Intervention de Bernard Frimat

Réunion du 30 novembre 2005 à 10h30
Loi de finances pour 2006 — Participation de la france au budget des communautés européennes : article 50

Photo de Bernard FrimatBernard Frimat :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l'article 50 du projet de loi de finances pour 2006 est l'un des rares articles que le groupe socialiste approuvera, puisqu'il ne s'agit, en l'espèce, que de prendre acte financièrement des engagements européens souscrits par la France et de les respecter.

Toutefois, au-delà de cet exercice habituel et curieux, qui consiste à voter annuellement une réduction de recettes dont le Parlement ne peut déterminer le montant, et de remplir ainsi une obligation à laquelle il ne peut se soustraire, ce débat est d'abord pour nous l'occasion d'évoquer l'état des rapports entre la France et l'Union européenne.

Le rapport spécial de notre collègue Denis Badré contient toutes les précisions chiffrées qui permettent une analyse détaillée. Aussi, il me semble préférable, à ce stade du débat, de ne pas insister sur des données connues de tous.

De plus, nous savons que, en matière chiffrée, tout est question d'interprétation et que, selon les besoins du raisonnement, il nous est loisible de mettre l'accent sur telle caractéristique plutôt que sur telle autre.

Quoi qu'il en soit, avec un concours de près de 18 milliards d'euros, la France reste le deuxième pays contributeur du budget de l'Union européenne, derrière l'Allemagne, et le deuxième pays bénéficiaire, derrière l'Espagne.

La France est à la fois le premier financeur du « chèque britannique » et le premier pays bénéficiaire de la PAC.

Enfin, si nous nous attachons au solde net de chaque pays, et quelle que soit la méthode de calcul utilisée, la France reste structurellement dans le camp des huit pays contributeurs nets. Elle y occupe cependant une modeste sixième ou septième place, selon la méthode de calcul employée, avec un solde estimé entre 0, 11 % et 0, 15 % du revenu national brut. Notre contribution nette mesurée en part de RNB est du même ordre que celle du Danemark et de l'Autriche, légèrement inférieure, en dépit du « chèque britannique », à celle de la Grande Bretagne, et très inférieure à celle de la Suède et de l'Allemagne et, surtout, des Pays-Bas, ce dernier pays étant, de très loin, le premier contributeur net de l'Union européenne.

Comme les années précédentes, dès que l'on ne réduit pas l'analyse au seul montant de la contribution brute de la France au budget de l'Union européenne, on s'aperçoit que l'effort financier net en faveur de l'Europe pèse très peu sur nos engagements.

S'il est toujours important, dans tout débat budgétaire, d'avoir une vision précise des coûts réels, il est en revanche particulièrement réducteur d'aborder le devenir de la construction européenne par le biais du solde net. À mon sens, l'ambition européenne ne pourra jamais s'identifier à un simple ratio comptable.

Après le refus français et néerlandais du traité constitutionnel, l'échec, lors du Conseil européen de juin dernier, de la négociation sur les perspectives financières pour la période 2007-2013 témoigne avec éclat de la crise profonde qui touche l'Europe, alors que, dans le même temps, celle-ci est confrontée au défi de l'élargissement.

La présidence britannique, qui se concentre sur ses seuls intérêts nationaux, semble incapable de sortir l'Europe de cette crise profonde. Le prochain sommet paraît déjà relever de la chronique des échecs annoncés. Si cette hypothèse se confirme, que reste-t-il de l'ambition européenne ?

Cinquante années de construction européenne doivent-elles avoir pour seul aboutissement une double crise, institutionnelle et financière, une Europe incapable de dépasser les égoïsmes nationaux et réduite à ressasser une stratégie de Lisbonne, au demeurant vidée de tout contenu, dans la mesure où les moyens nécessaires au développement d'une Europe de progrès favorisant l'emploi sont refusés ?

Le récent Conseil Affaires générales et relations extérieures, qui s'est tenu le 21 novembre dernier, n'a enregistré aucun progrès dans la recherche d'une solution. Chaque État membre campe sur ses positions, arc-bouté sur un intérêt national qui devient le moteur essentiel de sa participation à l'Union européenne. Tout le monde agit comme si la finalité de la construction européenne ne consistait qu'à privilégier les intérêts de chacun et à croire que l'intérêt général européen résultera de la somme des intérêts nationaux particuliers, même s'ils sont contradictoires.

