Monsieur le ministre, nous en sommes conscients, la fonction que vous occupez n'est pas facile dans un monde qui bouge de plus en plus vite, instable et dangereux : des crises un peu partout, qui déstabilisent plusieurs régions dans le monde, la pauvreté et la maladie, qui continuent de faire des ravages, la baisse du dollar, le coût du pétrole, les interrogations sur le nouveau et dernier mandat de l'administration Bush...
Face à tous ces défis, nous devons continuer à travailler à plus de justice et plus de solidarité, à affirmer que le droit international doit rester notre guide, que la force doit être au service du droit, et non l'inverse, que le multilatéralisme doit présider à nos actions, particulièrement dans notre monde multipolaire.
C'est au travers de votre ministère et, plus simplement encore, du vote de votre projet de budget que peut s'exprimer l'action de la France.
L'examen de ce projet de budget est traditionnellement l'occasion de faire le point sur les questions essentielles de la politique étrangère et sur la façon dont le Gouvernement répond à ces questions.
Aussi, avant d'aborder les chiffres et les orientations de la loi de finances, je tiens à évoquer certains des sujets qui font l'actualité internationale, à commencer, bien sûr, par l'Irak.
Nos pensées vont immédiatement vers nos deux compatriotes journalistes retenus en otage depuis plus de trois mois. Je tiens ici à saluer l'élan de cohésion nationale que leur épreuve a suscité. Peut-être, monsieur le ministre, pourriez-vous faire le point sur la situation.
Nous nous sommes réjouis de voir que la diplomatie semble reprendre peu à peu ses droits. J'en veux pour preuves la réunion de Berlin et celle de Charm el-Cheikh, que vous avez d'ailleurs qualifiée « d'approche constructive ». Le fait qu'une réunion internationale ait pu avoir lieu et que les Etats-Unis aient même accepté que soit mentionné le retrait des troupes dans la déclaration finale est en lui-même positif, même si, et nous en sommes tous conscients, beaucoup de chemin reste à faire.
Concernant l'annulation de 80 % de la dette irakienne, nous pouvons comprendre qu'une dette contractée pendant une dictature ne reste pas à la charge des générations à venir, qui auront, elles, la responsabilité de la reconstruction, dans le cadre, bien sûr, d'un nouveau régime démocratique.
Mais pourquoi, monsieur le ministre, cette clémence à l'égard de l'Irak, qui, rappelons-le, possède la deuxième réserve de pétrole du monde, et non envers d'autres pays d'Afrique et d'Amérique latine bien plus pauvres ? Peut-être y a-t-il eu des contreparties qui nous ont échappé...
S'agissant toujours de la même région, mais un peu plus à l'ouest, je dois dire que la France a bien fait d'accueillir le président de l'Autorité palestinienne.
Une nouvelle page de l'histoire de cette région est à écrire. Je souhaite que le gouvernement israélien puisse conduire jusqu'au bout son désengagement de la bande de Gaza et que sa volonté d'y parvenir favorise la paix. Bien entendu, ce retrait ne peut être considéré que comme une première étape vers le retour aux frontières de 1967 pour que, enfin, ces deux peuples puissent vivre dans deux Etats séparés, sécurisés et viables.
A ce propos, pourriez-vous nous dire, monsieur le ministre, où nous en sommes, qu'il s'agisse du rôle du Quartet ou du retour à la feuille de route, questions que vous suivez, je le sais, de très près ?
Je voudrais souligner le formidable succès que la diplomatie européenne a rencontré en obtenant, grâce aux initiatives allemande, britannique et française, l'engagement de l'Iran à renoncer à l'armement nucléaire.
Toutefois, monsieur le ministre, sachant que ces accords peuvent rester lettre morte, je souhaiterais connaître les mesures que vous compter prendre, de concert avec nos partenaires européens et dans le cadre de l'AIEA, l'Agence internationale de l'énergie atomique, pour veiller à l'application de cet engagement et, surtout, pour arriver à convaincre les Etats-Unis que la voie diplomatique aussi peut et doit réussir.
L'actualité nous amène aussi vers l'Afrique, et bien sûr, vers la Côte d'Ivoire.
J'estime, avec d'autres, que l'armée française a accompli un travail remarquable quant à l'évacuation et à la protection des ressortissants étrangers, notamment français.
Bien sûr, il faudra établir la vérité des faits sur l'ensemble des événements. Cependant, la guerre de propagande qui est menée par le président Gbagbo ne doit pas faire oublier que la priorité est de trouver une solution politique à la crise, comme l'a rappelé le représentant spécial de l'ONU, en espérant que l'accord obtenu par le président Thabo Mbeki sera respecté.
Mon temps m'est compté, mais comment ne pas parler du Rwanda ? Le terrible génocide des Tutsis n'est pas encore effacé de nos esprits que, déjà, les risques d'un nouveau drame, les victimes devenant les bourreaux, se multiplient. La tension monte, en particulier au Congo.
Je voudrais aussi m'arrêter un instant sur la situation du Soudan et de la région du Darfour. On enregistre déjà 70 000 morts au minimum, 1, 5 million de personnes déplacées. Je crains, dans ces conditions, que la résolution 1574, adoptée par le Conseil de sécurité le 20 novembre dernier et appelant à l'arrêt immédiat des exactions, ne puisse contribuer au règlement de la crise, faute de contenir une quelconque menace de sanctions.
