Intervention de Marie-France Beaufils

Réunion du 2 mai 2005 à 21h30
Énergie — Question préalable

Photo de Marie-France BeaufilsMarie-France Beaufils :

L'énergie n'étant pas une marchandise - vous le reconnaissez vous-même, monsieur le ministre -, il est alors difficile d'admettre que seul le marché puisse réguler l'activité économique de ce secteur. De plus, l'énergie n'étant pas stockable, elle exige des investissements à long terme afin de permettre une production supérieure à la demande moyenne pour faire face aux pointes de consommation. Mais votre politique n'a d'yeux que pour le court terme !

La première étape de la libéralisation a déjà fait des victimes : les entreprises ont vu leur facture augmenter en moyenne de 30 % en 2003 - 35, 6 % pour la SNCF ! -, et cela se répercute sur les consommateurs, les usagers.

Monsieur le ministre, votre projet manque d'ambition. Pensez à nos prédécesseurs qui, au lendemain de la guerre, dans un pays exsangue, avaient eu l'audace et la générosité de créer les entreprises publiques, gages de l'équilibre et de la solidarité sur notre territoire. Aujourd'hui, vous les détruisez sans aucun remord !

Ces entreprises ont permis le redressement de notre économie, elles ont contribué au réaménagement du territoire dans des conditions financières que seul le statut public a rendu possibles. Grâce à elles, les coûts de l'énergie ont pu être maîtrisés. Votre projet de loi prévoit « de garantir un prix compétitif de l'énergie » ; je ne suis pas certaine que cette formule ait le même sens.

Selon l'Agence internationale de l'énergie, en 2030, la demande d'énergie mondiale sera 60 % plus importante qu'à ce jour. Nous ne pouvons imaginer que les pays en voie de développement soient bloqués dans leur réponse énergétique par une insuffisance de financement des besoins à la fois de renouvellement et de croissance en Europe.

Une politique énergétique ne peut reposer que sur le long terme. Elle doit s'inscrire dans un projet européen de coopération. Les investissements sont trop lourds pour être supportables sur du court terme. Quant à la sécurité des sites nucléaires, elle est également primordiale. Il faut les moyens de pouvoir l'assurer ! Or ce besoin indispensable de long terme n'est pas conciliable avec les exigences de court terme des actionnaires, qui seront à mettre en oeuvre si la politique que vous proposez à l'échelon de la France et de l'Europe est poursuivie.

Comment ne pas tenir compte des expériences de libéralisation déjà existantes ? Je ne voudrais pas répéter ce que nous avons déjà dit en première lecture, mais ignorer les conséquences désastreuses pour les consommateurs ainsi que pour la sécurité des installations, n'est-ce pas suicidaire pour notre économie ? Comment accepter une politique énergétique à court terme, alors que l'on sait qu'il faut huit ans pour construire une centrale nucléaire et six ans pour une ligne à très haute tension ?

La politique d'investissement d'EDF est obligée d'intégrer l'effort de recherche, mais aussi les prévisions de consommation. Ces investissements ont pu être réalisés grâce à l'existence de la grande entreprise publique EDF-GDF depuis soixante ans. Elle a assuré avec responsabilité la sûreté et la protection nucléaires, même si celles-ci doivent toujours être améliorées, en particulier, comme le rappelait mon collègue Yves Coquelle tout à l'heure, en en finissant avec le système des « nomades du nucléaire ».

« Le mécanisme de concurrence est le plus efficace, lorsqu'il est correctement mis en place, pour inciter les entreprises d'un secteur à améliorer leur qualité de service et à baisser leurs coûts de production. Les réseaux - transports, énergie, télécoms ... - ne font pas exception à cette règle, mais peuvent nécessiter une approche particulière » nous disent les « notes bleues » de Bercy de juillet 2003. Celles-ci n'ont rien à envier au texte de la Constitution européenne, qui mentionne que « les entreprises publiques chargées de la gestion de services d'intérêt général ou présentant le caractère d'un monopole sont soumises aux dispositions de la Constitution, notamment aux règles de concurrence, dans la mesure où l'application de ces dispositions ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur est impartie. »

Avec votre projet de loi, vous proposez que « la France élabore tous les deux ans des propositions énergétiques à l'intention de l'Union européenne visant notamment à promouvoir la notion de service public ». Cette bonne intention que l'on aurait pu vous reconnaître est contrecarrée par les déclarations multiples et variées auxquelles nous avons droit depuis quelques semaines sur la définition des services d'intérêt économique général et leur différence avec les services publics. Je n'irai pas jusqu'à vous rappeler les propos du Président de la République ou ceux du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie à ce sujet.

Monsieur le ministre, nous attendions un véritable projet de loi d'orientation sur l'énergie. Vous nous présentez plutôt un catalogue de mesures paré de bonnes intentions où les termes « inciter », « veiller à », « encourager », « promouvoir », sont autant de déclarations, mais sans véritable moyen d'action.

Le titre Ier A s'attaque d'emblée à la stratégie énergétique, sans même engager de façon préalable une réflexion d'ensemble prenant en compte toutes les questions liées aux aspects géopolitiques, environnementaux ou même à l'épuisement de certaines ressources.

Ce texte de loi devrait insuffler une politique audacieuse pour les cinquante prochaines années. Or il n'est qu'adaptation au système de concurrence.

Il devrait porter une attention particulière aux salariés qui ont construit EDF-GDF depuis tant d'années en harmonisant les conditions de travail des salariés prestataires dans le nucléaire. Il devrait préserver les intérêts des usagers qui ont largement contribué à la politique énergétique de la France.

Monsieur le ministre, votre projet de loi n'est pas à la hauteur des besoins croissants de notre pays pour les prochaines années. Vous voulez obtenir un consensus sur les points techniques en évacuant la question essentielle : celle de faire face aux défis énergétiques d'ici à 2012-2015. Cette politique à courte vue ne garantit pas que le protocole de Kyoto sera respecté.

D'ailleurs, comment pourrait-il l'être quand, malgré vos déclarations d'intention, vous favorisez dans les faits le transport routier, vous détruisez le secteur des transports combinés ? Et ce n'est pas la première desserte privée ferroviaire qui permettra de relancer les dessertes de certains industriels que la SNCF abandonne !

Comment ce protocole et vos objectifs seraient-ils remplis, alors que vous abandonnez toute aide aux transports collectifs urbains, et que ce sont les transports routiers qui sont les plus gros contributeurs à la production de gaz à effet de serre ?

Il est temps que les orientations énergétiques reprennent le bon chemin en se libérant des intérêts privés pour être au service de l'intérêt général. Ce sont les raisons pour lesquelles nous vous proposons, mes chers collègues, de ne pas poursuivre l'examen de ce projet de loi d'orientation sur l'énergie.

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