Intervention de Michelle Demessine

Réunion du 18 novembre 2004 à 10h00
Financement de la sécurité sociale pour 2005 — Débat sur les accidents du travail et les maladies professionnelles

Photo de Michelle DemessineMichelle Demessine :

Selon le troisième rapport d'activité du FIVA au Gouvernement et au Parlement, les prévisions de dépenses pour 2005 font apparaître un besoin de financement de 300 millions d'euros, compte tenu du solde prévisionnel des dotations et des dépenses à la fin de 2004. Au regard de ces prévisions, il manque 100 millions d'euros pour permettre à ce fonds de pouvoir assumer réellement ses obligations financières.

La hausse prévue de la contribution de la branche AT-MP au financement du FCAATA mérite, elle aussi, quelques remarques.

Tout d'abord, nous doutons que le passage de cette contribution de 500 millions d'euros à 600 millions d'euros suffise à compenser l'accroissement des dépenses du fonds. Le nombre des dossiers à traiter ne cesse de croître, là aussi, et le ralentissement de cette tendance annoncé par le rapport ne correspond pas à la réalité du terrain. Cela doit-il être compris comme une volonté des pouvoirs publics de durcir encore leur politique de reconnaissance des sites amiantés ? C'est la question que se posent les salariés concernés, qui attendent avec impatience cette reconnaissance.

Par ailleurs, rien ne garantit, dans ce projet de loi, qu'un ajustement budgétaire en cours d'exercice puisse venir adapter les moyens du FCAATA aux besoins qui ne manqueront pas de se manifester au fil de l'année.

Il serait pourtant nécessaire et juste d'étendre le bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, afin de permettre aux personnels des entreprises sous-traitantes ou travaillant en régie, aux intérimaires ayant manipulé de l'amiante d'y prétendre. Je reviendrai sur ce point lors de la discussion des amendements.

En outre, vous reconnaîtrez, mes chers collègues, que l'une des sources de financement du fonds, alimentée pour partie par les droits de consommation sur le tabac, pose problème. En effet, si nous pouvons nous en féliciter du point de vue de la santé publique, la baisse de cette consommation risque fort d'amoindrir les ressources du FCAATA. Bien que cette source ne représente qu'une très faible part du financement du FCAATA, cette situation nous éclaire néanmoins sur la pertinence et sur la cohérence du dispositif de financement. Une véritable mise en perspective des besoins et des enjeux de l'exposition à l'amiante serait nécessaire.

C'est sans doute pour compenser quelque peu le manque de réalisme et d'envergure de la politique menée envers la branche accidents du travail et maladies professionnelles qu'est envisagée la création d'une nouvelle contribution, à la charge des entreprises ayant exposé leurs salariés à l'amiante. Une recette de 120 millions d'euros est attendue pour 2005 au titre de cette nouvelle disposition.

Nous devons reconnaître qu'il s'agit là d'une mesure qui correspond mieux au principe de financement des prestations liées aux accidents du travail et aux maladies professionnelles.

Toutefois, le plafonnement de cette cotisation et les modalités d'exonération prévues amoindrissent fortement la portée de cette mesure. En limitant à 2, 5 % de la masse salariale et à 2 millions d'euros le montant de la nouvelle cotisation, vous avantagez une fois encore les plus grandes entreprises, monsieur le secrétaire d'Etat, au détriment des travailleurs victimes de l'amiante.

De la même manière, envisager une exonération automatique des entreprises soumises à une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire est une injustice sociale criante, qui de plus déroge aux règles du code de commerce, lequel prévoit, à son article L. 621-130, que « les créances résultant d'un contrat de travail sont garanties en cas d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ».

S'agissant de l'exposition à l'amiante, comme pour toute maladie professionnelle, la responsabilité des employeurs ne s'éteint pas en raison des difficultés de l'entreprise, et puisque le code de commerce prévoit de garantir les charges sociales afférentes, il n'est absolument pas nécessaire d'envisager l'exonération automatique de cette cotisation. Eu égard à ces dispositions dérogatoires, la nouvelle mesure, pourtant positive dans son principe, se trouve amoindrie dans sa portée et décevante.

Enfin, je souhaite revenir sur le transfert de la branche AT-MP du régime général à la branche maladie de ce même régime. M. le rapporteur ne peut que constater qu'il s'agit là d'un transfert a minima, puisque la commission des transferts, dite commission Levy-Rosenwald, indiquait déjà, en 2002, que la dépense imputée à tort à l'assurance maladie se situait plutôt entre 368 millions et 550 millions d'euros par an. Sans revenir sur les études de l'INVS et du CETAF, je ne puis que relever que nous sommes très loin du compte.

Tant que la sous-déclaration et la fraude en matière d'accidents du travail ne seront pas contraintes par des mesures volontaristes et concrètes des pouvoirs publics, les droits des salariés seront bafoués et les finances de la branche AT-MP, comme celles de l'assurance maladie en général, seront mises en péril. Nous ne pouvons nous satisfaire d'une politique qui passe outre l'urgente nécessité de mettre à niveau les cotisations AT-MP en vue d'inciter, voire de contraindre, les entreprises à assurer une réelle prévention des risques professionnels.

L'actuel régime de cotisation joue à plein dans votre volonté de réduire toujours plus les cotisations sociales. Le niveau général des exonérations s'élève, à ce jour, à plus de 20 milliards d'euros, et il atteindra 24 milliards d'euros l'an prochain. Pouvez-vous nous fournir une estimation de l'efficacité de ces exonérations sur l'emploi ?

Il est grand temps de changer de paradigme. Nous le constatons, aujourd'hui, plus une entreprise comprime l'emploi et les salaires en privilégiant sa croissance financière, moins elle contribue au financement du système de protection sociale.

Nous proposons, pour notre part, de moduler le taux de cotisation patronale en fonction de la part des salaires dans la valeur ajoutée. En favorisant ainsi les entreprises qui investissent dans les ressources humaines, sociales et d'innovation, tout en assurant des ressources pérennes à la protection sociale, cette réforme aurait le mérite de promouvoir, moyens à l'appui, une politique active de prévention des risques professionnels. Car le moins que l'on puisse constater est que, une fois de plus, la prévention reste le parent pauvre de la branche AT-MP. Avec moins de 2 % de son budget consacré à la prévention, on ne voit pas comment cette catastrophe sanitaire que constitue l'amiante pourra être véritablement traitée sur le fond.

A ce sujet, nous nous interrogeons sur la position du Gouvernement français au moment de la préparation de la directive européenne REACH.

Cette directive prévoit l'évaluation des effets sur la santé humaine de plus de 30 000 produits et substances chimiques en libre circulation et pour lesquels nous ne disposons, à ce jour, d'aucun élément permettant de faire de la prévention.

Notre inquiétude au sujet de cette directive est alimentée par le scepticisme, voire l'hostilité, affiché par l'industrie chimique et est aggravée par le fait que ce scepticisme est relayé par des chefs d'Etat et de gouvernement. A cet égard, je vous rappelle la lettre qui a été adressée par MM. Chirac, Schröder et Blair au président de la Commission européenne Romano Prodi.

Pourtant, cette directive concerne directement la santé des salariés et des populations environnantes ou disséminées, qui souffrent de l'absence de prévention. J'évoquerai le cas des habitants de ma région, et surtout de leurs enfants, qui vivent près de l'usine Metaleurop et dont la situation n'a été révélée que voilà deux ou trois ans.

Monsieur le secrétaire d'Etat, pour toutes ces raisons, le groupe communiste républicain et citoyen proposera un certain nombre d'amendements afin d'infléchir votre politique relative aux accidents du travail et aux maladies professionnelles.

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