Intervention de Pierre Fauchon

Réunion du 26 octobre 2010 à 14h30
Débat préalable au conseil européen des 28 et 29 octobre 2010 — Débat interactif et spontané

Photo de Pierre FauchonPierre Fauchon :

Parler de « gouvernance économique », c’est se gargariser de mots : nous en sommes extrêmement loin ! Tout juste parvient-on, tant bien que mal, à adopter des mesures pour faire face aux problèmes financiers auxquels nous sommes confrontés. Comme vous le rappeliez tout à l’heure, monsieur le secrétaire d'État, une gouvernance économique impliquerait à tout le moins des politiques fiscales communes et la gestion en commun d’un certain nombre de dossiers, par exemple les approvisionnements énergétiques ou bien nos relations avec la Chine, auprès de laquelle nous sommes incapables de faire valoir le moindre point de vue, situation passablement ridicule.

Je pourrais ainsi continuer d’égrener les actions qui devraient être menées dans le cadre d’une réelle politique économique européenne, mais le temps me manquerait.

Et que dire des autres politiques ? Au gré de notre débat ont été évoquées différentes questions, notamment celle de la défense européenne. Il est effarant de constater que, face à une mondialisation galopante, à des réalités extrêmement mouvantes et à des enjeux complètement nouveaux, les Européens ont le plus grand mal à être à la hauteur.

J’en suis un peu le témoin : notre pauvre Europe, celle des États-nations chère à notre ami Jean-Pierre Chevènement, après s’être joyeusement suicidée à deux reprises à l’occasion des deux conflits mondiaux qui ont marqué son histoire et avoir ainsi montré à quoi conduisait le nationalisme, aurait pu ressusciter à travers une union réellement dynamique et créative. Or, si celle-ci a pu être telle à certains moments dans le passé, l’Europe paraît terriblement enlisée à ce jour.

Mes propos ne doivent en aucun cas être interprétés comme une critique à l’égard du Gouvernement. J’admire ce qui s’est passé à Deauville : alors que l’on avait depuis quelques mois le sentiment que la situation était bloquée et que les difficultés entre l’Allemagne et la France ne semblaient pas aisément surmontables, il semble que ces dernières aient été aplanies. Certes, elles ne l’ont été que partiellement, mais il faut savoir l’apprécier et se départir d’un certain pessimisme. C’est pourquoi, outre le Gouvernement, je félicite le Président de la République de la part qu’il a prise dans la conclusion de cet accord de Deauville, qui est évidemment une très bonne nouvelle.

J’en viens maintenant à ma seconde réflexion.

Je suis de ceux qui envisagent avec confiance le projet d’accord particulier au sein du traité de Lisbonne, accord aux termes duquel les États volontaires accepteraient de se soumettre à un mécanisme de sanctions consistant notamment en la suppression du droit de vote.

L’idée que l’on puisse retirer son droit de vote à un État associé ne m’effraie pas. Pour autant, je suis bien conscient qu’une telle mesure dérogerait aux règles démocratiques : dans un système démocratique, il paraît difficilement envisageable d’être partie prenante à une association et de perdre son droit de vote. J’objecterai que notre système juridique est en phase de transition entre les structures cohérentes qui demeurent celles des États-nations et une structure européenne en voie de constitution et qui n’a pas encore atteint une telle cohérence. Aussi, dans une telle période, il n’est pas illégitime d’imaginer des solutions surprenantes, sans caractère définitif.

Une solution souple pourrait consister à maintenir à l’État concerné son droit de vote, sans que ce dernier soit pris en considération dans le décompte des voix. Ce faisant, il conserverait le droit de s’exprimer. Il existe donc différentes solutions raisonnables et nuancées, dès lors que, par définition, ceux qui se plieront à l’une ou à l’autre d’entre elles en auront pleinement accepté les termes par un accord particulier. C’est sur un tel accord que doit travailler M. Van Rompuy et que la France et l’Allemagne se sont accordé un délai : cette démarche me paraît excellente.

Yves Pozzo di Borgo a raison d’affirmer que la seule manière de faire sortir l’Europe des Vingt-Sept de l’ornière dans laquelle elle se trouve consiste à développer à quelques-uns, c’est-à-dire entre les États les plus résolus, des coopérations renforcées – appelons-les comme on voudra –, qui soient réellement opérationnelles. J’en suis moi aussi convaincu, et c’est le point de vue que tente de faire valoir la commission des affaires européennes du Sénat. Monsieur le secrétaire d’État, si, à travers cette démarche, vous parvenez à rendre effective cette collaboration, nous ne pourrons que nous en féliciter, car c’est à mon sens le seul moyen pour l’Europe d’échapper à la situation assez pitoyable qui est la sienne.

Je constate donc, pour m’en réjouir, qu’il reste une petite flamme d’espoir. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, de contribuer à l’entretenir : je sais que votre action est loin d’être vaine et que nous partageons les mêmes préoccupations.

Je le répète, mes propos ne se veulent nullement critiques : je dresse un simple constat. Monsieur le secrétaire d’Etat, je forme le vœu que votre démarche aboutisse et que, lors des réunions à venir, vous parveniez à raviver cette flamme si fragile qui est la flamme de l’espérance.

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