Le Conseil européen de jeudi et vendredi sera fourni. En plus des débats particulièrement importants qui seront consacrés à la gouvernance économique, il traitera de quatre autres sujets : les enjeux du prochain G20, qui se tiendra à Séoul et à l’issue duquel la France assurera la présidence de cette instance pour un an ; la conférence de Cancún sur le climat ; l'organisation, avec nos principaux partenaires stratégiques, des prochains sommets avec l'Union européenne ; enfin, le Conseil devrait, à la suite de la lettre adressée le 30 juin 2010 par le Président de la République au Président de la Commission, et conformément à la procédure fixée par l’article 355 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, adopter la décision transformant le statut de Saint-Barthélemy, qui, de région ultrapériphérique est appelé à devenir un pays et territoire d’outre-mer, un PTOM.
Je n’aborderai ces points que très brièvement, pour concentrer mon propos sur la partie consacrée à la gouvernance économique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, comme vous le savez, la zone euro a traversé cette année la crise la plus grave depuis la création de la monnaie unique.
Sans m’attarder sur le déroulement de cette crise, que vous connaissez, je tiens à rappeler que c’est sous l’impulsion déterminée du Président de la République et de la Chancelière allemande que l’Union européenne a su répondre à la pression très forte des marchés en construisant les « pare-feux » nécessaires qui ont permis de sauver notre monnaie et de préparer une nouvelle avancée dans la gestion commune de nos économies.
Tout d’abord, a été mis en place un plan de sauvetage spécifique de 110 milliards d'euros pour la Grèce, avec 80 milliards d'euros apportés par les Européens, dont la moitié a été prise en charge par la France et l’Allemagne après un vote de leur Parlement respectif.
Puis, une semaine plus tard, a été adopté un deuxième mécanisme européen de stabilisation financière tout à fait exceptionnel : 500 milliards d’euros mis sur la table par l’Europe, dont la moitié, là encore, apportée par la France et l’Allemagne, sans compter les 250 milliards d’euros du FMI.
Dans cette affaire, la Banque centrale européenne a joué un rôle fondamental : en acceptant, pour la première fois, d’intervenir sur le marché secondaire des dettes souveraines, elle a fait preuve de pragmatisme, et surtout d’une très grande efficacité.
Au final, j’ose le dire, la bataille de la stabilisation de l’euro a été gagnée. Elle a consacré les institutions créées par le traité de Lisbonne, en particulier le Conseil européen. Elle a renforcé la solidité du couple franco-allemand.
Elle a surtout révélé, en creux, le besoin d’une « gouvernance économique européenne », que la France a appelée de ses vœux depuis la négociation du traité de Maastricht et que le Conseil européen de juin dernier a fini par reconnaître.
C’est précisément cette question qui sera au cœur du prochain Conseil. Les chefs d’État et de gouvernement y seront appelés à prendre des décisions qu’il n’est pas exagéré de qualifier d’historiques en tirant, conformément aux conclusions du Conseil de juin, toutes les leçons de la crise la plus grave qu’ait connue la zone euro.
Je le souligne d’emblée, la France et l’Allemagne, en raison non seulement de leur implication depuis le début de la crise, mais aussi de la force et de la pertinence des propositions adoptées le 18 octobre à Deauville par le Président de la République et la Chancelière, jouent, dans ce domaine, un rôle moteur, au service, j’y insiste, de l'Union européenne.
Je rappelle que le Président et la Chancelière ont, dès le 21 juillet, à l’occasion d’une contribution commune, formulé des premières propositions concrètes et opérationnelles, permettant notamment de renforcer « la surveillance budgétaire multilatérale », mais aussi d’assurer une « mise en œuvre efficace de la surveillance économique par le biais de sanctions appropriées ».
Certaines de ces propositions franco-allemandes ont déjà été adoptées : les ministres des finances se sont ainsi accordés, le 7 septembre dernier, sur la mise en place d’un « semestre européen », qui consacre l’examen par l’Union européenne des « programmes de stabilité » nationaux, chaque année, au mois d’avril. Cela commencera en 2011.
