La grande différence est que cette mutation est réversible : qu'un gigantesque orage magnétique ruine le numérique, nous retrouverons les anciens savoir-faire.
La dissémination des ADN modifiés est, quant à elle, non maîtrisable, irréversible et dupliquable. Elle percute la diversité biologique actuelle, notre bien commun, héritage naturel des aléas de l'évolution et de milliers de civilisations rurales. Cette diversité est adossée à un facteur irremplaçable : le temps, et des milliards d'essais et d'erreurs. Ce bien commun ne peut-être hypothéqué par quelques fabricants avides, aux dépens des générations futures.
Après avoir argumenté sur le fond, je souhaite vous alerter sur la forme.
Contre l'illusoire « avec et sans », nous avons un amendement « liberté sans » et l'amendement du rapporteur « liberté avec ». Un parlementaire distrait mais soucieux de construire une décision équilibrée pourrait se laisser abuser et croire que le bon équilibre est celui du texte « avec ou sans ». Heureusement, aucun sénateur ne suivrait aveuglément son rapporteur, fût-il aussi assidu et compétent que M. Bizet !
Je vous alerte sur les pages 18 et 19 du rapport. On y évoque une société française « tiraillée entre risque et progrès ». Non, monsieur Bizet, ces notions ne s'opposent pas, sauf à considérer que le progrès est nécessairement aveugle ou au service des seuls semenciers ! Le vrai progrès gère le risque, et il est au service de l'homme.
Plus loin, le rapport indique ceci : « Comment affirmer [...] la liberté de ne pas consommer d'OGM quand plus de 60% des nouveaux médicaments sont liés aux biotechnologies ? » Voilà un amalgame instructif, qui confond consommation d'aliments et consommation de médicaments - nous avons d'ailleurs deux agences distinctes, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA, et l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, l'AFFSSAPS. Mais surtout, une telle affirmation assimile subrepticement OGM et biotechnologies. Or, il existe heureusement des milliers d'innovations utiles en biotechnologie, à commencer par les yaourts, qui ne sont pas des OGM. Ces 60 % ne peuvent donc être mis au crédit des OGM !
Je terminerai avec l'argumentaire figurant à la page 19 du rapport et introduisant l'amendement n° 3, que nous allons examiner dans quelques instants, amendement « visant à tenir compte de l'usage très répandu des OGM dans l'industrie pharmaceutique, qui empêche de pouvoir garantir dès à présent la liberté de consommer des médicaments ou des vaccins sans OGM ».
Qui ne suivrait une telle défense de la science au service de la santé ? Le problème est que cet amendement, sous couvert de défense médicale, prive au passage le malade d'information et de choix.
Quant à la fin de sa proposition - le droit de ne pas produire d'OGM -, le rapporteur est vraiment trop bon ! Cette magnanimité pour ceux qui ne passeraient pas sous les fourches caudines des OGM va beaucoup faire rire à Bruxelles, mais ne répond en rien au problème de la non-contamination.
J'appelle donc chacun à reprendre la main et à construire sa propre opinion, car l'amendement n° 3 conduirait, si nous n'y prenions garde, à dérouler le tapis rouge aux multinationales semencières aux dépens de notre agriculture, de notre assiette et des générations futures.