Intervention de Hélène Luc

Réunion du 8 décembre 2004 à 21h45
Loi de finances pour 2005 — Affaires étrangères

Photo de Hélène LucHélène Luc :

Quoi qu'il en soit, il faut circonscrire le champ de l'APD. Aujourd'hui, nous sommes en droit de demander une plus grande lisibilité de notre politique en matière de coopération. Nous sommes également en droit de demander que les allégements de dettes viennent s'ajouter à l'aide publique traditionnelle, selon un pur principe d'« additionnalité », et non s'y intégrer, comme c'est le cas actuellement.

Afficher une position est une chose, la mettre en oeuvre en est une autre. Il faut désormais franchir le pas vers la construction d'un monde plus juste socialement et économiquement, égalitaire et en paix. Les pays pauvres en ont assez des déclarations de bonnes intentions. Leurs populations sont dans une souffrance extrême. Nous l'avons vu, lors de missions en Ethiopie, en Erythrée et au Soudan.

L'état du monde ne peut laisser les gouvernements des pays riches inertes ; au demeurant, ce n'est pas le cas de la France : nous sommes loin d'être les plus mauvais ! L'inaction, c'est la mort programmée de millions de personnes chaque année. Face aux fléaux que sont la faim, les épidémies, les guerres, dont les premières victimes sont les enfants et les femmes, des solutions existent : il faut les mettre ne application. Il faut une volonté, il faut des objectifs clairs, il faut débloquer des moyens financiers.

Selon la Banque mondiale, 50 milliards de dollars par an manquent pour que soient les promesses de l'ONU d'ici à 2015. Or on compte aujourd'hui cinquante-quatre pays qui sont plus pauvres qu'en 1990 ! Cela signifie que, au rythme actuel, l'Afrique devra attendre l'année 2129 pour assurer l'accès de tous à l'école primaire et l'année 2156 pour réduire des deux tiers la mortalité infantile.

Voilà quelques jours, se déroulait la journée mondiale contre le sida, triste célébration vu les chiffres et l'état des lieux. En vingt ans, le sida a tué plus de 23 millions de personnes dans le monde, et 40 millions de personnes sont infectées par le virus, dont les deux tiers en Afrique subsaharienne. Dans les pays en développement, seulement 440 000 malades sont traités.

L'ONUSIDA a rendu cette année un rapport des plus alarmistes. L'organisation constate la féminisation de l'épidémie. A titre d'exemple, en Afrique subsaharienne, 75 % des jeunes infectés sont des filles âgées de quinze à vingt-quatre ans. Qui plus est, la propagation du virus s'étend aujourd'hui dans les pays les plus peuplés de la planète, en Europe orientale et en Asie, ce qui annonce, si rien n'est fait, une catastrophe sanitaire sans précédent.

Devant un tel bilan, comment jouer la carte de l'immobilisme, alors que les programmes de prévention du sida touchent moins d'une personne sur cinq et qu'une prévention complète pourrait éviter 29 millions de nouvelles infections dans les années à venir.

La lutte contre le sida et contre toutes les pandémies doit s'intensifier et s'incarner dans une politique audacieuse de l'accès aux médicaments et aux brevets. Il faut accélérer la recherche, redéfinir des stratégies en dehors des impératifs fixés par l'OMC. L'entrée en vigueur, en 2005, des accords relatifs aux aspects des droits de propriété intellectuelle aura des conséquences directes pour des pays importateurs de médicaments génériques comme l'Inde, ce qui suscite de très grandes inquiétudes.

Je tiens à insister également sur l'urgence qu'il y a pour nous à agir si nous ne voulons pas nous rendre complices de désastres et de désordres mondiaux de grande ampleur.

Pour ce qui est de la faim dans le monde, si l'aide n'est pas substantiellement augmentée dans les deux ou trois décennies qui viennent, des tensions alimentaires extrêmes apparaîtront dans des pays fragilisés du Moyen-Orient, du Maghreb, de la vallée du Nil, de l'Afrique de l'Ouest ou de l'Afrique subsaharienne.

D'ores et déjà, nous pouvons constater l'utilisation de la famine comme arme politique et arme de guerre pour disséminer des ethnies entières.

L'eau est aussi source de multiples conflits. Le conflit entre Israël et la Palestine en est un des nombreux exemples, même si l'eau n'est, bien sûr, pas seule en cause. Kofi Annan a même déclaré que le XXIe siècle serait celui de la guerre pour l'eau. Il est certain que cette prédiction se réalisera si rien n'est fait rapidement.

Nous avons là deux exemples flagrants de la relation étroite existant entre la lutte contre les inégalités, la pauvreté et l'essor des pays pauvres, d'une part, la stabilité et la paix mondiale, d'autre part.

En définitive, monsieur le ministre, la hausse apparente des crédits n'empêche pas une diminution des projets. Les pays pauvres attendent plus de nous, et nous sommes encore loin d'avoir un budget à la hauteur des nécessités.

Je ne voudrais pas quitter cette tribune sans féliciter toutes les régions, tous les départements, toutes les communes qui se mobilisent pour participer à l'effort de coopération décentralisée.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion