Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen de ce projet de loi se déroule à une période où les citoyens de notre pays débattent de l'avenir même de notre société et démontrent leur volonté d'être mieux associés aux choix qui les concernent. La politique énergétique n'est pas déconnectée des préoccupations des Françaises et des Français, leur vie quotidienne en dépendant largement. Les orientations qui seront définies par les parlementaires au travers de ce texte ne pourront donc ignorer le débat qui a lieu actuellement dans tout le pays.
Monsieur le ministre, vous faites la sourde oreille aux revendications des salariés, vous laissez s'envoler les profits, vous organisez la dégradation du pouvoir d'achat de nos concitoyens, vous dénoncez les coûts de la main-d'oeuvre en France au regard de ce qu'ils sont dans les nouveaux pays membres de l'Union européenne, justifiant ainsi les délocalisations, même si, à quelques semaines du référendum, vous avez lâché un peu de lest s'agissant des fonctionnaires. A cet égard, la campagne sur le traité établissant une constitution pour l'Europe montre votre difficulté à accepter l'intrusion des citoyens dans le débat sur le fond de la politique que vous voulez mener.
Or cette question de la construction européenne a tout à voir avec la politique énergétique de la France. Vous le dites vous-même au travers du projet de loi qui nous est soumis : dans la perspective d'un marché intégré européen de l'énergie, « il importe que les pays européens coordonnent mieux leurs politiques énergétiques », et « des décisions majeures en matière de politique énergétique sont désormais prises dans le cadre européen et c'est, en partie, au niveau européen que s'apprécie désormais notre sécurité d'approvisionnement. La France vise donc à faire partager les principes de sa politique énergétique par les pays de l'Union européenne (...). »
Comment une telle déclaration pourrait-elle nous rassurer, quand toutes les décisions que vous avez prises jusqu'à ce jour dans ce domaine de l'énergie se traduisent par un affaiblissement de nos capacités d'intervention ? L'éclatement de l'entreprise publique, son changement de statut pour mieux engager la privatisation en témoignent.
Officiellement, vous avez, monsieur le ministre, pris la décision de ne pas ouvrir le capital de GDF avant le référendum sur le traité établissant une constitution pour l'Europe, tout en ayant signé le décret permettant la réalisation de cette opération. Il a en outre été précisé que celle-ci interviendrait avant l'été, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie « prenant prétexte », selon Le Figaro du 29 avril dernier, « de la mauvaise tendance actuelle des marchés ». Vous savez quelle incidence une telle ouverture pourrait avoir sur le scrutin. Le même journal, rapportant les propos d'un familier du dossier, précisait d'ailleurs que si le « non » l'emporte le 29 mai, « le Gouvernement ne prendra pas le risque de déclencher l'opération, il sera trop occupé à réparer les dégâts politiques ».
Vous savez très bien, monsieur le ministre, que les salariés, comme les usagers, sont très nettement opposés à cette privatisation de GDF : ils vous l'ont signifié à maintes reprises. GDF n'a aucun besoin de financement extérieur, parce qu'un désendettement a été réalisé en 2004 et que son autofinancement réel, de 6, 6 milliards d'euros sur deux ans, est supérieur au chiffre prévisionnel de 5 milliards d'euros ; la seule raison invoquée tient à la nécessité de s'ouvrir à l'étranger, or cette politique d'expansion a déjà montré ses limites et ses dangers par le passé.
Quant aux choix opérés depuis la transposition de la directive « gaz » en 2003, ils font dépendre nos importations d'une multiplicité d'opérateurs privés, ce qui risque de compromettre notre sécurité d'approvisionnement.
Les usagers, que vous nommez « clients », se rendront compte très prochainement des conséquences de votre politique, puisqu'une augmentation de 7 % à 8 % des tarifs serait prévue pour le 1er juillet, après le référendum. Et vous osez affirmer que le principal bénéficiaire de cette politique libérale serait le consommateur ! Vous le savez très bien, elle n'aboutit qu'à faire supporter une charge plus lourde aux usagers qui, vous le reconnaissez vous-même, doivent pouvoir bénéficier d'une politique de solidarité, pour leur garantir l'accès à l'énergie.
Cependant, vous proposez que ce soit les collectivités compétentes qui, dans le cadre plus global de leur politique d'aide sociale, « aident leurs administrés en difficulté à payer leurs factures, quelle que soit l'origine de l'énergie utilisée ». Or des entreprises publiques dont l'Etat actionnaire peut définir la politique sont tout à fait aptes à remplir cette mission de solidarité, sans qu'il soit besoin de se tourner une fois de plus vers les collectivités territoriales. C'était d'ailleurs tout l'intérêt de ces entreprises publiques, où la péréquation a toujours permis que la rentabilité d'un secteur compense les difficultés enregistrées dans d'autres. Mais vous préférez les ouvrir à la privatisation, offrant ainsi aux actionnaires des perspectives de bénéfices qui ne peuvent être compatibles avec une réponse équilibrée aux besoins de tous les usagers.
