Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la discussion du budget des affaires étrangères intervient dans un contexte international particulièrement lourd, politiquement marqué par la disparition du président de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, et par la grave situation en Irak.
On doit également relever les événements inquiétants survenus en Côte d'Ivoire qui conduisent à se poser la question du sens de la présence française, notamment militaire, dans ce pays.
Monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mon collègue et ami Robert Hue vous a demandé, par écrit, la création d'une mission d'information parlementaire sur les événements de ces dernières semaines. Plus largement, monsieur le ministre, pourquoi attendre plus longtemps pour organiser un grand débat sur les orientations que doivent prendre les relations entre la France et les peuples africains et sur les conditions de la présence française en Afrique ?
Enfin, cette discussion s'inscrit également dans le débat sur le traité établissant une Constitution pour l'Union européenne.
Avant d'aborder votre budget proprement dit, que nous jugeons peu satisfaisant, monsieur le ministre, permettez-moi de revenir quelques minutes sur les points que je viens d'évoquer.
Pendant un demi-siècle, le président de l'Autorité palestinienne a incarné la Palestine, donnant une crédibilité internationale à l'espoir d'un Etat palestinien. Sa disparition sonne comme un rappel pressant de la nécessité de la reprise d'un processus de paix et met le gouvernement Sharon face à ses responsabilités.
La France et les Européens sont, eux aussi, interpellés. Ils doivent plus que jamais faire face à un devoir d'initiative.
La disparition de Yasser Arafat enlève tout prétexte aux autorités israéliennes et américaines pour refuser le dialogue. Il ne peut plus y avoir de tergiversation ou d'ajournement dilatoire. L'exigence de l'édification d'un Etat palestinien dans le cadre, encore à bâtir, d'une solution politique négociée respectant la justice, le droit et la sécurité pour tous, devra finir par s'imposer. C'est une responsabilité collective.
La France a accueilli Yasser Arafat. Elle a rendu un hommage solennel au président de l'Autorité palestinienne décédé sur son sol. Ces actes, très dignes, ont été appréciés en Palestine, au Proche-Orient et ailleurs. Ils ont honoré la France.
Aujourd'hui, monsieur le ministre, notre rôle dans la région n'en est que plus attendu. Il ne faut pas décevoir cette attente. Il y a même urgence à agir.
Notre première mission est de créer les conditions pour que les élections en Palestine puissent se tenir dans les meilleures conditions possibles, en particulier l'élection du nouveau président de l'Autorité palestinienne, le 9 janvier. La participation de tous les Palestiniens au processus électoral ainsi que les conditions nécessaires pour un scrutin démocratique digne de ce nom doivent être garanties.
A cet égard, monsieur le ministre, les présidents du comité pluraliste parlementaire, créé le 29 décembre 2003 - et composé de parlementaires des deux assemblées - pour soutenir les initiatives de paix au Proche-Orient vous ont faire part de leur disponibilité pour participer à toute délégation d'observateurs qui serait envoyée sur place pour surveiller le bon déroulement des élections. Nous vous réaffirmons aujourd'hui cette disponibilité.
Les obstacles au bon déroulement des élections ne manquent pas, qu'il s'agisse de l'occupation elle-même, du vote des Palestiniens de Jérusalem-Est, de celui des 7 500 prisonniers privés de leurs droits - je pense à Marouan Barghouti, qui devra bien être libéré -, des obstacles liés à la construction du mur israélien, ou encore des multiples pressions extérieures, en particulier israéliennes, peu compatibles avec l'exigence d'un processus électoral libre.
Il est nécessaire que la France et ses partenaires européens se mobilisent pour obtenir que ces obstacles, d'une façon ou d'une autre, soient levés, et sans tarder. En effet, les élections municipales devant se tenir dès le 23 décembre prochain, tout atermoiement se traduirait par un retard préjudiciable à l'ensemble du processus électoral à venir. Je me permets de le répéter, monsieur le ministre : il y a vraiment urgence !
Si elle le désire réellement, la France peut jouer un rôle efficace dans la résolution du conflit israélo-palestinien. Son action propre et celle de l'Union européenne devraient constituer un élément de rééquilibrage face au poids américain.
Si nul ne croit qu'un règlement puisse être imposé de l'extérieur, personne non plus ne pense que ledit règlement puisse se passer d'un cadre multilatéral. Beaucoup dépend des Etats-Unis, mais aussi de l'Union européenne, du monde arabe et du rôle que l'on attribuera aux Nations unies, dont les résolutions devront bien, un jour ou l'autre, être appliquées, en particulier celles qui touchent à l'exigence de la fin de l'occupation et de la colonisation.
Et je ne parle pas du mur dit « de séparation », qui est aussi un mur d'annexion, considéré comme contraire au droit international par la Cour internationale de justice, et qui doit être démantelé.
C'est dans cet esprit qu'à notre avis l'application de la feuille de route devrait être envisagée, ainsi que toute formule de conférence internationale qui devra apporter solennellement les garanties multilatérales d'un règlement politique.
J'en viens maintenant à la situation en Irak. On le sait, la guerre en Irak a eu lieu en dépit de son illégalité et de son illégitimité. L'appel à la raison et au droit international a été méprisé par George Bush et par son administration. Le concept de « guerre préventive » a révélé sa vraie nature, à savoir une façon des plus brutales de couvrir des ambitions stratégiques par une consternante politique de mensonges.
Le peuple irakien est aujourd'hui débarrassé du dictateur Saddam Hussein. Très bien ! Mais il était en droit d'espérer bien autre chose et de croire les promesses de démocratie, de sécurité et de prospérité qui lui ont été prodiguées. C'est maintenant le chaos qui domine. La guerre américaine n'a fait qu'encourager la déstabilisation et des formes insoutenables de terrorisme.
Loin d'en tirer les leçons qui s'imposent, George Bush tend aujourd'hui à menacer d'autres pays comme l'Iran. S'il est nécessaire que Téhéran s'attache à respecter le traité de non-prolifération nucléaire qu'il a signé, il ne peut y avoir deux poids deux mesures, au Moyen-Orient comme ailleurs. Si la non-prolifération et l'élimination des armes nucléaires devient une condition de la sécurité, alors ces politiques doivent s'appliquer à tous les pays de cette région, y compris à Israël. Une sécurité collective est aussi une responsabilité collective.
Monsieur le ministre, toutes ces questions nous ramènent à la nature et à la légitimité des engagements de la France à l'extérieur. Cela nous rappelle aussi le caractère crucial du débat sur le rôle des Européens et l'attente qui s'exprime aussi à leur égard.
Je souhaite faire en cet instant une seule et brève remarque. Si l'Union européenne et ses Etats membres n'accédaient pas dans l'avenir à l'autonomie, à la capacité de décision politique nécessaire, de façon complémentaire aux Etats, où serait la crédibilité du projet européen ? Force est de constater, monsieur le ministre, que le projet de traité constitutionnel de l'Union européenne ne nous engage pas dans cette voie. Il nous tire, au contraire, dans le sens d'un lien privilégié avec l'OTAN. Le rappel, de pur principe, des Nations unies ne corrige en rien cette dérive atlantiste, dangereuse pour l'avenir. La France n'a évidemment rien à y gagner pour sa crédibilité propre et pour l'efficacité de sa politique étrangère.
J'espère que nous aurons d'autres occasions de débattre de cette grande question qui touche à l'avenir même de l'Union européenne.