Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec beaucoup d’intérêt que j’ai écouté chacun d’entre vous ; j’essaierai donc de ne pas commettre d’injustice dans ma réponse, sans pour autant être trop long, car je sais que votre programme est chargé et que vous voudrez sans doute poser d’autres questions.
Je commencerai par faire respectueusement observer à M. Bizet et à ceux d’entre vous qui ont évoqué ce point, parfois en des termes quelque peu excessifs – l’un d’entre vous a parlé de « rêve », et j’ai même entendu M. Chevènement créer un inquiétant axe Chevènement-Reding en qualifiant d’ « irréaliste » la décision sur les sanctions politiques ! –, que les sanctions politiques sont déjà prévues dans le traité, à l’article 7.
Lorsqu’un État manque aux obligations fondamentales définies à l’article 2, c'est-à-dire qu’il se trouve en situation de manquement vis-à-vis des droits, alors des sanctions politiques s’appliquent, et il est privé de droit de vote. Ce qui existe pour le cap politique, et qui engage les droits, doit pouvoir exister lorsqu’il s’agit d’une caution.
Car il s’agit bien, ici, de se porter caution des autres ! La discipline commune doit être partagée par tous ; faute de quoi, le système ne fonctionne pas. Dans ce cas-là, une autre logique, que je respecte aussi, entrerait en action : celle des « nonistes » et de M. Chevènement, qui refusent toute monnaie unique.
Cependant, dès lors que nous sommes dans une zone monétaire et que nous en acceptons l’idée, comme l’a fait M. Yung tout à l’heure – ce qui illustre bien le consensus bipartisan qui existe à ce sujet dans votre assemblée –, la rupture de la discipline commune doit entraîner des conséquences.
On ne peut pas dire, comme je l’ai entendu, que les sanctions financières sont inappropriées parce qu’elles viendraient aggraver la situation d’un État en difficulté, et soutenir en même temps que les sanctions politiques sont inopérantes. Si vous écartez les unes et les autres, que vous reste-t-il pour faire en sorte que la discipline soit observée ?
Je souhaite redire très clairement que ce que nous avons fait, en phase avec le groupe Van Rompuy, revient à nous assurer que le politique, qui est dans le traité à l’article 126, soit bien au cœur de la décision. Quand un pays prendra une trajectoire dangereuse pour la pérennité de l’ensemble, il sera prévenu, disposera d’un délai et se verra infliger des sanctions qui, il est vrai, seront automatiques.
Le délai de six mois et la décision politique me paraissent sages, tout comme me paraît sage et, franchement, extrêmement utile – je veux insister sur ce point – le second volet, à savoir le volet franco-allemand de Deauville, l’objectif étant de pérenniser la garantie financière qui, au printemps dernier, a été mise sur pied pour trois ans. Il s’agit vraiment d’une formidable avancée franco-allemande. Je le dirai aussi demain devant le Bundestag !
Souvenez-vous d’où viennent les Allemands ! À Maastricht – qu’on ait été favorable ou non au traité, c’est une autre histoire ! –, les Allemands ne voulaient pas de la moindre garantie accordée à quelqu’un d’autre. Dans le traité figure même explicitement une obligation de non-renflouement. « Si tu es endetté, ta dette est ta dette. Je ne donne pas ma carte de crédit, et encore moins mon code secret ! ». C’est cette logique qui a été changée de façon temporaire au printemps dernier.
Aujourd’hui, les Allemands sont face à un problème juridique : celui de pérenniser ce système contraire au traité ; ils ont une Cour constitutionnelle. Mais ils sont prêts à faire ce geste européen. C’est là qu’est l’évolution et, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à le dire – car c’est aussi mon rôle de secrétaire d'État chargé des affaires européennes – à tous ceux qui, en France où ailleurs, glosent sur le fait que l’Allemagne serait de nouveau en proie à ses démons nationalistes, qu’il y aurait de moins en moins d’Européens en Allemagne car les Allemands croiraient de moins en moins en l’Europe, etc. Que n’ai-je effectivement lu et entendu ces derniers temps sur ce sujet !
Mais vous avez là une preuve tangible de l’axe franco-allemand et du travail du Président de la République et de la Chancelière : l’Allemagne, pour qui ce système a été très difficile à accepter et à mettre en place en pleine crise, est maintenant prête à le pérenniser. Naturellement, cela implique une évolution des règles, car c’est l’inverse qui figure dans le traité.
