Intervention de Adrien Gouteyron

Réunion du 8 décembre 2004 à 15h00
Loi de finances pour 2005 — Affaires étrangères

Photo de Adrien GouteyronAdrien Gouteyron, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, pour les affaires étrangères :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget du ministère des affaires étrangères pour 2005 témoigne d'une double volonté, d'une double exigence.

La première de ces exigences est de poursuivre la mise en oeuvre des priorités engagée en 2004.

La seconde de ces exigences est de participer à l'effort de rigueur et de réforme souhaité par le Gouvernement et sa majorité.

Ces deux exigences pourraient être contradictoires. Je vais cependant tenter d'expliquer de quelle manière le ministère des affaires étrangères a réussi à résoudre cette apparente contradiction.

Ce ministère est, depuis cette année, à la suite de l'application de la décision du Président de la République, exonéré des mesures de régulation budgétaire. En effet, ces mesures pouvaient nuire à l'image de notre pays à l'étranger, car elles pouvaient entraîner l'annulation d'opérations menées dans le cadre de partenariats avec des acteurs locaux vis-à-vis desquels la France avait engagé sa parole. Ces mesures pouvaient, par exemple, entraîner des retards ou des défauts de paiement, et, de manière générale et à coup sûr, une absence de visibilité pour la programmation des moyens du ministère.

Bien que cette situation ne puisse être totalement imputée aux mesures de régulation budgétaire, je rappelle cependant que le montant des factures impayées pour les investissements immobiliers s'élevait à 11 millions d'euros à la fin de l'année 2003 !

Pour autant, il ne faudrait pas considérer que le ministère des affaires étrangères ne participe pas à la maîtrise des dépenses de l'Etat. En effet, si son budget augmente de 4, 3 %, pour s'établir à 4, 408 milliards d'euros en 2005, cette progression résulte en grande partie de l'inscription de 150 millions d'euros pour le Fonds mondial de lutte contre le sida et de 15 millions d'euros, en provenance du ministère de l'agriculture, pour l'achat de denrées dans le cadre de l'aide alimentaire, désormais intégralement prise en charge par le ministère des affaires étrangères, conformément, d'ailleurs, aux demandes de la commission des finances.

A périmètre constant, les crédits n'augmentent que de 1, 2 %, soit environ 50 millions d'euros, ce qui est nettement inférieur à l'indice prévisionnel de croissance des prix.

Outre cette diminution en volume à périmètre constant du budget des affaires étrangères, on notera que ce dernier est l'un des rares à mettre en oeuvre, de manière stricte, le principe de non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux, ce qui se traduit par cent suppressions nettes d'emplois pour 2005. Ce principe est d'ailleurs mis en oeuvre pour la deuxième année consécutive.

La part des dépenses de fonctionnement dans l'ensemble des dépenses du ministère diminue, ce qui va dans le bon sens.

Dans ce contexte, le ministère des affaires étrangères finance donc ses priorités, pour l'essentiel, par redéploiement de ses crédits, notamment en réformant son réseau, ce qui mérite d'être souligné.

Quelles sont donc ces priorités ?

Tout d'abord, l'effort porte principalement sur l'aide publique au développement, l'APD, conformément à l'objectif fixé par le Président de la République qui souhaite que les sommes consacrées à ce titre atteignent 0, 5 % du produit intérieur brut en 2007. Au regard de cet objectif, la progression des crédits du ministère des affaires étrangères résulte intégralement, et ce depuis plusieurs années, de l'augmentation des crédits consacrés à l'aide publique au développement. Mon excellent collègue Michel Charasse développera tout à l'heure cette partie du budget du ministère des affaires étrangères.

Parmi les autres priorités figure en bonne place la poursuite de la mise en oeuvre de la réforme du droit d'asile. La subvention versée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, l'OFPRA, augmente de 18 % et s'établit à 46, 3 millions d'euros. Elle a donc été presque multipliée par trois depuis l'année 2000. La remise à niveau des moyens de l'OFPRA, notamment en personnels, a permis, mes chers collègues, de réduire à deux mois en moyenne les délais de traitement des demandes d'asile.

