Intervention de Josette Durrieu

Réunion du 8 décembre 2004 à 21h45
Loi de finances pour 2005 — Affaires étrangères

Photo de Josette DurrieuJosette Durrieu :

Monsieur le ministre, votre tâche ne sera pas facile et vous aurez probablement du mal à mettre vos ambitions et vos priorités, que nous partageons pour l'essentiel, en adéquation avec vos moyens.

A vrai dire, nous sentons bien, à l'occasion de nos visites dans les différentes ambassades, que l'influence de la France est quelque peu malmenée. C'est dommage !

Quelle place pour la France en Europe et pour l'Europe dans le monde ?

Puisque le débat sur le projet de Constitution est lancé, j'ai envie de dire que, à l'évidence, il n'y aura pas d'Europe politique, pas d'Europe achevée tant que nous n'aurons pas fait une Europe de la défense et de la politique extérieure commune.

J'imagine, monsieur le ministre, que vous avez travaillé à ce projet de Constitution ; peut-être même en avez-vous rédigé l'article 10 dont le paragraphe 7 de l'article I-41, aux termes duquel l'OTAN « reste, pour les Etats membres, le fondement de leur défense collective. »

Cette option me paraît grave au moment où les Américains disent très clairement leur volonté d'imposer leur politique, où ils déclarent que les alliances traditionnelles, Alliance atlantique comprise, sont dépassées et entendent nouer des partenariats à la carte, où ils proclament sans ambiguïté qu'ils n'interviendront plus dans un quelconque conflit régional en Europe.

Face à cela, que doit faire l'Europe ? L'Europe peut-elle, aujourd'hui, émerger comme un véritable acteur ? N'est-elle pas quelque peu condamnée par sa faiblesse militaire, et aussi par ce projet de Constitutionnel, à ne jouer qu'un rôle mineur ?

Je préside la commission de suivi du Conseil de l'Europe et je peux vous dire que les Balkans occupent le plus clair de mon temps. Dans cette région, la situation n'est pas stabilisée, mais simplement gelée. Les Américains eux-mêmes disent que le conflit risque fort de ressurgir.

Lors d'un déplacement que j'ai effectué en Macédoine, la semaine dernière, j'ai constaté que la crise que nous pouvions craindre à l'occasion du référendum a été évitée, ce qui est un signe très positif et inattendu. Les partis albanais, ceux de la coalition au pouvoir comme ceux de l'opposition, ont fait le choix d'aborder la situation de façon responsable.

Cependant, la menace reste grande et la situation économique est dramatique : le taux de chômage atteint 70 % au Kosovo, 40 % en Bosnie comme en Macédoine.

L'issue de cette situation inquiétante dépendra du statut que nous donnerons au Kosovo et de la réponse que nous apporterons à ces pays sur leurs perspectives d'adhésion à l'Union européenne. Ce sera pour eux un élément de stabilité, même si l'échéance leur paraît lointaine.

Monsieur le ministre, s'agissant du Moyen-Orient, quel rôle l'Europe peut-elle jouer aujourd'hui au sein du Quartet ? La feuille de route est-elle toujours d'actualité ?

Vous savez fort bien que seul le plan Sharon est pris en considération par les Américains, les Républicains comme les Démocrates. Que Kerry eût été élu n'y eût rien changé !

Lorsque vous avez rencontré Yasser Arafat, il vous a sûrement posé cette question, à la fois forte et naïve : que fait l'Europe ? Qu'avez-vous répondu et que pouvons-nous répondre à cette interpellation, qui peut avoir une connotation dramatique, sinon que, en réalité, l'Europe n'existe pas ?

Que faut-il penser, aussi, de ce futur ministre des affaires étrangères « hors-sol », dont la mission sera extrêmement délicate tant qu'il n'y aura pas une volonté de définir une politique étrangère commune ?

Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger également sur l'Iran, où M. Solana s'est rendu récemment et où je me trouvais moi-même la semaine dernière.

Quelle sera l'issue de l'accord passé sur le programme nucléaire iranien ? Nous saluons ce bel acte diplomatique, même s'il est totalement informel, et je dis bravo à cette initiative de la France, rejointe par l'Allemagne et la Grande-Bretagne, car l'enjeu est majeur : la crise, imminente au moment des élections américaines, demeure latente. La menace est réelle, mais nous en avons à peine conscience.

L'Iran a-t-il, d'après vous, monsieur le ministre, définitivement renoncé à l'enrichissement de l'uranium ? Sachant qu'il s'agit d'une mesure strictement volontaire de sa part, de quelles garanties et de quels moyens de vérification disposons-nous ? Comment la France accompagne-t-elle ce processus ? Quelles sont les possibilités de coopération ?

Depuis la signature de l'accord, il y a eu des reculs : en particulier, l'accès aux sites n'est pas illimité ; l'Agence internationale de l'énergie atomique, l'AIEA, en a pris acte. La confiance avait été difficile à établir et la méfiance est maintenant de retour.

Les Etats-Unis veulent, pour leur part, un arrêt total, immédiat et définitif du processus nucléaire. Ils évoquent déjà des programmes « cachés », « parallèles » ou « non déclarés ». Nous savons tous que leur méfiance est grande et que leur volonté reste entière de saisir seuls et directement le Conseil de sécurité de l'ONU.

Le président Bush a déclaré à Ottawa, le 30 novembre dernier : « Cette étape est positive... mais ce n'est sûrement pas la dernière pour lever les craintes des Américains. » Cela sonne un peu comme un avertissement.

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