Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la commission des affaires sociales attache une importance croissante à la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale.
Pour la deuxième année consécutive, elle lui consacre un rapport distinct dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Je souhaite d'ailleurs remercier M. le président de la commission des affaires sociales, Nicolas About, d'avoir proposé l'organisation d'un débat indépendant sur ce sujet, ce qui me semble extrêmement important.
Votre commission a également demandé à la Cour des comptes d'enquêter sur les deux fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante. Les résultats de ses travaux devraient nous parvenir au début de l'année prochaine.
Plusieurs motifs justifient l'intérêt renouvelé que nous y portons. D'abord, le drame sanitaire de l'amiante a des répercussions financières considérables sur la branche. Ensuite, la future réforme de la branche sera nourrie par les travaux de commissions d'experts, les propositions des partenaires sociaux et les réflexions du Gouvernement, qui, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, élabore en ce moment un plan « santé au travail ».
C'est la raison pour laquelle nous avons choisi d'organiser, cette année, un débat spécifique sur la branche accidents du travail et maladies professionnelles, afin de permettre à l'ensemble des groupes de s'exprimer sur ce sujet.
Même si cette branche est de dimension plus modeste que les autres, elle représente désormais un enjeu financier non négligeable puisque ses dépenses, pour 2005, devraient avoisiner les 10, 5 milliards d'euros.
Elle est aujourd'hui confrontée à une situation financière difficile, due essentiellement à la montée en charge des fonds destinés à indemniser les salariés victimes de l'amiante.
A la différence des autres branches de la sécurité sociale, la branche AT-MP devrait connaître une nouvelle dégradation de sa situation financière l'an prochain : on estime son déficit à 704 millions d'euros, en hausse de 200 millions d'euros par rapport à 2004.
Si l'on examine l'évolution des risques professionnels ces dernières années, il apparaît que les résultats sont plutôt encourageants pour les accidents du travail, mais qu'ils sont beaucoup plus préoccupants pour les maladies professionnelles. Le nombre d'accidents du travail diminue en effet régulièrement depuis la fin des années quatre-vingt-dix, confirmant une tendance de longue durée amorcée il y a une trentaine d'années.
Depuis 1970, le nombre d'accidents du travail ayant occasionné un arrêt de travail a reculé d'un tiers. Cette amélioration de la sécurité au travail s'explique grâce aux progrès réalisés par les entreprises en matière de prévention, mais aussi par l'évolution structurelle de l'économie française, qui voit la part de l'industrie lourde diminuer dans l'emploi total au profit d'activités de service, a priori moins dangereuses.
En revanche, le nombre de maladies professionnelles reconnues a enregistré une progression marquée ces dernières années : il a augmenté de 45% en quatre ans. Cette hausse s'explique par l'augmentation du nombre de maladies périarticulaires, qui sont la conséquence de gestes ou de postures de travail nocives pour la santé et, surtout, par la progression des maladies causées par l'amiante.
Si l'amiante a des conséquences dramatiques sur le plan sanitaire, elle a également un impact défavorable sur le plan financier, comme le montre l'analyse de la situation financière de la branche.
Son solde net s'est dégradé de manière rapide depuis quelques années. Excédentaire de 1995 à 2001, la branche accuse un déficit depuis 2002. Malgré la reprise économique en cours, ce déficit devrait augmenter de 40 % l'an prochain.
La branche AT-MP a pâti, ces dernières années, du faible dynamisme de la masse salariale, qui a pesé sur la progression de ses recettes, composées à 95 % de cotisations patronales. En 2005, la masse salariale devrait croître de 4 %, grâce à une conjoncture économique mieux orientée, mais les recettes de la branche n'augmenteraient, elles, que de 2, 7 %, en raison, principalement, de la fin des versements exceptionnels effectués par la CADES, la caisse d'amortissement de la dette sociale, au titre d'une reprise de créance détenue sur le FOREC, le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale.
En tout état de cause, elles ne lui permettront pas de faire face à la hausse beaucoup plus dynamique de ses charges, qui devraient augmenter de 4, 7 % l'an prochain.
Ses charges sont composées, pour les trois quarts, de dépenses de prestations et, pour le quart restant, de dépenses de transfert et de gestion courante : les dépenses de prestations devraient progresser en 2005 à un rythme modéré, à peu près le même que celui de l'ONDAM, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie de 3, 2 % ; les dépenses de transfert devraient, en revanche, connaître une forte augmentation de 12, 1 %.
Ces transferts alimentent, en premier lieu, l'assurance maladie. On considère que certaines maladies professionnelles ne sont pas reconnues comme telles et que les dépenses qu'elles occasionnent sont indûment prises en charge par l'assurance maladie. En guise de compensation, la branche AT-MP lui versera donc 330 millions d'euros l'an prochain.
Une deuxième catégorie de transferts vient abonder les deux fonds de l'amiante : le FIVA, le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, et le FCAATA, le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante. Les dotations à ces fonds sont en forte progression par rapport à 2004 : la contribution au FIVA double, pour passer de 100 millions à 200 millions d'euros, et celle au FCAATA est portée de 500 millions à 600 millions d'euros.
Elles doivent permettre de faire face à des dépenses en augmentation rapide : celles du FIVA, qui s'élevaient à 14 millions d'euros en 2002, devraient atteindre 625 millions d'euros en 2005, selon les prévisions du fonds.
Sur la même période, les dépenses du FCAATA devraient passer de 324 millions à 752 millions d'euros. Ces chiffres laissent à penser que la montée en charge de ces fonds n'est malheureusement pas achevée.
Ce contexte financier tendu rend d'autant plus nécessaire, comme l'a rappelé tout à l'heure M. le ministre, la réforme de la branche.
Pour améliorer sa gestion, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2003 a prévu la conclusion d'une convention d'objectifs et de gestion avec l'Etat.
Si les négociations se sont achevées il y a déjà plusieurs mois, il n'en demeure pas moins que le projet de convention auquel elles ont abouti n'est toujours pas signé, ce qui risque de remettre en cause l'échéancier des engagements prévus. Interpellé sur ce sujet lors de la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale, M. le ministre de la santé et de la protection sociale a toutefois assuré de son intention de la signer prochainement. Je suppose que M. le secrétaire d'Etat lui rappellera tout à l'heure qu'il est nécessaire de la signer très rapidement.
Cette convention fixe comme premier objectif, d'ici à 2007, l'amélioration de la prévention des risques professionnels. La branche sera, en particulier, mieux associée aux grandes orientations de la politique gouvernementale, comme la sécurité routière ou le plan cancer.
Elle entend également améliorer le suivi médical et l'accompagnement des victimes en vue de leur réinsertion professionnelle.
Elle prévoit aussi de lutter contre la sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles par un renforcement du partenariat avec les médecins du travail et les services hospitaliers.
Enfin, la branche s'engage à améliorer son appareil statistique et son système d'information de manière à mieux connaître les risques et à mieux piloter son réseau.
Sur le plan financier, le projet de loi de financement prévoit d'instituer une nouvelle contribution à la charge des entreprises qui ont exposé leurs salariés à l'amiante, afin de compléter les recettes du FCAATA.
Compte tenu du poids croissant des dépenses de ce fonds, la solidarité interprofessionnelle, dont témoignent les versements de la branche AT-MP, atteint à notre avis aujourd'hui ses limites, et il convient de mettre davantage à contribution les entreprises qui sont à l'origine de l'exposition de leurs salariés à l'amiante.
Le montant de cette contribution serait de 15 % du coût de l'allocation de cessation anticipée d'activité sur la période prévisible de versement, c'est-à-dire jusqu'aux 60 ans du salarié. Il serait cependant plafonné à 2, 5% de la masse salariale et à 2 millions d'euros par entreprise. M. le ministre l'a rappelé tout à l'heure, le rendement attendu serait de l'ordre de 120 millions d'euros par an.
La création de cette nouvelle contribution n'épuise cependant pas la réflexion sur les modalités de financement des fonds de l'amiante.
Leur financement pèse de plus en plus lourdement sur la branche AT-MP et il évolue de manière difficilement prévisible, ce qui obère ses chances de retour à l'équilibre à moyen terme.
Une meilleure programmation pluriannuelle des transferts au FCAATA et au FIVA paraît nécessaire, ainsi que la définition d'une clé de répartition équitable de ces charges entre l'État et la branche.
A long terme, la prévention des risques professionnels est, bien sûr, indispensable pour parvenir à limiter la progression des dépenses d'indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Outre les mesures contenues dans la convention d'objectifs et de gestion, plusieurs initiatives gouvernementales récentes sont intervenues en ce sens.
Je pense, d'abord, à la loi de santé publique, qui comporte quatre objectifs relatifs à la santé au travail. Le plan « santé-environnement », présenté le 21 juin dernier par le Premier ministre, prévoit de réduire les expositions professionnelles à certaines substances pathogènes et d'étudier les effets de l'utilisation de substances chimiques dangereuses.
Il sera complété prochainement par le plan « santé au travail » en cours d'élaboration autour de quatre axes : connaissance des risques professionnels ; effectivité des contrôles ; développement de la concertation pour renforcer la prévention ; enfin, incitation à la mobilisation des entreprises en faveur de la santé et de la sécurité au travail, notamment par une réforme du mode de calcul des cotisations.
II me reste à évoquer les perspectives de réforme à plus long terme de notre système de réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles, notamment l'éventualité d'un passage à une réparation intégrale, et non plus forfaitaire, du préjudice subi par les victimes.
Le rapport établi par la commission présidée par M. Michel Laroque en mars 2004 a envisagé quatre hypothèses de réparation intégrale : pour tous les accidents du travail et maladies professionnelles ; pour ceux entraînant une incapacité permanente ; pour ceux entraînant une incapacité permanente supérieure à 10 % ; pour ceux entraînant une incapacité permanente supérieure à 20 %.
Les simulations font état d'un coût compris entre 670 millions d'euros, dans l'hypothèse la plus restrictive et près de trois milliards d'euros pour l'hypothèse la plus favorable.
Dans ces conditions, et compte tenu de la progression rapide des dépenses occasionnées par l'amiante, il paraît difficile d'envisager, à brève échéance, le passage à un système de réparation intégrale, à moins de le réserver à l'indemnisation des cas les plus graves, mais je vous laisse imaginer la difficulté d'appréciation.
Cette étude pourra néanmoins nourrir la réflexion des partenaires sociaux, qui ont été invités, par la loi du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie, à présenter au Gouvernement et au Parlement, dans le délai d'un an, des propositions de réforme de la branche, portant, notamment, sur la réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles.
L'année 2005 s'annonce donc riche en propositions concernant l'avenir de la branche. Il est nécessaire d'agir.
Monsieur le secrétaire d'Etat, sous réserve de l'adoption des amendements que la commission des affaires sociales va vous proposer et qui permettront d'améliorer votre projet de loi, nous voterons ce projet de loi qui nous semble indispensable pour venir en aide à l'ensemble des victimes de ce fléau qu'est l'amiante et qui n'a pas fini de sévir.