Monsieur le ministre, ma question sera simple. Je sais quelle importance vous attachez à ce sujet, et votre visite sur place en juillet dernier en est l'expression. Mais enfin, pourquoi ne sommes-nous pas parvenus à élaborer une résolution beaucoup plus contraignante ? On sait le travail remarquable réalisé au Tchad par les soldats français de la mission Epervier qui sécurisent les camps de réfugiés soudanais. La France avait donc la crédibilité nécessaire pour « pousser » le Conseil de sécurité dans le sens d'une décision plus significative. Que manque-t-il aujourd'hui à notre action pour que nous réussissions à soulager ces populations ?
J'en viens au dernier des sujets qui me préoccupent dans ce tour d'horizon partiel de notre politique étrangère. C'est un sujet, mes chers collègues, qui n'est que rarement débattu dans le cadre de nos ordres du jour. Aussi me semble-t-il important de lui accorder aujourd'hui quelques instants.
Entre le 29 novembre et le 3 décembre dernier, la communauté internationale était réunie à Nairobi pour le cinquième anniversaire du traité d'Ottawa interdisant les mines antipersonnel. Si ce premier bilan s'est révélé dans l'ensemble plutôt encourageant, l'Observatoire des mines nous rappelle qu'il y a encore entre 15 000 et 20 000 victimes par an, dont près d'un quart sont des enfants et dont 80 % sont des civils.
Depuis la fin des années quatre-vingt-dix, la France est indéniablement, et c'est tout à son honneur, à la pointe de la lutte contre ce fléau. Toutefois, monsieur le ministre, notre implication dans ce combat pourrait s'améliorer.
D'une part, le niveau de nos contributions baisse notablement depuis 2002. En 2004, avec un montant de 2, 5 millions de dollars, nous sommes seulement au vingt-deuxième rang des donateurs. Quand nous donnons 3 centimes d'euros par an et par habitant, la Norvège, par exemple, apporte près de 5 euros, toujours par an et par habitant.
D'autre part, trois points importants laissés en suspens par le traité d'Ottawa doivent être résolus rapidement.
D'abord, la nomenclature des mines interdites n'inclut pas pour l'instant certaines mines antichars qui présentent pourtant les mêmes dangers que les mines antipersonnel. Je veux parler des mines à déclencheur sensible.
Ensuite, la fixation d'un plafond concernant les stocks de mines conservés à des fins de recherche et de formation n'a toujours pas été arrêtée.
Enfin, la question des opérations militaires communes entre un Etat signataire et un Etat utilisant encore des mines n'a pas davantage été tranchée, non plus d'ailleurs que la question, très préoccupante, des bombes à sous-munitions. Je le rappelle, il s'agit d'engins qui peuvent éclater après coup et qui restent souvent suspendus aux arbres par des fils rouges, verts ou bleus. Prétendument destinés à permettre de repérer les bombes, ces fils sont surtout de dramatiques appâts, et les enfants qui se laissent abuser par leurs couleurs en meurent ou restent mutilés.
Comme pour la signature du traité en 1999, il ne fait pas de doute que, si la France montre l'exemple sur ces questions, d'autres pays suivront. Je souhaiterais donc, monsieur le ministre, que vous éclaircissiez la position de notre pays sur ces points.
Avant d'en venir aux chiffres, je pose une dernière question : doit-on considérer les derniers événements internationaux - les conférences de Berlin et de Charm el-Cheikh, les résolutions sur la Côte d'Ivoire, la résolution 1559 sur le Liban - comme autant de signes favorables au rapprochement des points de vue français et américains ?
J'en viens aux moyens dont le ministère des affaires étrangères sera pourvu en 2005.
Cette année, comme souvent depuis dix ans, avec 1, 58 % des dépenses de l'Etat, le Quai d'Orsay demeure, au choix, le « parent pauvre » ou la « bête noire » de Bercy.
J'évoquerai brièvement un sujet déjà abordé par Michel Charasse et sur lequel Mme Monique Cerisier-ben Guiga reviendra : l'aide publique au développement.
Certes, l'APD est en augmentation, mais cette augmentation porte essentiellement sur les allégements de la dette des pays pauvres. Or la part des allégements a été multipliée par 2, 5en quatre ans et, si l'on y ajoute l'effacement de la dette de l'Irak, on peut se demander ce qui va rester de l'APD !
Un dernier point : le montant de nos cotisations dans les grandes organisations internationales de développement est tout à fait insatisfaisant.
Avec nos 16 millions d'euros de contribution au programme des Nations unies pour le développement, nous ne sommes qu'en onzième place, loin derrière le Japon, les Pays-Bas ou encore la Norvège. Nos participations à l'UNICEF et au fonds des Nations unies pour l'aide aux populations sont également limitées. Le total de nos donations pour l'action humanitaire au sein de l'ONU nous place en vingt-troisième position, loin derrière la Grande-Bretagne et même la République de Corée, tout juste devant l'Arabie Saoudite et le Kenya !
Cette situation, qui, je le sais, vous préoccupe, monsieur le ministre, puisque vous l'avez vous-même déplorée en commission, ne permettra pas, en l'état, d'atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement.
Au risque de vous étonner, je suis pourtant d'accord sur le principe des déclarations que le Président de la République a faites au Brésil et reprises à l'ONU, mais, monsieur le ministre, comment peut-on tenir un discours de générosité sans se donner dans le même temps les moyens de la solidarité ?
Sur toutes les travées, nous savons quels efforts vous faites pour défendre le budget de votre ministère, comme d'ailleurs vos prédécesseurs avant vous, et nous savons que vous n'êtes pas resté l'arme au pied, puisque des avancées ont été obtenues. Mais, 1, 58 % pour la politique étrangère de la France, cela reste encore pour nous de l'ordre du symbole !
C'est pourquoi le groupe socialiste, au nom duquel je m'exprime, votera contre ce projet de budget, en espérant que ce vote vous aidera et même vous renforcera...