Intervention de Jean-Jacques Jégou

Réunion du 19 décembre 2005 à 10h00
Loi de finances rectificative pour 2005 — Discussion d'un projet de loi

Photo de Jean-Jacques JégouJean-Jacques Jégou :

Monsieur le ministre, j'ai eu un doute, tout à l'heure, en vous écoutant, sur la nature du texte que nous devons examiner aujourd'hui. J'ai cru devoir changer mes lunettes, mais les derniers propos de M. le rapporteur général m'ont confirmé que nous avons sous les yeux un gigantesque « fourre-tout », un texte qui, je le déplore, reprend toutes les dispositions n'ayant pu être insérées dans la loi de finances initiale et dont nous allons débattre, nécessité oblige, dans des conditions peu satisfaisantes. Cela étant, si nous restons en aussi petit nombre, la discussion aura au moins l'avantage d'être brève !

Je regrette vivement que le collectif budgétaire soit considéré, en quelque sorte, comme une « session de rattrapage d'un budget déjà voté », pour reprendre une formule employée par MM. Lambert et Migaud dans leur rapport sur la loi organique relative aux lois de finances. Il devrait plutôt servir, en bonne orthodoxie budgétaire, à ajuster en fin d'année les crédits aux recettes prévues dans le budget initial. Même s'il est vrai que ce dernier était conforme à la LOLF, des progrès restent souhaitables.

Je commencerai l'analyse de ce collectif budgétaire en m'étonnant du montant des pertes de recettes fiscales nettes. À cet égard, si la baisse de ces recettes, à hauteur de 2 milliards d'euros, ne paraît pas très importante dans l'absolu, elle témoigne toutefois de la fragilité des produits fiscaux que l'on peut attendre d'un niveau de croissance que chacun qualifie de satisfaisant.

En effet, alors que la croissance a été plus que correcte en 2004, ce qui a permis de bonnes rentrées au titre de l'impôt sur le revenu, alors que l'ISF a rapporté 350 millions d'euros de plus que prévu et alors qu'une importante hausse des droits de mutation a été enregistrée, à concurrence de 800 millions d'euros, les recettes fiscales nettes sont néanmoins en baisse de 2 milliards d'euros. Cela montre la situation fragile de nos finances.

Cette constatation me conduit à revenir sur l'hypothèse très optimiste que vous avez retenue, monsieur le ministre, pour le taux de croissance de 2005. Vous maintenez votre prévision à 1, 7 %, partant d'un acquis de 1, 4 %. Je crains toutefois que vous ne preniez pas suffisamment en compte le recul de la consommation des ménages, qui a été de 0, 6 % en octobre et qui sera certainement encore plus net pour novembre, à cause de la crise des banlieues, la faiblesse des investissements des entreprises et le manque de dynamisme des exportations.

Pour toutes ces raisons, il apparaît que le taux de croissance s'établira plutôt aux alentours de 1, 5 % en volume, conformément aux prévisions de l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques, ce qui aggravera encore les pertes de recettes fiscales. Comme l'a indiqué M. le rapporteur général, nous examinerons ce point lors de la discussion du projet de loi de règlement.

Cette moins-value sur les recettes fiscales vous conduit, monsieur le ministre, à punir par des expédients les coupables que vous pouvez identifier : c'est ainsi que les entreprises, qui n'ont pas versé assez d'impôt sur les sociétés, vont voir leur régime de paiement des acomptes de ce dernier aménagé de manière à rapporter à l'État 300 millions d'euros. En outre, elles vont devoir supporter un prélèvement exceptionnel de 250 millions d'euros sur les distributions de bénéfices.

Ce même principe de gestion à court terme se retrouve en ce qui concerne les dépenses publiques et le solde budgétaire.

En effet, vous ne parvenez à tenir vos engagements que par des annulations massives de crédits, à hauteur de 3 milliards d'euros par rapport à ce que nous avions voté en loi de finances initiale. Cela étant, je ne suis pas contre le principe des annulations de crédits, si elles correspondent à des objectifs vertueux de réduction des dépenses de fonctionnement. Malheureusement, et ce constat est tout à fait objectif, les annulations nettes de crédits que vous nous proposez n'affectent les crédits de fonctionnement qu'à concurrence de 0, 8 %, alors qu'elles représentent 5, 3 % des crédits d'investissement.

C'est ainsi que l'on en arrive aujourd'hui à une situation où l'investissement civil ne représente plus que 16 milliards d'euros, soit 5, 6 % seulement du budget de l'État. Non seulement nous continuons à charger les générations futures du poids de notre incapacité à gérer sainement les finances publiques, mais nous nous montrons désormais incapables de maintenir et de d'enrichir le patrimoine que nous allons leur transmettre.