Toutefois, la réforme législative du droit d'asile a conduit parallèlement à une forte augmentation des recours contre les décisions de l'OFPRA auprès de la commission des recours des réfugiés. En effet, sur les neuf premiers mois de l'année 2004, ces demandes de réexamens sont en hausse de 210 % par rapport aux trois premiers trimestres de l'année 2003, ce qui est considérable.

L'augmentation de la subvention versée à l'OFPRA pour 2005 est donc destinée à permettre à la commission des recours des réfugiés de disposer de cent vingt-cinq personnes supplémentaires pour réduire à trois mois, contre onze mois actuellement, le délai moyen de traitement des dossiers d'ici à la fin de l'année 2005.

Des progrès ont indéniablement été réalisés avec la réforme, mais plusieurs questions restent posées. Je me contente de les énumérer.

D'abord, les moyens humains supplémentaires seront-ils suffisants pour atteindre l'objectif de réduction des délais d'instruction des dossiers fixé à la commission des recours des réfugiés ?

Ensuite, la possibilité illimitée de formuler des recours contre les décisions de l'OFPRA devant cette commission n'est-elle pas de nature à favoriser un engorgement de cette juridiction ? Poser la question, c'est, me semble-t-il, y répondre !

Enfin, question fondamentale, comment faire pour éviter que les déboutés du droit d'asile ne s'installent durablement sur notre sol, rendant très difficile, en pratique, l'application des mesures de reconduite à la frontière ?

Il conviendra, à l'issue de l'année 2005, d'évaluer la réforme du droit d'asile, afin de mesurer si celle-ci permet, dans l'intérêt de tous, non seulement de l'Etat et des collectivités territoriales, mais aussi et surtout des personnes - nos concitoyens et les demandeurs d'asile -, de réduire sensiblement les délais et de rendre plus effectives les décisions prises.

S'agissant du rayonnement culturel et linguistique de la France, je relève que le nombre d'étudiants étrangers en France, après avoir connu une diminution importante au cours de la seconde moitié des années quatre-vingt-dix, a considérablement augmenté au cours des dernières années, puisqu'il est passé, pour les seules universités, de 122 000 en 1998 à 200 000 en 2003.

Il convient sans doute de faire porter nos efforts sur la sélection des meilleurs étudiants plutôt que de chercher à « faire du chiffre ». Mais les progrès réalisés sont tout de même très significatifs, du point de vue tant de la promotion de l'enseignement supérieur français que de la politique d'attribution de visas d'études et de bourses.

Une autre priorité du ministère est l'amélioration de la sécurité des Français à l'étranger, malheureusement plus que jamais nécessaire. Les récentes émeutes en Côte d'Ivoire ont montré l'importance de garantir à nos communautés expatriées une sécurité maximale. A cette occasion, je veux témoigner de ma solidarité avec nos concitoyens de Côte d'Ivoire, qui ont souffert et qui connaissent aujourd'hui encore les peines et les difficultés matérielles liées à un exil forcé.

Le ministère des affaires étrangères poursuit la mise en oeuvre de sa stratégie ministérielle de réforme. Celle-ci prévoit notamment, d'ici à l'année 2006, l'étude d'un regroupement des services du ministère situés à Paris, actuellement répartis sur onze sites, et ce sans coût supplémentaire grâce à la vente des biens dont le ministère est propriétaire dans la capitale. Elle prévoit aussi la modernisation, d'une part, des procédures de gestion et, d'autre part, des services rendus au public à l'étranger, avec le développement de la téléadministration. Tous ces éléments impliquent un investissement important dans les réseaux informatiques et de communication.

Pour financer le coût de sa stratégie ministérielle de réforme, le ministère des affaires étrangères s'engage dans un plan d'aménagement de son réseau à l'étranger.

Il s'agit, d'abord, en vendant les biens immobiliers de l'Etat devenus inutiles ou inadaptés, de disposer de recettes supplémentaires, puisque le produit des cessions reviendra désormais intégralement au ministère des affaires étrangères.

Par ailleurs, le réseau à l'étranger sera modernisé, dans le cadre d'un plan d'aménagement qui devrait aboutir à la suppression de 248 emplois réservés aux expatriés et de 99 emplois réservés aux agents de recrutement local.

L'aménagement du réseau se traduira également par la rationalisation des moyens existants, en s'appuyant sur des fusions de structures, par exemple en créant des postes mixtes remplissant des missions consulaires et culturelles ou en fusionnant des instituts culturels et des Alliances françaises, ainsi que sur la mise en place de formes plus souples de représentation, par exemple des consulats d'« influence », qui seront déchargés des activités consulaires pour pouvoir se concentrer sur leur rôle politique.

Aucune ambassade, bien sûr, ne sera fermée. Seuls quelques consulats seront touchés, notamment en Allemagne. Il s'agit de privilégier la centralisation des activités consulaires, le développement de la téléadministration, ou encore les coopérations avec les autorités locales dans l'Union européenne. Ces réformes toucheront surtout les réseaux les plus importants du ministère des affaires étrangères, alors que les moyens seront renforcés dans les pays jugés prioritaires.

Cette rationalisation du réseau est une initiative que la commission des finances du Sénat soutient sans hésiter. Elle devrait permettre de dégager des moyens financiers et humains pour mettre en oeuvre les priorités du ministère des affaires étrangères.

La commission des finances se félicite de ce que le ministère des affaires étrangères s'engage dans d'importantes réformes et autofinance de cette manière ses priorités, en dehors de l'aide publique au développement. Dans un courrier au Premier ministre en date du mois de mars 2004, le Président de la République avait d'ailleurs suggéré le principe d'un recyclage des économies réalisées par le ministère des affaires étrangères et avait invité ce dernier à souscrire un contrat triennal « de rigueur et de prévisibilité » avec le ministère chargé du budget. C'est une piste intéressante pour l'avenir.

La commission des finances se félicite également de voir s'installer progressivement une culture de gestion et d'évaluation au ministère des affaires étrangères, culture qui, il faut le reconnaître, n'était pas toujours perçue comme compatible avec ses traditions.

La préfiguration de la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances se traduit, en 2005, par le développement des expérimentations et par un important travail sur les objectifs et les indicateurs du ministère, que j'analyse dans mon rapport écrit.

Avant de conclure, je souhaiterais poser une question et exprimer trois regrets.

Ma question porte sur la chaîne d'information internationale, au sujet de laquelle on ne comprend plus très bien, monsieur le ministre, si c'est la volonté politique, les solutions techniques ou les moyens financiers qui sont défaillants.

Lors de la discussion de la première partie du projet de loi de finances, un amendement du Gouvernement visant à doter cette chaîne de 30 millions d'euros a finalement été retiré. Le flou reste entier sur les modalités de financement et de fonctionnement de cette chaîne et sur le calendrier prévu.

Mon premier regret concerne les services des visas, qui ont été, il est vrai, réaménagés pour partie au cours des dernières années afin d'améliorer l'accueil des demandeurs. Cependant, ils sont toujours insuffisamment dotés en moyens humains, ce qui n'est pas satisfaisant pour une mission aussi sensible sur le plan politique.

Le ministère des affaires étrangères doit prêter une attention soutenue à la collecte des données relatives aux attributions de visas, lesquelles doivent être contrôlées par l'administration centrale.

Mon deuxième regret concerne, comme chaque année, la stagnation des contributions volontaires de la France aux organisations internationales, si l'on excepte toutefois sa contribution exceptionnelle au Fonds mondial de lutte contre le sida.

Enfin, mon troisième et dernier regret concerne l'insuffisance persistante de moyens pour financer les projets immobiliers, malgré une progression très sensible dans le projet de budget pour 2005, puisque les crédits de paiement augmentent de 11, 9 % et les autorisations de programme de 11, 1 %.

Le ministère des affaires étrangères devrait également confier à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, l'AEFE, les moyens juridiques et financiers qui lui permettraient de prendre en charge les établissements scolaires en gestion directe à l'étranger. La possibilité pour l'AEFE de recourir à l'emprunt devrait être de nature à faciliter la bonne gestion de ce patrimoine immobilier.

La commission des finances a proposé au Sénat d'adopter ce projet de budget, qui marque un net engagement du ministère des affaires étrangères de financer les priorités énoncées par le Président de la République, tout en participant à l'effort de rigueur budgétaire et de réforme que la commission des finances appelait de ses voeux.

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