Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans un contexte national qui est marqué, pour reprendre des mots bien connus, par « la hargne, la rogne et la grogne », il n’est pas inutile d’observer que, pendant ce temps, la construction européenne se poursuit, et même s’approfondit.
Il y a désormais un effort unanime de redressement financier. Tous nos pays ont dû laisser se creuser leurs déficits pour lutter contre la crise ; aujourd’hui, on se tourne à nouveau vers l’avenir, et chacun comprend qu’on ne bâtira pas l’avenir de l’Europe sur un monceau de dettes.
Au moment de la crise grecque, puis de la menace de contagion à d’autres États, nos pays se sont engagés dans une forme de mutualisation de leur dette publique. La conséquence est que nous sommes désormais responsables les uns envers les autres de l’état de nos finances publiques. Nous ne pouvons pas être indifférents à ce qui se passe chez nos partenaires, car nous nous sommes portés garants pour eux et, en même temps, nous avons envers eux le devoir de tenir nos engagements.
Cette double exigence de redressement financier et de loyauté entre partenaires européens est au centre de la réforme de la gouvernance économique européenne, qui sera le sujet principal du prochain Conseil européen.
Qu’on le veuille ou non, nous avons franchi une étape dans la construction européenne. L’ère de l’isolement budgétaire est révolue. Bien sûr, en théorie, elle l’était déjà depuis l’adoption du pacte de stabilité et de croissance en 1997. Mais nous savons ce qui s’est produit lorsque l’Allemagne et la France se sont retrouvées, à la fin de 2003, clairement en dehors des critères du pacte de stabilité : le Conseil a décidé d’interpréter le pacte avec, disons, une très grande bienveillance.
Je ne dis pas que, sur le principe, les États membres ont eu tort de s’affranchir d’une conception rigide, mécanique, du pacte de stabilité. Mais, dans le contexte de l’époque, cette évolution a été comprise comme reléguant au second plan l’exigence d’une discipline commune. Puis la crise financière est arrivée, entraînant une véritable déstabilisation des budgets des États membres.
Il faut donc repartir aujourd’hui sur de meilleures bases. Et pour cela, il faut tirer les leçons du passé.
Deux choses ont manqué au pacte de stabilité « ancienne manière ».
La première, c’était que les États prennent toute la mesure de leur interdépendance. C’est seulement la crise grecque qui a fait prendre pleinement conscience de cette interdépendance.
La deuxième chose qui a manqué au pacte, c’était la crédibilité. Le volet préventif, il faut le reconnaître, n’était guère pris au sérieux par les États membres. Quant au volet répressif, il reposait uniquement sur le non-respect de deux critères : le déficit et la dette.
La portée du critère de la dette avait été considérablement atténuée lors de l’entrée de l’Italie et de la Belgique dans la zone euro, car chacun savait qu’une dette à 60 % du PIB ne pouvait être qu’une perspective lointaine pour ces deux États. Tout se ramenait donc au respect du critère de 3 % pour les déficits publics, ce qui ne pouvait manquer d’apparaître simpliste. On traitait les finances des États membres comme s’il s’agissait d’automobilistes passant devant un radar. Il n’est finalement pas très étonnant que les sanctions prévues n’aient jamais joué.
Comme l’ont souligné dans leur rapport commun nos collègues Pierre Bernard-Reymond et Richard Yung, le nouveau dispositif devra reposer sur une approche beaucoup plus globale. Il devra non seulement accorder autant d’importance à la dette qu’au déficit, mais aussi ne pas se limiter aux finances publiques. Il devra comprendre également une surveillance macro-économique, car une trajectoire budgétaire n’est pas séparable d’une politique économique.
C’est pourquoi l’aspect préventif du nouveau pacte sera l’aspect déterminant. À cet égard, la déclaration franco-allemande de Deauville a montré la voie.
Non seulement cette déclaration réclame un renforcement simultané de la surveillance budgétaire et de la coordination des politiques économiques, mais encore elle met l’accent sur le volet préventif du pacte. Les sanctions devront pouvoir désormais s’appliquer au titre de ce volet préventif, et pas uniquement lorsqu’un État se trouvera en situation de déficit excessif. C’est une évolution essentielle, qui va donner enfin une véritable crédibilité au pacte.
Imposer des sanctions financières à un État qui est en train de prendre une mauvaise trajectoire est une démarche crédible, car cet État n’est pas encore en situation de déficit excessif. En revanche, on voit bien que la démarche consistant à appliquer des sanctions financières à un État qui est déjà en grave difficulté n’est pas très convaincante. Ces sanctions seront toujours difficiles à mettre en œuvre. Quand quelqu’un se présente devant une commission de surendettement, on ne commence pas par lui infliger une amende !
C’est donc avant tout le volet préventif qu’il faut renforcer, et je crois que ce serait une erreur de se concentrer à l’excès sur le volet répressif, et notamment sur la suspension éventuelle des droits de vote. Pour cette nouvelle sanction, il faut une révision des traités ; cela prendra du temps, et il faudra un accord unanime.
À supposer que cette sanction soit introduite dans les traités, ce sera de toute manière l’arme atomique : elle sera là pour dissuader, car il faudrait des circonstances extrêmes pour mettre ainsi un pays au ban de l’Europe.
Je crois également qu’il ne faut pas se concentrer trop exclusivement sur la question du caractère plus ou moins automatique des sanctions. Quand on entend certains propos, on a l’impression qu’il faudrait que les sanctions soient parfaitement automatiques pour être crédibles. Heureusement qu’on n’applique pas ce raisonnement à la justice pénale !
Toute règle de droit, nous le savons bien, peut devenir absurde si on l’applique de manière purement mécanique. L’essentiel est de déplacer la contrainte vers le stade préventif du pacte, et de disposer à ce stade d’une large gamme de sanctions, de manière à ne pas avoir le choix entre ne rien faire et prendre une sanction disproportionnée.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le pessimisme est une plante que l’on cultive volontiers dans notre pays. Cela nous rend-il plus lucides ? Ce n’est pas rien qu’il y ait eu un accord franco-allemand sur un sujet aussi essentiel que la gouvernance économique, avec des positions de départ aussi différentes. Et ce n’est pas rien que cet accord prévoie « un mécanisme permanent et robuste pour un traitement ordonné des crises dans le futur ». Cela veut dire que nous nous engageons à remplacer le mécanisme provisoire, mis au point durant la crise grecque, par un mécanisme permanent. C’est un pas en avant vers la solidarité européenne dont il faut mesurer l’importance.
En réalité, à l’occasion de la crise financière, qui était une épreuve de vérité, l’Europe est en train d’avancer. Dans ces temps difficiles, il me semble que nous avons là une grande raison d’espérer.
Remettre le Conseil au centre du processus, c’est revenir à une réelle reprise en main du politique dans la conduite des affaires européennes. Je m’en réjouis !