Ce mécanisme sera l’embryon d’un futur fonds monétaire européen, d’un fonds de garantie européen, et il est extrêmement important que la France et l’Allemagne en soient le cœur !
Quelle a été l’évolution du côté français ? Elle a été considérable aussi. Pardon, monsieur Yung, cela ne s’adresse pas qu’à vous. Nous en étions à dire que le principe était très bien, mais que nous ne voulions pas des sanctions, que cela coûte trop cher, que c’est trop difficile à appliquer et que cela ne fonctionne pas sur le plan politique...
Aujourd’hui, nous sommes prêts à jouer la discipline, car nous avons pris conscience, nous Français, qu’il fallait mettre de l’ordre dans nos finances. Nous nous engageons donc à respecter un certain nombre de règles. Dans un pays qui n’a pas présenté un budget en équilibre depuis trois décennies, c’est une vraie révolution politique !
Pourquoi nous livrons-nous à cet exercice de réduction des emplois publics ? Pourquoi demandons-nous aux Français de travailler davantage ? Croyez-vous qu’à un an et demi des élections les « sarkozystes », le Gouvernement, le Président de la République et les parlementaires de la majorité agiraient brutalement par masochisme politique ? Non ! Nous le faisons parce que c’est notre devoir. Si nous voulons que l’économie redémarre, que notre pays joue sa place en Europe et ne décroche pas par rapport à notre principal partenaire, nous devons « coller » aux recettes qui ont permis à l’Allemagne d’avoir 3, 5 % de croissance cette année.
Je reviens à l’histoire du joueur de flûte et des rats. La comparaison est très jolie. Mais la question est de savoir qui tient la flûte.
Avec la mondialisation, les forces économiques des pays émergents, tels que la Chine, l’Inde, le Brésil et d’autres, pèsent de façon considérable. Ils ont plus faim que nous et travaillent plus que nous. Les équilibres anciens ont effectivement été rompus. La multipolarité sur laquelle nous, Français, glosions tant est là.
Une chose est sûre : nous devons faire des efforts. Mais qui tient la flûte ? La Commission ? Selon nous c’est le Conseil. Monsieur Chevènement, nous essayons de bâtir une politique économique européenne et ce n’est pas simple !
Conseil après Conseil, nous tentons d’introduire les mots « réciprocité », « politique industrielle », « politique énergétique ». Cette dernière notion ne figurait même pas dans l’Agenda. C’est quand même la France qui fait tout ce travail !
Certes, cela ne va pas assez vite et ce n’est jamais assez ! Je comprends toutes ces frustrations. Mais, que voulez-vous, les 500 millions d’Européens ne sont pas tous des Français ! Même des Luxembourgeois ne sont pas d’accord avec nous et nous critiquent ! C’est embêtant... Ne parlons pas des Suédois et de quelques autres qui ne partagent pas du tout ces vues sur la politique industrielle. Mais, petit à petit, elles font leur chemin !
Alors un joueur de flûte qui attire les rats pour faire quoi ? Ignorer la réalité du monde et finir affamés ou faire des efforts pour sauver leur économie ?
Pourquoi croyez-vous que l’Allemagne a une croissance de 3, 5 % tirée par les marchés émergents ? §Parce que ce pays a su faire, voilà dix ans, des réformes de fond – industrie, coût du travail, temps de travail –, avec un gouvernement socialiste d’ailleurs !
Ce sont ces réformes, qui manquent à la France aujourd’hui, que nous entreprenons et qui se traduisent dans notre pays, certes par une croissance plus lente de 1, 6 %, mais par la création de soixante mille emplois au premier semestre et, je l’espère, cinquante mille autres au second. Voilà ce que je souhaiterais voir relayé par tout le monde !
Aux orateurs de gauche, notamment, qui se sont exprimés, je veux dire que le gouvernement français ne fait preuve d’aucune soumission brutale à un modèle que nous avons critiqué. Vous avez eu, monsieur Chevènement, la bonté de rappeler le discours de Davos. Nous ne sommes nullement agenouillés devant le veau d’or néolibéral et si nous faisons des coupes dans les dépenses publiques, c’est non pas par plaisir, mais parce qu’il n’est pas sain pour notre compétitivité, et donc pour nos enfants, de trimballer une dette de 1 600 milliards d’euros !