Dans quelle société voulons-nous vivre demain ? C'est bien la question qui sous-tend ce projet de loi. Ce que nous proposent aujourd'hui ceux qui défendent la concurrence « libre et non faussée », c'est une société qui privilégie essentiellement le profit, une société qui soumet donc l'énergie aux règles de celui-ci, plutôt que de reconnaître le droit à l'énergie pour chacun, quelles que soient ses ressources, quel que soit son lieu de vie.
Une fois de plus, au travers de ce projet de loi, on propose aux Français de dépenser moins, d'économiser l'énergie : c'est la même démarche que pour la sécurité sociale, les Français étant invités à moins se soigner. En fait, on oublie à chaque fois que nombre de nos compatriotes - ils sont plus de trois millions à vivre en dessous du seuil de pauvreté, c'est-à-dire avec des revenus inférieurs à 602 euros par mois - ne sont pas en mesure de réduire leur consommation énergétique.
Cette politique répand déjà partout injustice, misère, chômage. Il s'agit de choix de société fondés sur le « tout profit », incompatibles avec l'intérêt général. Ce remodelage en profondeur de notre société, dont le traité de Maastricht constituait une première étape, le projet de constitution européenne le prolonge, le renforce et tend à le rendre irréversible.
Dans cette perspective, l'énergie étant considérée comme un domaine de compétence partagée, elle serait soumise de façon encore plus forte que d'autres secteurs aux dispositions de la partie III du texte, où il est répété comme un leitmotiv que « la concurrence est libre et non faussée ».
Vous avez d'ailleurs déjà pris les devants en changeant le statut de l'entreprise, en décidant d'en ouvrir le capital pour mieux organiser la privatisation. C'est donc là un débat majeur pour l'avenir de notre pays et de l'ensemble de l'Union européenne. Une vraie coopération entre Etats à l'échelle de l'Europe, voilà bien ce qui permettrait de se donner les moyens d'une nouvelle dynamique industrielle, tout en répondant aux besoins de nos concitoyens dans des conditions acceptables.
La déréglementation dans le domaine de l'énergie a montré son caractère néfaste dans d'autres pays. Plutôt que de poursuivre dans cette voie, réalisons un bilan national et européen des déréglementations, et gelons les procédures d'ouverture des marchés tant que cette analyse n'aura pas été faite.
A travers ce projet de loi, vous voulez franchir une étape supplémentaire dans le processus de libéralisation. Vous parlez de politique de maîtrise de l'énergie, mais l'une de vos principales propositions est de créer des certificats d'économie d'énergie, qui seront des biens meubles négociables. Ils permettront à ceux qui auront les moyens financiers de les acquérir de polluer à loisir.
C'est un système que nous jugeons immoral et cynique que vous mettez là en place. Qui plus est, il risque d'être inefficace économiquement, puisqu'il repose sur votre postulat dogmatique selon lequel le marché serait capable de s'autoréguler. Or tout le monde reconnaît aujourd'hui que notre production n'est pas suffisante, que nous risquons de rencontrer des difficultés de fourniture, ainsi qu'un déficit de capacité de production, à l'horizon 2009-2010.
Par ailleurs, pour une politique énergétique efficace, ne devons-nous pas tenir compte de l'épuisement à terme des ressources fossiles ? On estime généralement que, sur la base de la consommation actuelle, la demande de pétrole pourra être satisfaite pendant encore quarante ans. Toutefois, les avis diffèrent quant à l'évaluation des réserves d'hydrocarbures. La production suit une courbe en forme de cloche, dont le sommet correspond à l'épuisement de la moitié de la ressource. Ce sommet sera atteint avant 2010, ensuite le pétrole sera beaucoup plus cher, et l'on voit combien la maîtrise de cette matière première peut engendrer de conflits. Epuiser une ressource que la Terre nous a léguée après l'avoir accumulée pendant des milliards d'années n'aurait aucun sens !
Il faut donc diversifier la réponse énergétique dans notre pays et ne pas en rester au seul débat sur l'éolien, que les médias ont mis en exergue. L'énergie solaire, parmi bien d'autres sources que je n'énumèrerai pas ici, devrait également mobiliser notre attention
Nous devons aussi faire confiance à la capacité de la recherche à apporter d'autres réponses aux besoins énergétiques. Cependant, il faut lui en donner les moyens. A cet égard, on pourrait considérer que Total, qui réalise des profits exceptionnels, pour une part liés à l'évolution actuelle du prix du pétrole, devrait être largement sollicité pour contribuer au financement de la recherche.