Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la commission des finances est heureuse que l'aide publique au développement soit et reste une priorité budgétaire de la France. La réduction de la pauvreté est, certes, très tributaire de l'efficacité de l'aide et de la capacité à ne pas verser les fonds à des Etats que l'on peut parfois qualifier de « kleptocrates ». Mais les besoins fondamentaux à couvrir sont énormes et exigent un volume financier adéquat.
La France est en bonne place parmi les bailleurs internationaux : 10 % environ de l'aide mondiale, troisième contributeur mondial en volume, premier en volume sur le continent européen, premier contributeur au Fonds européen de développement et à l'initiative pour les pays pauvres très endettés. Notre pays respecte le plan de marche correspondant à ses engagements de 2002 : une APD située à 0, 5 % du PIB en 2007 et à 0, 7 % en 2012. En 2005, nous serons à 0, 44 %, légèrement plus qu'en 2004, mais l'exécution actuelle reste préoccupante, car peu d'allégements de dette sont intervenus à mi-année. Messieurs les ministres, qu'en est-il des « mesures correctrices » annoncées pour l'automne au Comité interministériel de la coopération internationale et du développement, CICID, du 20 juillet dernier ?
Le volume d'APD dans le monde, très inférieur aux besoins - 60 milliards d'euros - a augmenté de près de 4 % en 2003. La Banque mondiale pense qu'il faut le doubler pour espérer atteindre les objectifs du millénaire fixés en 2000. On réfléchit donc aujourd'hui à des financements innovants. Notre pays occupe une place importante dans cette démarche, notamment grâce à ses propositions de nouvelle taxe internationale affectée au développement ou, avec le Royaume- Uni de « facilité de financement internationale ». Nous en sommes pour le moment au stade académique. Mais au moins la France présente des alternatives.
L'aide française reste fondamentalement interministérielle, impliquant une bonne dizaine de ministères, et d'abord les Affaires étrangères et les Finances, qui reçoivent plus de 90 % des crédits budgétaires d'APD. Mais, malgré la réforme de 1998, il n'y a toujours pas de chef de file clairement identifié. Dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances, les Affaires étrangères élaboreront un « document de politique transversale », soulignant leur vocation à assurer la coordination et le pilotage de l'APD. Mais, dans le même temps, le rôle des Finances est conforté par deux évolutions : la forte hausse des annulations de dettes, et le rôle croissant de l'Agence française de développement, l'AFD, à la suite des conclusions du CICID du 20 juillet dernier. Excusez-moi pour tous ces sigles, mais c'est comme ça !
Certes, l'Agence reste théoriquement sous cotutelle des deux ministères. Mais la tutelle sur un établissement bancaire et financier n'est pas vraiment ce que je pourrais appeler la « tasse de thé » du Quai d'Orsay, sans faire de mauvais jeu de mots. Messieurs les ministres, quels sont les axes du contrat d'objectifs que l'Agence et le ministère des affaires étrangères doivent conclure avant la fin 2004 ?
Au-delà de cette dyarchie et des ambiguïtés du statut de l'Agence française de développement, notre système institutionnel d'aide est rendu plus complexe par les multiples champs de compétence de la direction générale de la coopération internationale et du développement, la DGCID, dont les crédits ne relèvent pas tous exclusivement de l'aide publique au développement. Le développement désordonné de la coopération décentralisée exige lui aussi une véritable coordination, qui tarde encore à venir. Certains ministères prétendent jouer leur carte, en franc-tireur, pour s'imposer davantage à l'international, ce qui complique un peu plus les choses. Je suis cependant heureux de la décision de transférer de l'Agriculture aux Affaires étrangères les crédits d'aide alimentaire. La rationalité que je réclamais depuis longtemps a enfin prévalu.
L'OCDE vient d'examiner l'aide française et aboutit au même constat : trop d'intervenants et d'instruments entraînent un grave déficit de coordination, de lisibilité, de stratégie, et une accumulation de prétendues priorités. La fiabilité du « jaune » budgétaire pâtit de cette confusion - et je voudrais au passage remercier les collaborateurs de la commission des finances pour avoir démêlé le vrai du faux dans un « jaune » dont la première version comportait beaucoup d'erreurs §-, notamment en ce qui concerne les écarts de comptabilisation de l'APD au sens de l'OCDE et au sens budgétaire. Donc, il faudrait essayer, pour l'année prochaine, je le dis au ministre et à ses collaborateurs, de nous présenter un document un peu plus rigoureux ; la deuxième version était meilleure, mais nous avons aidé à la corriger, sans droits d'auteur...
Le CICID du 20 juillet a entrepris de remédier à ces lacunes. Son rôle devrait ainsi être renforcé, des stratégies pluriannuelles de référence dans les secteurs prioritaires seront élaborées, la programmation de l'aide sera plus sélective en fonction de critères de performance, les documents de stratégie pays seront modernisés. Tout cela va dans le bon sens, s'il n'en résulte pas une nouvelle inflation rhétorique et si la plus grande sélectivité de l'aide ne nous conduit pas à abandonner les pays les plus pauvres, qui ne rempliront pas avant longtemps certains des critères de bonne gouvernance que des idéalistes, que j'appellerais nantis ou un peu repus- la commission m'en voudrait si j'ajoutais « quelquefois boutonneux »- veulent prétendre leur imposer.
Donc, notre aide au développement est complexe à décrypter. Hélas ! la future mission interministérielle de la loi organique ne va remédier que partiellement à ce manque de cohérence. La mission imaginée recouvre en effet 85 % des crédits budgétaires de coopération, dont l'essentiel ? mais pas tous ! ? de ceux des Affaires étrangères. La majorité des crédits d'APD notifiés à l'OCDE resteront hors de la mission. Pourtant, cette nouvelle nomenclature budgétaire est plus satisfaisante que le projet assez bancal de l'an dernier, et je dois dire que la commission des finances a d'ailleurs beaucoup insisté, son président est là et peut en témoigner, pour qu'il en soit ainsi. Elle va clarifier les actuelles clefs de répartition, et surtout structurer notre aide selon des objectifs et des indicateurs plutôt pertinents. Cette nécessaire logique de résultats et de performance est pleinement cohérente avec la culture de projet qui préside à l'aide au développement.
Venons-en aux principales caractéristiques du budget 2005.
L'APD française augmente de 10 % en 2005, 7, 5 milliards d'euros, soit une progression très nette au regard des contraintes budgétaires. Les crédits budgétaires représentent moins de la moitié de l'aide et augmentent de 7 %, à 3, 5 milliards d'euros, mais de plus de 11 % pour les seuls crédits de coopération des Affaires étrangères.
Voici quelques aspects positifs de ce budget.
D'abord, l'aide bilatérale : elle augmente de 16 %, mais l'aide multilatérale diminue de 1, 8 %. Monsieur le ministre, vous savez combien la commission des finances est attachée à la visibilité et à la maîtrise des résultats de notre aide, tant sur le plan politique que sur le terrain. L'Afrique subsaharienne reste la priorité de notre coopération : elle a reçu près de 60 % des crédits en 2003, et le continent africain plus de 70 %. Là se situe notre avantage comparatif par rapport aux autres bailleurs, car ce sont les pays les plus nécessiteux. Mais la zone de solidarité prioritaire, la ZSP, est sans doute trop large pour les dons et trop restreinte pour les prêts concessionnels.
Les décaissements du FED, dont j'ai longtemps souligné l'incroyable l'inertie, s'améliorent. La France doit donc effectuer des versements plus importants, 628 millions d'euros en 2005. Cette amélioration est cependant encore insuffisante et, surtout, très artificielle. Elle repose en effet essentiellement sur la nouvelle politique du FED, qui abonde des fonds multilatéraux en devenant une sorte de « sas », ce qui n'est pas sa vocation, et qui fait disparaître complètement de la visibilité l'aide européenne, donc la contribution importante que nous versons.
Sont heureux également l'effort soutenu pour les contrats de désendettement-développement, l'abondement du Fonds mondial de lutte contre le sida, dont parlait mon collègue Adrien Gouteyron il y a un instant, et le relèvement des crédits de paiement du fonds de solidarité prioritaire, le FSP. J'ai en effet constaté, récemment sur le terrain, en Afrique de l'Ouest, que le FSP était « à sec » de crédits de paiement en début d'année, ce qui portait préjudice à la réputation de la France, qui empilait les factures impayées et qui prenait donc une réputation de mauvais payeur. Les choses ont été heureusement redressées au printemps. Mais l'effort budgétaire ne sera que de l'affichage s'il ne s'accompagne pas d'une gestion plus rigoureuse des projets. Soyez sévères, messieurs les ministres, avec les projets trop anciens, vagues, chaotiques ou qui n'avanceront jamais. La DGCID a pris cette année les dispositions que j'attendais pour enrayer cet « acharnement thérapeutique » sur les projets dormants ou sommeillants. D'autre part, l'évaluation interne des projets par les postes diplomatiques devrait s'inspirer de la nouvelle méthode de notation systématique mise en place par l'AFD pour ses propres projets.
Les postes d'assistant technique, qui ont continué à diminuer en 2004, devraient se stabiliser en 2005 grâce à un plus grand recours à la programmation non géographique. La révision à la baisse des effectifs d'assistants techniques était inévitable et sans doute nécessaire. Mais pour ne pas compromettre notre remarquable et original outil de coopération, il ne faut pas descendre sous l'étiage désormais atteint.
