifs financiers. Si l’on suit le rapport, nous l’aurions fait de manière sommaire, sans tenir compte de la réalité des efforts accomplis en matière de péréquation ni de celle des besoins de financement des collectivités locales.
Pour la péréquation, permettez-moi de souligner rapidement que, sur le fond, on se moque un peu de ce que nous proposons.
À quelle hauteur sont les fonds départementaux après la loi de finances pour 2011 ? Au mieux à 450 millions d’euros et les autres outils de péréquation mis en œuvre s’élèveront à près de 1 milliard à 2015 selon les estimations que la Caisse des dépôts et consignations nous a données dernièrement. C’est tout de même bien peu et cela souffre en plus des limites d’une péréquation horizontale qui prend aux uns pour tenter de donner aux autres afin d’atteindre ces montants.
Nous souhaitons clairement répondre à cette nécessité et faire en sorte que les prochaines discussions budgétaires nous conduisent à préciser les choses en donnant à la taxation des actifs financiers une première mission claire : celle d’alimenter les fonds départementaux de péréquation, tels qu’ils existent aujourd’hui au niveau qu’ils ont atteint.
Après cette consolidation des fonds départementaux, pour le solde des actifs, singulièrement important et que nous pouvons d’ailleurs faire varier chaque année en loi de finances, il nous est reproché d’avoir fait au plus simple, sans d’ailleurs être allé forcément très loin dans la manière de distribuer les ressources.
Le produit fiscal, fondé sur une assiette large et un taux faible, que nous attendons de la taxation des actifs financiers serait, nous dit-on, supérieur aux besoins de financement des collectivités. Si elles sont mises en situation, avec notre proposition, de disposer d’outils leur permettant de moins recourir à l’endettement, de modérer la pression fiscale sur les ménages, qui va s’en plaindre ?
Moins de dette publique des collectivités locales, c’est moins de dette publique au regard des critères européens et moins de pression fiscale sur les ménages. Cela peut donc signifier de moindres prélèvements obligatoires tout court. Peut-être est-il finalement temps de passer d’une réduction de la pression fiscale sur les entreprises à un petit rééquilibrage de la contribution de tel ou tel agent économique, dégageant des marges de manœuvre pour une meilleure égalité de traitement.
Alors, comme nous n’allons rien éluder, la question des critères de répartition que nous résolvons de manière un peu sommaire par la confection d’un décret ad hoc est en effet posée.
Nul besoin d’être grand clerc pour se douter, si l’on suit un tant soit peu les discussions qui ont lieu en ce moment, que nous avons déjà quelques éléments de mesure des inégalités ou des différences de ressources et de charges entre collectivités.
Les dotations de solidarité, telles que nous les connaissons, reposent sur des critères précis, dont certains nous semblent pour autant discutables et nécessitent, de fait, que nous nous centrions sur quelques données clés comme la réalité du revenu des ménages, celle de l’activité économique, des contraintes territoriales imposées parfois aux collectivités – on pourrait penser à la densité des équipements publics nécessaires sur certains territoires, à l’importance de la voirie et des charges d’entretien en découlant –, mais aussi la réalité du parc de logements locatifs pour établir une juste affectation du produit de notre nouvelle tranche de contribution économique territoriale.
Selon nous, il ne serait pas forcément inutile qu’une forme d’unification des critères de solidarité soit envisagée, à la lumière de cette nouvelle taxation des actifs financiers.
Nous pensons, d’ailleurs, qu’il faudra laisser aux futurs débats parlementaires le soin d’organiser et de régler les critères d’affectation des ressources dégagées, ce qui peut, par exemple, passer par une modification des taux de la clé de répartition.
Mes chers collègues, nous passons bien quelques instants, chaque année, à débattre d’articles budgétaires d’ajustement des compensations versées par l’État aux collectivités locales. Nous pouvons fort bien, à l’avenir, débattre des critères de péréquation de leurs ressources comme de la répartition des sommes mises en péréquation.
Sur la réalité des besoins de financement, permettez-moi aussi quelques mots. Nous ne savons pas encore, au point où nous en sommes, de quelle manière seront fixés dans les années à venir les critères de compensation de certaines charges transférées par l’État aux collectivités locales.
De même, nous devrions normalement avoir, à mon sens, des débats sur les compétences qui devraient être réparties entre nos différentes institutions. C’est en tout cas ce qui était prévu au moment du débat sur la réforme de nos collectivités territoriales.
Quant à l’expérience du RSA, elle montre, s’il en était besoin, – comme celle de l’APA, d’ailleurs – que l’écart se creuse entre les compensations d’État et les dépenses exposées. Si nous n’abordons pas tous les sujets et toutes les façons de les traiter dans la présente proposition de loi, c’est parce que nous savons que des débats doivent venir éclaircir d’autres aspects par la suite.
C’est là une situation qui frappe durement les territoires les plus vulnérables et je crois, monsieur le rapporteur, que votre département fait partie de ceux qui sont structurellement en difficulté, de par la situation de sa population, notamment le déclin et le vieillissement démographique. J’ai pris l’exemple de votre département, mais je pourrais prendre malheureusement celui de nombreux autres.
La recette que nous proposons pour la péréquation pourrait permettre d’éviter l’explosion du budget départemental ou, à tout le moins, sa dramatique rigidification, du fait de dépenses devenant trop « obligatoires ».
Dans un département où le secteur textile a été littéralement liquidé par les stratégies des grands groupes, où l’industrie métallurgique connaît plan social sur plan social, où le secteur agroalimentaire demeure tributaire des décisions prises par les grands opérateurs du secteur, on ne peut, on ne doit rejeter une telle proposition de loi qui vise à donner à la région Champagne-Ardenne, au département de la Haute-Marne, aux communes et structures de coopération qui les associent, des moyens nouveaux pour mieux répondre aux attentes des habitants eux-mêmes.
Comment résumer notre proposition ? L’économie ayant changé, il est temps que notre fiscalité prenne en compte cette évolution, singulièrement caractérisée par l’accumulation de trésors de guerre sans cesse plus élevés, en décidant de taxer les actifs financiers.
Nous le faisons non pas par idéologie mais parce que c’est là une mesure de simple bon sens, traduisant une nécessaire remontée de la contribution directe des catégories sociales les plus aisées comme des entreprises disposant de l’essentiel des ressources destinées à la production de biens et de services.
Quand nous proposons que l’effort sollicité évolue en fonction des choix faits par l’entreprise pour l’emploi et l’investissement, c’est tout simplement un choix politique que le Gouvernement fait régulièrement pour définir sa politique fiscale.
C’est donc de ce point de vue qu’il convient de traiter cette proposition de loi, faire en sorte que nous inversions, pour le bien de l’ensemble de la collectivité, une politique fiscale qui, depuis plusieurs décennies qu’elle est mise en œuvre, n’a rien fait d’autre qu’appauvrir les moyens de l’action publique sans favoriser un développement économique et social équilibré.
Nous disons oui au retour de l’intérêt général par une fiscalité locale adaptée aux réalités de son temps ! C’est le sens de notre proposition de loi. §