Ce collectif budgétaire prévoit par ailleurs l'ouverture d'un milliard d'euros de crédits supplémentaires, gagés par des économies réalisées sur la gestion de la dette. Je ne reviens pas sur le montant de ces ouvertures de crédits, puisque vous nous avez expliqué, monsieur le ministre, qu'elles sont strictement limitées aux besoins. En revanche, je suis inquiet de l'opportunisme dont vous faites preuve pour les financer, en profitant, à hauteur de 750 millions d'euros, de la baisse des taux d'intérêt. Comment les gagerez-vous l'an prochain si, comme le prévoient les économistes, ces même taux devaient remonter, ce que je ne souhaite pas ?

Enfin, je ne peux que m'insurger contre les éternels reports de crédits auxquels nous assistons d'un exercice budgétaire à l'autre. Certes, il faut prendre note et se féliciter d'une amélioration de l' « étanchéité » des exercices, puisque, de 14 milliards d'euros de reports de 2001 sur 2002, nous passons aujourd'hui à 5 milliards d'euros de 2005 sur 2006. Ce n'est pas encore suffisant, mais la LOLF devra être respectée à l'avenir. En effet, cette façon de procéder fausse le principe de sincérité. Le niveau du déficit des finances publiques est donc sous-évalué. Le déficit pour 2005 s'établit ainsi à 44, 1 milliards d'euros dans le collectif budgétaire qui nous est soumis, alors qu'il sera, en réalité, de l'ordre de 46, 8 milliards d'euros, si l'on tient compte de la consommation de 2, 7 milliards d'euros de crédits reportés de 2004 sur 2005.

Venons-en maintenant aux dispositions fiscales présentées au travers de ce texte, qui soulèvent de nombreuses interrogations.

Je m'interroge, tout d'abord, sur l'attribution exceptionnelle d'une part de taxe intérieure sur les produits pétroliers aux départements, en compensation des dépenses d'allocation de RMI exécutées en 2004. Sachant que cette compensation ne sera pas reconduite l'an prochain, j'aimerais savoir, monsieur le ministre, comment feront les départements pour payer les bénéficiaires du RMI lorsque le déficit de ce dispositif aura atteint 1 milliard d'euros. On demande aux collectivités territoriales de gérer et de financer un nombre toujours plus grand de politiques à la place de l'État, qu'il s'agisse, par exemple, du RMI, de l'allocation personnalisée d'autonomie ou de la prestation compensatoire du handicap, et, dans le même temps, on ne leur transfère pas suffisamment de moyens pour ce faire. De surcroît, il arrive même parfois qu'on les critique et qu'on les accuse de mauvaise gestion.

Le groupe UDF s'oppose, ensuite, au principe de la perception d'une taxe de solidarité sur les billets d'avion, prévue à l'article 18. Si nous ne pouvons qu'adhérer tous à l'idée d'accroître l'aide au développement, notamment dans le domaine de la santé, cela ne doit pas se faire aux dépens des acteurs français du secteur aérien, entreprises ou salariés. L'instauration d'une telle taxe ne pourrait donc, à mon sens, être envisagée qu'à l'échelon communautaire.

En ce qui concerne la réforme des plus-values, mon collègue Charles de Courson avait soulevé, à l'Assemblée nationale, le problème de l'équilibre entre le placement direct en valeurs mobilières et le placement indirect via les PEA, les plans d'épargne en actions, ou l'assurance-vie.

En effet, l'UDF prône l'instauration d'un dispositif plus équilibré. Votre réflexion sur ce sujet a certainement progressé, monsieur le ministre. Nous ne soutiendrons la réforme de la fiscalité de l'épargne que dans la mesure où elle est plafonnée et équilibrée, pour éviter une exonération totale au bénéfice des plus riches, tandis que les petits épargnants, dont l'épargne est naturellement orientée vers des placements indirects, sont soumis à une taxation beaucoup moins favorable.

J'en arrive à l'article 49, qui a pour unique objet de justifier le refus de l'État de rembourser aux transporteurs routiers la TVA sur les péages indûment perçue de 1996 à 2000.

Votre position me paraît, d'une part, tenir d'un véritable passage en force, et, d'autre part, aller à l'encontre de la logique et de l'intérêt économique d'un secteur connaissant déjà d'importantes difficultés financières et soumis à des risques de délocalisation, ce qui n'est pas le cas des entreprises de restauration, qui ont pourtant les faveurs du Gouvernement.

Après le problème de la TVA due aux transporteurs routiers, je souhaite évoquer le hold-up réalisé aux dépens du FISAC, le Fonds d'intervention pour la sauvegarde, la transmission et la restructuration des activités commerciales et artisanales. Vous entendez en effet, monsieur le ministre, récupérer 600 millions d'euros en ponctionnant ce fonds d'un montant équivalent.

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