Un mot enfin sur les contributions volontaires, dont mon collègue Adrien Gouteyron a également parlé. Leur niveau est parfois jugé très insuffisant au regard de l'influence que la France prétend exercer dans certaines enceintes internationales. Mais notre pays ne peut être fortement présent partout. La comparaison avec les bailleurs considérés comme les plus généreux n'est équitable et honnête intellectuellement que si l'on tient compte aussi de la charge considérable d'un réseau de coopération particulièrement dense, et exceptionnel, et de notre apport énorme aux aides européennes. C'est facile de distribuer des contributions volontaires et de se montrer généreux quand on n'a pas, par ailleurs, à assumer ces charges ! Dans les conditions budgétaires que nous connaissons, la priorité accordée au Fonds mondial de lutte contre le sida semble donc, comme l'a souligné Adrien Gouteyron, réaliste et justifiée.
J'ai par ailleurs noté quelques points plus contestables et de réelles incertitudes.
Les allégements de dette devraient représenter 31 % de notre aide en 2005. Ces annulations sont légitimes : elles sont assorties de conditions et contribuent à restaurer des marges de manoeuvre budgétaires au profit des besoins fondamentaux des populations concernées. Mais elles soulèvent plusieurs questions.
Leur impact réel sur la réduction de la pauvreté est incertain : elles ne contribuent qu'à restaurer temporairement la soutenabilité de la dette. Leur évaluation paraît problématique : elle repose sur la valeur nominale des créances plutôt que sur leur valeur de marché, qui est très inférieure. La transparence des mécanismes d'annulation et l'information du Parlement sont encore perfectibles, malgré des progrès réels souhaités depuis longtemps par les deux chambres du Parlement.
Mais, surtout, ces annulations gonflent notre APD. Or une grande partie est constituée de créances commerciales de la Coface. Ces annulations relèvent aussi d'une logique d'assainissement comptable et ne sont finalement que la contrepartie de prêts octroyés parfois sans discernement dans le passé. Enfin, le principe d'additionnalité qui doit prévaloir n'est pas respecté en 2005 : l'aide hors annulations de dette diminuerait d'un peu plus de 1 %. Messieurs les ministres, les instruments budgétaires plus « classiques » de l'APD pourront-ils vraiment prendre le relais de la future baisse des annulations, pour respecter parfaitement les engagements de la France ?
Outre le poids important des allégements de dette, la dotation en crédits de paiement de l'AFD risque d'être insuffisante, et pourrait la conduire à réduire la part de ses dons et à connaître de réelles difficultés de paiement en fin d'exercice. Les crédits, pas toujours très utiles, des bourses, mais surtout des missions et invitations de la DGCID diminueront l'année prochaine, mais un effort important est consenti sur le soutien aux ONG.
Messieurs les ministres, je me méfie beaucoup de la pensée unique parisienne sur la nécessité d'un fort relèvement de l'appui financier à ces organismes. Certes, leur efficacité est évidente et parfois irremplaçable en situation d'urgence. Mais les ONG profitent parfois trop facilement de certaines rentes de situation dans la mise en place de projets dont les coûts de réalisation et de fonctionnement sont très élevés. Et, de ce point de vue, j'attends avec beaucoup d'intérêt les résultats de l'enquête que la commission des finances a demandée à la Cour des comptes sur ce sujet. Comme pour les contributions volontaires, la part d'APD que la France consacre aux ONG est la conséquence du fait que nos services de coopération sont plus présents sur le terrain et plus chers que ceux d'autres bailleurs bilatéraux. C'est facile d'aider beaucoup des ONG quand on n'a pas à assumer des charges administratives d'un outil de coopération comme le nôtre !
Mes chers collègues, on ne peut pas tout faire à la fois, et, si l'on a choisi de privilégier l'action publique, il faut en tirer les conséquences pour l'action privée car le budget du pays n'est pas indéfiniment extensible.
Enfin, je suis plus que réservé sur l'aide budgétaire affectée, car il vaut mieux appréhender la capacité d'absorption des pays récipiendaires. La France, comme de nombreux autres bailleurs, a décidé d'augmenter cette aide-programme. Mais ses conditions de sécurisation et d'efficacité sont loin d'être toujours réunies, et c'est un euphémisme.
Mes chers collègues, pour conclure, en dépit de quelques réserves, retenons que la France respecte ses engagements dans un contexte budgétaire peu porteur, modernise sa stratégie d'aide, et maintient sa priorité de soutien aux pays les moins avancés, particulièrement en Afrique.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des finances vous propose donc, mes chers collègues, de voter ce budget de l'aide publique au développement, qui recouvre non seulement, vous l'avez compris, les crédits inscrits au budget des affaires étrangères, mais l'ensemble des crédits qui sont inscrits dans d'autres ministères et qui contribuent à l'action de la France en matière de coopération et de développement.