Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, malgré la force de conviction dont M. le rapporteur a fait preuve pour nous vanter les objectifs louables de la présente proposition de loi, les insuffisances de celle-ci, voire ses contradictions, la rendent à nos yeux pour partie inopérante. Cette proposition de loi est en quelque sorte un texte de repentance.
En effet, au début de la législature, la majorité a fortement dérégulé le secteur de la grande distribution en réformant les relations entre fournisseurs et distributeurs, ainsi que les conditions d’implantation des établissements : la loi de modernisation de l’économie de 2008 visait tout simplement à libéraliser le secteur pour faire baisser les prix.
Avant d’aborder la proposition de loi, permettez-moi de revenir quelques instants sur le problème des prix. Depuis un an, les prix d’achat aux producteurs laitiers se sont effondrés, alors que les prix du lait en grande surface n’ont, eux, pas baissé. Il en est de même pour le porc et pour le poulet. Tel est le résultat d’une enquête réalisée dans 140 antennes locales par l’association de consommateurs UFC-Que Choisir.
L’association a relevé les prix suivants : le porc, acheté 1, 34 euro le kilo aux producteurs, est vendu 6, 58 euros en rayon ; le poulet, acheté 2, 11 euros le kilo, est vendu 11, 50 euros aux consommateurs ; le lait, acheté 0, 29 euro le litre, est vendu 0, 73 euro.
L’association ne s’explique pas ces différentiels importants. Malgré les promesses de la loi LME, nous ne savons toujours pas comment les distributeurs forment leurs prix et quelles sont leurs marges. Entre les mois d’août 2007 et de juillet 2008, les intermédiaires et les distributeurs ont invoqué l’inflation des prix des matières premières agricoles pour justifier leurs hausses de tarifs. Mais nous le savons parfaitement, les grands distributeurs sont bien plus enclins à répercuter les hausses que les baisses des coûts des matières premières !
Cette enquête UFC-Que Choisir excluait les hard discounters. Pourtant, entre 2007 et 2009, mes chers collègues, toutes les enseignes de hard discount se sont étoffées : Lidl a ainsi ouvert 173 nouveaux magasins, Aldi 170, Leader Price 134, ED 108 seulement, soit une légère progression.
Vouloir lever les barrières à l’entrée du marché afin d’intensifier la concurrence entre enseignes au profit des consommateurs était peut-être louable, mais en réalité, comme nous le redoutions, la loi LME a seulement permis l’explosion des surfaces commerciales en France, notre pays étant pourtant déjà l’un des plus pourvus d’Europe.
La majorité applique des solutions dogmatiques, qui se révèlent catastrophiques sur le terrain.
La progression spectaculaire des magasins de hard discount n’a pas rendu possible les baisses de prix escomptées. Vous vous êtes trompés. Je vous propose donc, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, d’engager ce débat avec une certaine humilité. Je pense qu’elle s’impose. Certes, j’ai noté une volonté politique effective sur cette question, mais de réels désaccords subsistent entre nous.
Aujourd’hui, votre objectif de libéralisation des implantations commerciales a été atteint : toute régulation nationale des implantations a été supprimée et les quelques verrous que vous avez consenti à mettre en œuvre en 2008 n’ont pas permis aux élus de juguler l’explosion, parfois complètement anarchique, des mètres carrés dans les zones commerciales.
Pis, le cafouillage dans la production des décrets d’application et des circulaires correspondantes a eu pour effet de laisser les territoires dans le flou pendant plus d’un an, au grand bénéfice des surfaces qui souhaitaient s’agrandir. Résultat : non seulement les constructions se sont multipliées, mais aussi les agrandissements, parfois de manière totalement illégale.
À l’instar de M. le rapporteur, je pense que la législation de l’urbanisme commercial devrait d’abord être un outil urbanistique d’organisation de l’espace pour les collectivités territoriales, ce que n’était pas la loi de modernisation de l’économie.
La proposition de loi de Patrick Ollier que nous examinons aujourd'hui est une tentative de rectifier le tir. Même si nous souscrivons à la démarche, force est de constater que vous n’utilisez malheureusement pas toutes les capacités qu’offrent le droit européen et les textes nationaux pour doter nos territoires des outils les plus performants.
Certes, monsieur le rapporteur, nous avons l’obligation de respecter le droit européen en matière de concurrence et de liberté d’établissement. Celui-ci interdit les procédures d’autorisation des implantations commerciales qui reposeraient uniquement sur des tests économiques. Toutefois, les textes autorisent également la définition de critères d’intérêt général et d’aménagement équilibré du territoire.
Comme d’habitude, la majorité a une vision très restrictive de l’intérêt général et du service ! En effet, depuis 2002, elle interprète les textes européens de la manière la plus libérale qui soit. Pis, mes chers collègues, vous invoquez la liberté d’installation et de concurrence. Pourtant, lorsque des enseignes différentes sont alimentées par une même centrale d’achat, dans les faits, il n’y a pas beaucoup de concurrence ! La proposition de loi contient-elle des mesures relatives à cette question ? Non !
Cette proposition de loi, qui prévoit d’intégrer le droit de l’urbanisme commercial dans le droit commun de l’urbanisme, devrait permettre, en théorie, de simplifier les procédures d’autorisation. Désormais, seul le permis de construire devient nécessaire.
Le texte généralise le document d’aménagement commercial, le fameux DAC, qui serait adossé aux SCOT et, à défaut, aux PLU. Ce document définirait les grandes orientations relatives à l’organisation du commerce.
En apparence, vous redonnez la main aux élus en leur offrant la possibilité, dans certains secteurs, de définir des règles en vue de l’implantation des grandes surfaces de plus de 1 000 mètres carrés. En revanche, partout ailleurs, en particulier dans les centralités des villes, tout reste permis.
Je regrette donc que, à ce stade, les amendements déposés par les membres du groupe socialiste tendant à inscrire dans la proposition de loi les seuls critères introduisant de réels outils de régulation, à savoir l’abaissement du seuil et le principe d’une validation des permis de construire par le président du SCOT, n’aient pas été retenus.