S’agissant plus précisément du renforcement du mécanisme de sanctions applicables aux États en cas de non-respect du pacte de stabilité et de croissance, sujet qui était au cœur des débats du groupe présidé par Herman Van Rompuy, les propositions franco-allemandes ont été complétées et précisées dans la très importante déclaration adoptée à Deauville le 18 octobre dernier.
Pour avoir travaillé ces derniers jours très étroitement avec nos partenaires allemands – j’étais encore hier avec Guido Westerwelle –, je peux affirmer que le résultat obtenu est, de l’avis de tous, extrêmement solide, équilibré et pertinent.
Après l’Assemblée nationale, hier, et le Sénat, aujourd'hui, j’aurai d’ailleurs l’occasion de présenter cette déclaration demain devant le Bundestag, à la veille du Conseil européen. J’y serai en effet auditionné conjointement avec mon homologue Werner Hoyer. Il s’agit d’une première pour un ministre français des affaires européennes. Le principe d’une audition conjointe des ministres français et allemand devant les commissions des affaires européennes des deux pays est, je le rappelle, l’une des mesures fortes proposées dans le cadre de l’agenda franco-allemand 2020.
Mais venons-en aux travaux du groupe Van Rompuy et à la déclaration de Deauville.
Tout d’abord, j’observe que la France, mais aussi l’Allemagne soutiennent pleinement les conclusions des travaux du groupe.
Il s’agit d’un ensemble de règles, qui organisent la convergence de nos politiques budgétaires et économiques et qui mettent en place des sanctions efficaces pour le cas où un ou plusieurs États membres s’écarteraient des règles communes.
Les attaques survenues contre notre monnaie en 2010 ont mis en lumière le fait que de nouvelles règles disciplinaires étaient devenues indispensables. Ayons la franchise de le reconnaître, depuis l’entrée en vigueur du traité de Maastricht en 1993, vingt-deux cas d’infraction ont été répertoriés, mais jamais le mécanisme de sanctions prévu dans le traité n’a été mis en place.
Pour la crédibilité de notre zone monétaire, un renforcement de nos disciplines communes est aujourd'hui jugé indispensable, aussi bien par l’Allemagne que par la France. Il y va de l’intérêt national comme de celui de l’Europe.
Je veux dire, ici, la gratitude du Gouvernement français à l’égard de M. Van Rompuy. Mandaté par les chefs d’État et de gouvernement, il a su, en cinq mois à peine, soit deux mois avant la fin du délai imparti, présenter à l’Union un ensemble de règles solides, rigoureuses et politiquement fondées.
Ensuite, j’observe que cet ensemble de règles se distingue des propositions que la Commission avait rendu publiques le 29 septembre dernier, dans lesquelles elle proposait un système différent de sanctions quasi automatiques susceptibles d’être imposées aux États membres et fondées sur des critères purement statistiques.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces propositions posaient à nos yeux une série de problèmes.
En premier lieu, la Commission ne faisait aucune distinction entre le volet préventif et le volet correctif du pacte de stabilité et de croissance, et proposait une application généralisée du nouveau mécanisme automatique de sanctions.
En deuxième lieu, les règles proposées étaient beaucoup trop rigides et condamnaient, par avance, toute autonomie budgétaire des États membres.
Enfin et surtout, en troisième lieu, ces propositions réécrivaient l’équilibre prévu dans le traité, qui faisait du Conseil – il ne faut jamais l’oublier –, certes sur proposition de la Commission, l’organe chargé de décider d’imposer des sanctions. C’est l’actuel article 126 du traité. Dans la version proposée par la Commission, celle-ci devenait à la fois le juge, l’arbitre et l’organe de sanctions.
Dans cette perspective, une sanction d’une sévérité sans précédent – les amendes étaient susceptibles d’atteindre 0, 2 % du PNB de l’État membre concerné, soit, excusez du peu, 4 milliards d'euros pour la France ! – pouvait donc être imposée à un pays sans qu’aucune majorité d’États membres ou de population l’ait décidé, sur la base d’une décision de la Commission, qui, dans une hypothèse limite, pouvait n’être soutenue que par une quinzaine de commissaires représentant moins de 14 % de la population européenne.
Cela n’était pas acceptable pour le Gouvernement. C'est la raison pour laquelle nous avons travaillé sur d’autres pistes, à l’instar de la task force Van Rompuy, et nous avons soutenu de façon très étroite les travaux de cette dernière.
Aussi bien la déclaration franco-allemande de Deauville que les conclusions de la task force rétablissent les grands équilibres politiques, tout en renforçant la gamme des sanctions, en ce qui concerne tant le volet préventif que le volet correctif du pacte de stabilité et de croissance.
S’agissant du volet préventif, selon le système proposé à la fois par la France et l’Allemagne et par Herman Van Rompuy, c’est le Conseil, et non la Commission, qui prend la décision d’imposer, à la majorité qualifiée et de manière progressive, des sanctions susceptibles de prendre la forme de dépôts portant intérêt.
S’agissant du volet correctif, la France et l’Allemagne, de même que, là encore, le groupe Van Rompuy, s’accordent sur la nécessité de sanctions systématiques, mais selon une procédure en deux temps : d’abord, le Conseil décide à la majorité qualifiée d’ouvrir une procédure de déficit excessif ; et c’est seulement si l’État n’a pas pris les mesures correctrices nécessaires dans un délai de six mois que la procédure de sanctions est activée.
Le grand apport de la déclaration de Deauville et du groupe Van Rompuy a donc été, je le redis car c’est important, de remettre le Conseil au cœur du processus et d’introduire dans la procédure de sanctions, qu’elle concerne le volet préventif ou le volet correctif, le principe d’une appréciation qui reste fondamentalement politique, tout en élargissant de façon très sérieuse les disciplines et la gamme de sanctions appliquées aux États.
À ces disciplines nouvelles, les dirigeants français et allemand ont ajouté, à Deauville, un autre volet essentiel, qui doit être considéré comme une partie intégrante du paquet proposé, à savoir la révision du traité afin de permettre deux avancées considérables.
Premièrement, nous proposons la pérennisation, dans le traité, du mécanisme européen de stabilisation, embryon du futur « fonds monétaire européen » créé au mois de mai dernier après la crise de l’euro. Je veux rappeler que le mécanisme financier mis en place au printemps dernier avait un caractère transitoire et une durée de trois ans.
Deuxièmement, nous souhaitons une évolution vers des sanctions de nature politique avec la possibilité de suspendre les droits de vote de l’État concerné. Nous pensons en effet que des sanctions efficaces ne doivent pas seulement consister à ajouter des pénalités financières à des États en difficulté de trésorerie ; elles doivent également être de nature politique et susceptibles d’ouvrir un débat entre États membres et au sein de l’État concerné. Nous y voyons le meilleur instrument de dissuasion possible.
Ne nous y trompons pas, ces mécanismes représentent une innovation majeure. Je le répète dans cet hémicycle : ces propositions sont tout sauf un affaiblissement du régime de discipline commune. Il ne s’agit pas non plus d’un accord imposé par les « grands » aux « petits », comme j’ai pu le lire ici ou là, mais bien d’une discipline nécessaire, au service de l’Europe.
On a entendu beaucoup de choses hier, à Luxembourg, après la présentation des dirigeants français et allemand. À ce sujet, permettez-moi de profiter de cette tribune pour ne pas laisser sans réponse un certain nombre de propos déplacés, qui vont paraître demain dans Die Welt, émanant d’une commissaire européenne désormais bien connue en France et qui semble déterminée à poursuivre sa vindicte contre notre pays, en l’élargissant cette fois à l’Allemagne.