Pensez-vous, madame la ministre, qu'il faille se contenter de s'accrocher au seul paquet financier, ficelé avec talent par M. Jean-Claude Juncker, alors que celui-ci n'a pu résoudre la crise ? Pensez-vous qu'il suffise d'attendre la présidence autrichienne pour trouver une solution au problème posé ?

L'impuissance du Conseil européen laisse le champ libre à la Commission. Devant la cacophonie intergouvernementale, devant le vide quasi sidéral des propositions de la présidence britannique et, de manière générale - il faut le déplorer - devant l'inexistence politique du Conseil européen, la Commission et son président multiplient les initiatives.

Le programme de travail de la Commission pour 2006, notamment dans le domaine législatif, qui a été transmis le 26 octobre dernier au Conseil et au Parlement européen, illustre cette situation. Sous couvert de simplification de l'acquis communautaire, nous pouvons craindre que la Commission n'édicte comme principe de base que mieux légiférer signifie, forcément, moins légiférer, afin de poursuivre l'opération de déréglementation en cours dans des domaines essentiels pour les citoyens européens.

À ce titre, le retrait de soixante-huit directives effectué par la Commission ne semble être que la phase la plus visible d'un travail silencieux de remise en cause systématique de l'acquis communautaire. Or, dans bien des cas, nous avons besoin d'un développement de la législation européenne, notamment dans les domaines des normes sociales, de l'environnement, de l'énergie et de l'harmonisation des fiscalités. Ce sont autant de secteurs pour lesquels les citoyens ont une attente à l'égard de l'Europe, qui peut d'ailleurs apporter une réelle valeur ajoutée.

L'Europe ne doit pas se réduire à une simple zone de libre-échange dotée d'un minimum de normes sociales et environnementales.

Madame la ministre, l'ambition européenne ne peut donc se satisfaire ni d'un échec sur les perspectives financières de l'Union ni d'un accord sur des perspectives financières anémiées.

Il est nécessaire de définir des perspectives financières, qui permettent non seulement aux nouveaux entrants de rattraper leur retard économique, mais aussi aux zones de l'ancienne Europe des Quinze, dont les caractéristiques économiques l'exigent, de bénéficier de la solidarité européenne.

La discussion ne peut se limiter à la mise en cause de la politique agricole commune et à la question du maintien du « chèque britannique ». L'Europe mérite mieux qu'une interminable et inefficace discussion parcellaire.

Si le budget européen doit effectivement être financé de manière équitable, il doit aussi être mis au service de la paix et de l'emploi.

Il n'est pas juste de maintenir en l'état le mécanisme du « chèque britannique ». Tout en se rappelant que, en solde net, la Grande-Bretagne finance l'Europe plus que la France, force est de constater que les raisons ayant présidé, en 1984, à l'adoption de ce mécanisme ont aujourd'hui disparu. La Grande-Bretagne est devenue l'un des pays les plus riches de l'Union européenne, et ce qui était fondé hier sur la solidarité est devenu une rente sans réelle justification.

Néanmoins, s'il faut revoir le « chèque britannique » et amplifier la politique de cohésion, il est illusoire de croire que cette orientation sera possible si l'Europe affiche des perspectives financières insuffisantes.

Le plafond du budget européen doit être fixé à un niveau suffisamment élevé pour rendre compatible le maintien d'une politique agricole rénovée et le développement des politiques d'avenir insuffisamment financées à ce jour par le budget de l'Union. Ma collègue Catherine Tasca détaillera plus particulièrement l'importance de ces dernières, qui représentent des objectifs essentiels pour les citoyens européens.

Les désaccords profonds que laisse apparaître l'état de la négociation sur les perspectives financières pour la période 2007-2013, l'absence de dynamique qui en découle pour les années à venir, dans une Union européenne incapable de se projeter dans le futur, le retard sans doute inévitable du démarrage d'une nouvelle politique de cohésion constituent, à des titres divers, des indicateurs de la crise de l'Union européenne. À cela s'ajoute un élément que personne n'a évoqué jusqu'à présent, c'est-à-dire l'échec, pour la première fois depuis bien longtemps, de la concertation entre le Parlement européen et le Conseil, avant la seconde lecture du projet de budget pour 2006.

La solution ne viendra pas d'une dérive autoritaire de la Commission européenne, elle ne peut reposer que sur une prise de conscience par le Gouvernement, le Parlement européen et les parlements nationaux de la gravité de la situation.

Les citoyens croiront de nouveau à l'Europe quand leurs propres États formuleront une vision européenne de l'action commune, quand ils concevront ensemble un projet global au bénéfice des Européens.

Là se trouve, à mes yeux, le véritable défi de l'Europe du xxie siècle.

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