Intervention de Jean-Louis Carrère

Réunion du 8 décembre 2004 à 21h45
Loi de finances pour 2005 — Affaires étrangères

Photo de Jean-Louis CarrèreJean-Louis Carrère :

« La France garde mal la paix », « L'armée recule sur le front des chiffres », « Images indésirables sur Canal Plus ». C'est, bien sûr, de la situation en Côte d'Ivoire qu'il s'agit. Sujet d'actualité, certes, mais qui ne date pas d'aujourd'hui : c'est un nouveau chapitre d'une vieille histoire qui lie notre pays et notre population à ce pays et à sa population.

Aujourd'hui, messieurs les ministres, le sang a coulé. Je m'inquiète du sort des militaires français en Côte d'Ivoire. Je pense à ceux qui sont tombés et à leur famille. Ils méritent bien l'hommage que nous leur rendons.

Je pense également aux ressortissants français, victimes d'une incroyable violence, mais aussi, dans notre pays, d'un certain abandon.

Je vous donne lecture d'un article d'un quotidien que vous connaissez bien, monsieur le ministre délégué, :

« Henri Emmanuelli vient d'écrire au Premier ministre Jean-Pierre Raffarin afin d'attirer son attention sur les conditions parfois dramatiques d'arrivée en France des réfugiés de Côte d'Ivoire .

« Dans les Landes, sept familles sont concernées. L'Etat ne leur a accordé qu'une aide de 150 euros à leur arrivée ; ce montant est insignifiant par rapport à leurs besoins immédiats, souligne le député.

« Le conseil général des Landes a décidé de leur attribuer une aide de 1 000 euros par personne pour novembre et décembre. »

Nous sommes bien obligés de prendre en compte le désarroi et la détresse financière dans lesquels sont plongés ces compatriotes.

Je me dois aussi de parler des civils ivoiriens morts ou blessés. Dans ces situations de guerre, de violence brute, il n' y a pas de victimes qui seraient plus victimes que les autres, il n'existe pas d'échelle qui nous permettrait de distinguer entre les bonnes et les mauvaises victimes.

Toutefois, je le crois, c'est au détenteur de la force, de la plus grande force, en chaque circonstance, de définir l'usage qui doit être fait de cette supériorité possible dans la violence.

Sans chercher la polémique, j'affirme que le maintien de l'ordre ne s'improvise pas. Dans cet hémicycle, il y a des spécialistes de la question !

Vérité en France, vérité à Abidjan ! Pour « traiter », comme on dit, une émeute, une manifestation ou pour réprimer une foule déchaînée, doit-on se contenter d'utiliser la force militaire, avec les méthodes et l'engagement que cela suppose ? Cela peut se révéler nécessaire, dans certaines circonstances, mais, pour ce genre d'action, dont les conséquences peuvent être lourdes et se mesurer en vies humaines, ne vaut-il pas mieux faire appel à des spécialistes ?

Ne nous laissons pas entraîner dans une politique qui tendrait à tout résoudre par la force militaire, sans discernement, sans nuance. Bref, ne faisons pas les mêmes erreurs tragiques que les dirigeants d'outre-Atlantique, qui donnent souvent une réponse militaire à des questions politiques, ce que nous condamnons.

Le Gouvernement semble ne pas toujours vouloir dire nettement à la nation tout ce qui s'est passé en Côte d'Ivoire. Or, messieurs les ministres, il s'agit d'un dossier complexe, douloureux et dangereux, où l'avenir de milliers de Français est en cause, où nos soldats sont engagés au péril de leur vie. Nous avons le sentiment que, selon les jours, les thèses gouvernementales varient. Ce n'est pas bon signe ! Une commission d'enquête a été demandée à l'Assemblée nationale, une mission d'information a été réclamée au Sénat. Il serait sage d'accepter ces propositions.

Notre politique africaine n'est pas assez lisible. Elle manque, me semble-t-il, de cohérence, et elle conduit parfois à des drames humains comme ceux qui ont été vécus ces jours-ci à la fois par notre armée, par la communauté française et par la population ivoirienne.

Je le dis fermement et clairement, m'adressant ici aux responsables politiques, à ceux qui ont dirigé les opérations diplomatiques et militaires ayant abouti à la situation actuelle. Je parle ici de responsabilité politique !

II ne s'agit pas, ici, de dresser le bilan de la situation ; il y aurait d'ailleurs beaucoup à dire sur l'orientation que votre prédécesseur, monsieur le ministre, a imposée lors des accords de Marcoussis. Ce temps viendra sans doute. Aujourd'hui, l'urgence est à la résolution de la crise ; celle-ci passe par une solution politique et non militaire.

La responsabilité du président Laurent Gbagbo est bien entendu centrale. Celle des forces dites « nouvelles » est aussi fortement engagée. Les solutions pour redonner un espoir, un avenir à la Côte d'Ivoire appartiennent désormais à l'Afrique elle-même, à l'Union africaine, sous l'égide des Nations unies. La feuille de route proposée aux Ivoiriens par le président sud-africain, Thabo Mbeki, constitue un motif d'espoir.

Il faut relancer le processus politique de paix. L'adoption de la révision constitutionnelle et la mise en place de réformes législatives auraient dû intervenir, vous le savez, avant le 30 septembre, et le désarmement aurait dû être engagé avant le 15 octobre.

Les principes sont clairs : respect de l'intégrité des territoires et légitimité des gouvernements ; leur application est difficile. Le Conseil de sécurité a réaffirmé, lors de la résolution 1572 du 15 novembre 2004, son ferme attachement au respect de la souveraineté, de l'indépendance, de l'intégrité territoriale et de l'unité de la Côte d'Ivoire.

Il faut que les parties s'engagent à respecter les accords, notamment pour le règlement de la question de l'éligibilité à la présidence de la République, le désarmement des groupes paramilitaires et des milices, sans oublier le démantèlement des groupes de « jeunes patriotes » émeutiers.

De nôtre côté, nous souhaitons que le contenu et la cohérence des missions assignées à la force Licorne soient précisés à la lumière des derniers événements.

En guise de conclusion, messieurs les ministres, je poserai deux questions.

Premièrement, comment la France et l'Europe pourraient-elles contribuer au désarmement indispensable pour le rétablissement de l'intégrité territoriale du pays, qui est une obligation préalable à l'organisation des élections en 2005 ?

Deuxièmement, envisagez-vous, dans le cadre du mandat de l'ONU, la recomposition de la force internationale dans le sens d'un plus grand multilatéralisme ? Est-il possible que les forces françaises soient relayées par une force européenne qui, au côté des forces africaines de la CEDEAO, constituerait l'ossature de l'ONUCI ? Est-il prématuré de l'envisager ?

On ne résout pas une crise aussi grave sans une ligne politique claire, cohérente, donc compréhensible.

Mais au fait, monsieur le ministre, le Gouvernement et le Chef de l'Etat ont-ils une politique pour la Côte d'Ivoire ? Si oui, quelle est-elle ?

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion