Intervention de Serge Larcher

Réunion du 8 décembre 2004 à 15h00
Loi de finances pour 2005 — Outre-mer

Photo de Serge LarcherSerge Larcher :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la situation actuelle des finances de l'Etat nous interdit d'espérer une augmentation du budget de l'outre-mer, tant nous savons qu'il ne représente qu'une part minoritaire des sommes consacrées par l'Etat à nos pays.

Le chiffre de 1, 7 milliard d'euros prévu pour 2005 ne me paraît pas devoir faire l'objet de commentaires approfondis, sachant que le « périmètre budgétaire » de votre compétence, madame la ministre, évolue sans cesse. Cette année, les 678 millions d'euros d'exonérations de charges qui sont désormais sous votre responsabilité conduisent à une augmentation apparente sur laquelle personne ne se trompe.

Une question mérite dès lors de vous être posée, madame la ministre : compte tenu des retards que l'Histoire nous a légués, l'Etat consacre-t-il par habitant plus ou moins d'euros à l'outre-mer qu'à la métropole ? J'ose espérer que c'est beaucoup plus, ne serait-ce que pour tenter de compenser les volumes impressionnants de richesses de toutes sortes qui, dans le passé, ont effectué le trajet de l'outre-mer vers l'Europe. S'il en était autrement, l'évolution que l'on peut souhaiter serait alors claire !

Je suis, par ailleurs, parfaitement conscient que les fonds d'investissement de l'Etat, quel que soit leur volume, viendront de plus en plus en accompagnement des efforts réalisés localement, à la fois par les entreprises, les collectivités locales et les autres acteurs socioéconomiques pour faire reculer notre principal fléau, cause de beaucoup d'autres, qu'est le chômage. La responsabilité des acteurs locaux est donc de premier plan quant à l'élaboration de projets de développement globaux et équilibrés visant à soutenir la croissance économique et la cohésion sociale dans le respect de l'environnement.

Que l'on ne nous demande pas, cependant, l'impossible ! Comment, en quelques années, absorber des compétences décentralisées avec des ressources économiques, et donc fiscales, sans rapport avec celles de la plupart des collectivités métropolitaines pour lesquelles les lois de décentralisation ont été conçues ?

L'Etat n'hésite pas à nous transférer collèges, lycées, transports - c'est bien ! -, mais avec des retards d'équipement criants, reconnus par les autorités européennes elles-mêmes, obligeant ainsi les collectivités locales à mettre dans le béton et le bitume des sommes colossales, au détriment d'opérations innovantes et productives. Alors, comment s'étonner que ces collectivités se trouvent en difficulté financière ?

J'en viens, dans ces conditions, à l'analyse du budget de l'outre-mer pour 2005.

Pour ce qui relève de la ligne budgétaire unique, la LBU, madame la ministre, j'ai eu l'occasion, fin octobre, de m'entretenir avec vous sur les conséquences pour le département de la Martinique du gel des crédits correspondants.

Vous avez promis d'obtenir le dégel de 26 millions d'euros et de puiser dans vos dotations pour aider les entreprises martiniquaises confrontées à des difficultés particulières. Malgré un déblocage partiel, nombre de chantiers en construction sont encore aujourd'hui interrompus. Savez-vous que la Martinique enregistre le plus faible taux de LBU par habitant depuis cinq ans ? Il faut absolument remédier à cette situation.

Aujourd'hui, les professionnels de la construction de logements sociaux sont unanimes à reconnaître que l'aide à l'amélioration de l'habitat et le logement évolutif social constituent des réponses durables pour le logement, mais aussi pour l'emploi. Les opérateurs sociaux et les sous-traitants seront d'autant plus enclins à embaucher qu'ils auront reçu l'assurance du versement des crédits de la LBU. Ce n'est malheureusement pas le cas aujourd'hui !

Les enjeux en matière d'habitat sont donc considérables. Mais le Gouvernement procède depuis trois ans, par le biais d'annulations et de gels de crédits, à une baisse régulière des financements de la LBU. Cette baisse se traduit par une diminution importante de la production de logements locatifs sociaux, les LLS. Et le phénomène est amplifié par la rareté du foncier aménagé, qui renchérit le coût de la construction. Résultat, le nombre de logements neufs locatifs sociaux financés en 2003 est le plus bas depuis plus de quatorze ans : 687 logements seulement.

La programmation de la LBU doit être pluriannuelle pour permettre à la filière de mieux se structurer. Il convient également d'opérer un véritable rattrapage proportionnel aux besoins réels de nos populations plutôt que de se fonder uniquement sur le montant de la LBU attribué au cours des dernières années.

En conclusion, madame la ministre, je dirai que la LBU joue indéniablement un rôle d'entraînement de la commande dans le bâtiment avec un effet levier sensible, de l'ordre de un à trois en moyenne, sur le plan économique. Nos départements ont donc besoin d'un montant plus important de LBU, tant en autorisations de programmes qu'en crédits de paiement.

En outre, je tiens à ajouter que, compte tenu des difficultés d'accès au logement des ménages de condition modeste dans les DOM, il convient d'améliorer de toute urgence les modalités d'attribution de l'allocation logement.

Il conviendrait, premièrement, de calculer l'allocation logement dans les DOM selon les mêmes conditions que pour les logements relevant de la zone I - il s'agit de la région parisienne - compte tenu des coûts actuels de la construction outre-mer ; deuxièmement, de revaloriser le forfait « charges » à hauteur minimale de 70 % de celui qui est applicable en Métropole ; enfin, troisièmement, de calculer l'allocation logement en tenant compte de la composition effective du foyer, sans limitation du nombre de parts. Là encore, madame la ministre, c'est une question de justice sociale !

En ce qui concerne maintenant la titularisation du personnel communal, les maires sont prêts à assumer toutes leurs responsabilités pour la réaliser. Toutefois, ils demandent à l'Etat de faire de même, par la mise en place d'une dotation spécifique.

Les trente-quatre maires de la Martinique ont déjà accompli dans leur commune des efforts considérables. Ils doivent à la fois résorber les emplois précaires dans la fonction publique territoriale en titularisant le personnel communal - c'est une mesure de justice sociale - et développer les équipements structurants en répondant aux besoins élémentaires de la population, tout en alimentant la commande publique.

Qui peut affirmer aujourd'hui que nos départements n'auraient pas explosé, notamment dans les grandes agglomérations, si les mairies n'avaient pas cherché à assurer un salaire dans un certain nombre de familles particulièrement nécessiteuses ? Sur ce point, il est impératif que la concertation déjà entamée aboutisse et que des solutions équilibrées soient trouvées très rapidement. En effet, il n'existe pas de pire injustice que de traiter uniformément des populations qui sont dans des situations très différentes. Cela contribue à accentuer les inégalités et à renforcer un sentiment d'exclusion de la solidarité républicaine.

Certes, madame la ministre, lors de la journée consacrée à l'outre-mer, le lundi 15 novembre dernier, vous avez annoncé l'indexation de la DGF à plus 3, 29 %. J'en prends acte. Cependant, une telle indexation ne permettra pas aux communes de compenser les efforts financiers dus à la titularisation. Je vous demande donc de bien vouloir accélérer les études que vous avez engagées pour justifier la mise en place d'une dotation spécifique outre-mer, qui aurait pour objet principal de compenser les retards d'investissements des collectivités ultramarines.

Permettez-moi, madame la ministre, de vous parler maintenant du financement des offices de l'eau. Ils apparaissent clairement dans les DOM comme de véritables agences de l'eau dans leurs fonctions comme dans leurs relations avec les comités de bassin et les autres acteurs du secteur.

Les défis qu'ils doivent relever sont sans commune mesure avec leurs ressources, car ils sont liés à la spécificité des îles bassins et à l'application tardive de la réglementation et de la politique nationale et européenne de gestion de l'eau.

La première loi sur l'eau de 1964 n'a pas été appliquée aux DOM, ce qui a entraîné un retard de plusieurs décennies dans la gestion de l'eau et des milieux aquatiques, aggravé par une forte pollution des sols en Martinique. Aussi, une diminution des crédits affectés aux offices locaux des DOM est particulièrement inopportune. Or il s'agit, en l'occurrence, d'une baisse de 24 % pour 2005.

Enfin, je ne saurais passer sous silence votre politique d'aide à la création d'emplois. A cet égard, on ne peut que regretter la baisse des crédits affectés à l'emploi alors que, me semble-t-il, l'emploi doit être une priorité de ce Gouvernement. Nous n'aurons de cesse de dénoncer le fait que les dispositifs d'aide à l'emploi existants sont trop nombreux, trop changeants pour être vraiment efficaces, et ce malgré les comparaisons flatteuses avec la métropole auxquelles vous vous livrez, madame la ministre, en termes de créations d'emplois.

Les messages émis par les dispositifs d'aide et d'incitation doivent être beaucoup plus clairs et les agences départementales d'insertion pourraient à ce sujet s'impliquer davantage.

Pour ma part, je crois aussi beaucoup à la mise en route de grands chantiers structurants qui permettraient à la fois d'utiliser les profils de main-d'oeuvre effectivement présents dans les fichiers de l'ANPE et de répondre aux besoins de la population.

En clair, madame la ministre, vous nous proposez un projet de budget en baisse qui non seulement asphyxie un peu plus les collectivités d'outre-mer, mais n'apporte pas les réponses adéquates à nos principales préoccupations que sont l'emploi et le logement.

Le Gouvernement prend également le risque de freiner le rythme actuellement soutenu du rattrapage économique et social entre les DOM et l'hexagone. Pourtant, nous savons tous combien les retards restent importants.

En conclusion, je voudrais vous dire, madame la ministre, que nous sommes toujours, comme l'a souligné M. Claude Lise, dans l'attente de la loi organique prévue à l'article 73 de la Constitution, qui ouvre des possibilités d'adaptations législatives et qui permettrait pour le moins de mettre fin à un certain nombre d'aberrations, notamment dans les domaines du transport, du logement et de l'urbanisme.

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