Intervention de Alima Boumediene-Thiery

Réunion du 8 juin 2006 à 21h45
Immigration et intégration — Article 12

Photo de Alima Boumediene-ThieryAlima Boumediene-Thiery :

Monsieur le ministre, en créant cette nouvelle carte de séjour « compétences et talents », vous institutionnalisez fortement le caractère utilitariste et discriminatoire de notre politique de l'immigration.

Désormais, le droit au séjour en France sera déterminé par le mérite et les talents, sélectionnés par l'administration, et non plus par l'histoire personnelle, les attaches, la famille, liées à notre pays.

De plus, vous entretenez volontairement un certain flou juridique. Quels seront effectivement les bénéficiaires ? Comment se mesurent les « compétences » et les « talents », et qui va en décider ?

Vous faites revenir la France à une époque où régnait la servitude, pour ne pas faire référence à des heures plus sombres de notre histoire. Il y a toutefois une différence avec ce qui s'est déroulé dans le passé : vous visez, à travers ces dispositions, la composante la mieux formée et la plus compétente des pays en voie de développement. Savez-vous que certains pays dépensent aujourd'hui 40 % de leur budget à la formation et à l'éducation ? Ces dépenses doivent-elles servir aux pays développés ?

Avec ce projet de loi, vous institutionnalisez le pillage à bas prix des cerveaux du Sud. On connaît le scandale des médecins étrangers surexploités et jamais reconnus. On assiste au rançonnage des meilleurs éléments de l'Inde, du Pakistan, du Vietnam, du Maroc, ou du Niger. Vous passez ces étrangers au tamis d'un tri sélectif tout à fait inacceptable et inhumain. Au prétexte de ne vouloir que des chercheurs, des ingénieurs, des sportifs de haut niveau, vous dites « non » à tous les autres étrangers qui ne répondent pas à vos critères capitalistes.

Pis, les rares migrants qui passeront au travers de ce tri administratif extrêmement sélectif se retrouveront dans une situation présentant très peu de garanties juridiques. En effet, l'arbitraire de l'administration étant légalisé, cette dernière pourra choisir qui elle veut, en fonction de critères volontairement flous, sans aucune définition. Ce projet de loi officialise, comme règle générale, le fait du prince : l'administration accorde ou non des faveurs, au cas par cas, selon des critères dont l'appréciation peut changer d'une préfecture à l'autre, puisqu'il n'en existe aucune définition juridique.

Monsieur le ministre, comme vous me l'avez rappelé hier soir, nous sommes dans un État de droit. Pour cette raison, nous ne pouvons pas soutenir votre projet de loi qui officialise l'arbitraire. En effet, le flou des critères renforce le pouvoir d'appréciation discrétionnaire de l'administration, alors que l'égalité de traitement et la justice, qui sont des pouvoirs régaliens de notre État, sont affaiblies.

Par ailleurs, cette carte de séjour « compétences et talents » n'offre pas les mêmes garanties que la carte de résident : valable seulement trois ans, elle n'assure que très peu de garanties aux membres de la famille ; de plus, sa délivrance est subordonnée à la production, ô combien difficile, d'un visa de long séjour.

Un autre élément plaide contre ce nouveau titre de séjour : le demandeur de cette carte de séjour doit remplir les mêmes conditions que pour une demande de naturalisation. Or, ces deux procédures ne concernent absolument pas le même public. Les critères sont beaucoup trop discriminatoires. Vos propos donnent d'ailleurs à penser que le demandeur de cette carte n'aurait à l'esprit que l'obtention, au bout du compte, de la nationalité française. Savez-vous, monsieur le ministre, que cette suspicion ne nous sert pas ? Tous les étrangers ne veulent d'ailleurs pas de cette nationalité, et certains considéreraient même qu'il s'agirait pour eux d'une trahison au regard de leur histoire.

Alors, arrêtez là votre imagination débordante qui ne mène qu'à la suspicion permanente et à un climat désastreux, lequel ne peut avoir que des conséquences dramatiques pour notre pays.

Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, les Verts voteront contre cet article.

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