C'est un vote dont on n'a pas fini de mesurer les conséquences regrettables.
Le projet de Constitution européenne prévoyait de simplifier la procédure annuelle d'adoption du budget communautaire en la ramenant à une seule lecture au Conseil et au Parlement et en supprimant la distinction entre dépenses obligatoires et dépenses non obligatoires. En cas de désaccord, un comité de conciliation devait réunir les représentants du Conseil et ceux du Parlement européen, sans qu'aucune des deux institutions ne puisse imposer sa volonté à l'autre.
En outre, et surtout, le projet de Constitution européenne prévoyait d'inscrire dans le traité le mécanisme des perspectives financières, rebaptisé « cadre financier pluriannuel. ». Cela aurait permis de pérenniser une pratique qui s'est développée en marge des traités, sous la forme d'accords interinstitutionnels, mais qui a fait la preuve de son efficacité pour assurer un financement régulier aux grandes politiques communautaires.
Toutefois, le projet de Constitution maintenait le principe de l'unanimité pour l'adoption du cadre financier pluriannuel, en retrait par rapport au texte issu de la Convention, qui prévoyait une majorité qualifiée.
Force est de constater que l'Union européenne n'est pas encore mûre pour abandonner la règle de l'unanimité en matière de programmation financière.
Cette règle risque pourtant de déboucher sur des situations de blocage, comme nous le montre l'état de la négociation des perspectives financières pour l'après-2006
En effet, la difficile négociation des perspectives financières pour la période 2007-2013 est, malheureusement, suis-je tenté de dire, le grand sujet qui occupe actuellement le devant de la scène européenne.
Cette négociation représente un véritable défi en termes de calendrier. La discussion s'est engagée à partir de la présentation par la Commission d'une communication en février 2004. L'objectif était initialement de parvenir à un accord politique à la fin du premier semestre de 2005, sous présidence luxembourgeoise.
Cet accord ne s'étant pas fait, les débats se prolongent au second semestre 2005, sous présidence britannique, avec, en ligne de mire, le Conseil européen des 15 et 16 décembre prochains. Mais même cette ultime échéance risque de ne pas être tenue, en raison de la dureté, de l'intransigeance des positions adoptées de part et d'autre.
On a pourtant frôlé un accord lors du Conseil européen des 16 et 17 juin derniers. L'excellente présidence luxembourgeoise de Jean-Claude Juncker était parvenue à un compromis qui satisfaisait la plupart des États membres. Le montant global proposé pour les dépenses s'élevait à 871, 5 milliards d'euros en crédits d'engagement sur la période 2007-2013, soit 1, 06 % du revenu national brut de l'Union européenne.
Il faut tout de même le rappeler, la France, pour sa part, avait fait les concessions nécessaires pour parvenir à ce compromis.
Notre pays a consenti à la perpétuation de la compensation britannique au niveau de 5, 5 milliards d'euros. Il a accepté, par ailleurs, une diminution des dépenses agricoles de 6 milliards d'euros sur la période, sans que soient toutefois affectées les aides directes Il a agréé, enfin, une augmentation de sa contribution au budget communautaire de 12 milliards à 13 milliards d'euros sur la période, soit, en conséquence, une dégradation sensible de son solde net. La France et le Royaume-Uni se seraient ainsi trouvés en situation de quasi-parité.
Aujourd'hui, le désaccord persistant ne porte pas tant sur le niveau des dépenses que sur la question des ressources propres.
La Commission avait initialement proposé de mettre fin progressivement au « chèque britannique », pour mettre en place un mécanisme de correction généralisée bénéficiant à tous les pays dont le solde net excède un certain niveau. En effet, le régime dérogatoire britannique n'a plus aucune raison d'être dans la mesure où le Royaume-Uni ne souffre plus du tout d'une « moindre prospérité relative », comme c'était le cas en 1984.
Le compromis dégagé par Jean-Claude Juncker n'était pas aussi radical, puisqu'il proposait simplement de plafonner la contribution britannique au niveau de 5, 5 milliards d'euros. Il a recueilli l'assentiment de vingt États membres sur vingt-cinq, mais s'est heurté à l'opposition farouche du Royaume-Uni et de trois autres contributeurs nets, ainsi que, plus curieusement, de l'Espagne.
Or, c'est le Royaume-Uni - paradoxe ! - qui exerce aujourd'hui la présidence de l'Union. Nous nous trouvons donc dans une situation tout à fait paradoxale : le pays qui, en raison de sa situation institutionnelle, devrait faire des propositions pour relancer la discussion est aussi celui qui est le moins enclin au compromis.
Pour l'instant, M. Tony Blair a laissé entrevoir la possibilité d'une remise en cause du « chèque britannique », à la condition que soit réduite la part de la politique agricole commune dans le budget communautaire.
Il est permis de s'étonner de cet acharnement sur la politique agricole commune. Faut-il rappeler que la part, certes optiquement importante, des dépenses agricoles dans le budget communautaire s'explique par le fait que celles-ci correspondent à la seule politique commune complètement intégrée ? Ainsi, si l'on prend en compte les dépenses nationales, l'Union européenne consacre 2 % de son PIB à la recherche et seulement 0, 43 % de son PIB à l'agriculture.
Enfin, cela a été dit par M. le rapporteur général et par M. le rapporteur spécial, on ne peut, sans mauvaise foi, omettre que des réformes de la politique agricole commune ont déjà été engagées en 1992, en 1999 et en 2003.
Le gel en valeur absolue des dépenses agricoles décidé jusqu'en 2013, sur l'initiative de la France et de l'Allemagne, avec, bien sûr, l'approbation britannique, équivaut à une baisse programmée de leur part relative dans le budget communautaire, qui passerait de 40 % aujourd'hui à 30 % en 2013. Elle était de 71 % en 1984, à l'époque où Margaret Thatcher a obtenu de haute lutte son « chèque » de compensation.
Il paraît donc douteux que l'on parvienne à un accord sur les perspectives financières sous la présidence britannique. Dans cette hypothèse, la négociation ne débouchera, au mieux, qu'au printemps 2006, sous l'excellente présidence autrichienne.
Une telle prolongation sera source de complications, compte tenu des délais nécessaires à un démarrage effectif de la nouvelle programmation des fonds structurels au ler janvier 2007. Il serait malheureux de renouveler pour la période 2007-2013 l'erreur de la période 2000-2006, pour laquelle les perspectives financières ont été adoptées trop tard.
Cela a retardé d'autant la mise en place des programmes et explique, en partie, certaines sous-consommations de crédits que nous observons aujourd'hui.
Pour autant, je ne crois pas que notre pays puisse guère aller au-delà des concessions qu'il a déjà faites au mois de juin dernier
En particulier, il ne serait pas concevable de transiger sur la politique agricole commune, avant même que les réformes en cours aient produit tous leurs effets.
La présidence britannique le sait, comme elle sait bien que c'est sur elle que reposerait un échec au prochain Conseil européen. Ses dernières propositions visant à diminuer le montant du budget européen en deçà de ce que prévoyait le paquet luxembourgeois ne semblent pas de nature à permettre de dynamiser l'économie européenne comme M. Tony Blair semblait le souhaiter. Dès lors, l'échec semble se profiler au Conseil européen de décembre. Ce serait autant de temps perdu pour l'Europe.