Intervention de Jacques Mahéas

Réunion du 30 novembre 2005 à 22h00
Loi de finances pour 2006 — Débat sur les effectifs de la fonction publique

Photo de Jacques MahéasJacques Mahéas :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous nous livrons aujourd'hui à un exercice doublement inédit, puisqu'un tel débat sur les effectifs de la fonction publique n'a encore jamais eu lieu et qu'il s'inscrit dans le cadre de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances, la LOLF.

Il n'est pas tolérable que l'État ne connaisse pas exactement le nombre de ses fonctionnaires : l'obscurité et le flou favorisent la démagogie et incitent d'aucuns - à droite - à toujours demander globalement moins de fonctionnaires, tandis qu'ils en réclament davantage - à droite comme à gauche, cette fois-ci, ... mais la gauche, quant à elle, ne réclame pas la suppression de postes de fonctionnaires - sur son territoire pour la sécurité, l'école, la santé.

Je ne reviendrai pas sur les apports de la LOLF, qui va dans le bon sens et qui devrait participer efficacement de l'impérieuse nécessité de moderniser l'État, à condition de ne pas être détournée de son objectif.

L'article 51 de la loi de finances pour 2006, dit « article d'équilibre », fixe le plafond du nombre d'emplois publics à 2 351 146, plafond qui fera l'objet d'un vote global tout à l'heure.

Il n'y a rien à redire à cela, tant cette tentative d'exhaustivité est tout à fait louable : elle permet d'avoir une vision plus globale de la situation financière de l'État, les dépenses de personnel représentant par définition une dépense pérenne.

Cette année, le vote de l'article d'équilibre donne lieu à l'organisation de deux nouveaux débats spécifiques : l'un sur les effectifs de la fonction publique, l'autre sur l'évolution de la dette de l'État.

Espérons ne pas y lire la marque d'un inconscient libéral qui ferait, de l'un à l'autre, un rapport de cause à conséquence ! Car était-il vraiment pertinent d'organiser un débat autour d'un chiffre qui conduit à appréhender les fonctionnaires d'abord comme une charge ?

En effet, la LOLF n'est qu'un outil, qui n'induit pas automatiquement la réduction de la dépense et des emplois publics.

Mais, entre les mains de ce gouvernement, l'outil a tôt fait de se transformer en rabot ! Si le Premier ministre nie en avoir fait un tel usage, n'a-t-il pas demandé clairement, lors de sa conférence de presse du 27 octobre dernier, « à chaque ministre de faire des propositions chiffrées de redéploiement des effectifs et de non-remplacement des départs en retraite avant le 1er février 2006, pour les intégrer dans le budget 2007 » ? Il reprend là l'antienne du « un sur deux », chère à M. Sarkozy, grand récidiviste sur ce thème !

Et que penser de l'insistance de Georges Tron, rapporteur spécial à l'Assemblée nationale : « Le non-remplacement d'un départ à la retraite sur deux est une référence qui a été évoquée plusieurs fois depuis le début de la législature et qui peut être retenue en tant que telle. Le poids de la dépense en personnel obérant toutes les marges de manoeuvre budgétaires, il faut aller vers une réduction des effectifs en ne remplaçant qu'un sur deux des 75 000 à 80 000 départs à la retraite prévus dans les dix années qui viennent. »

Nous ne pouvons absolument pas souscrire à cette politique du « rabot », qui réduit les fonctionnaires, acteurs principaux, à une simple variable d'ajustement budgétaire !

Près de 20 000 postes ont été supprimés depuis 2003 ; 5 300 l'ont été cette année, même si ce chiffre est très inférieur aux souhaits de la majorité : M. Marini, notre rapporteur général, qualifie cette politique de « timide » et de « peu ambitieuse ». Il peut néanmoins espérer en la diligence des responsables de programmes : en effet, ces suppressions ne sont qu'un minimum, puisque chaque gestionnaire aura désormais la possibilité de recruter beaucoup moins.

Pour 2006, les secteurs les plus touchés sont le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, avec 2 608 postes en moins, le ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, avec 1 607 postes en moins, et le ministère des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, avec 945 postes en moins.

M. Tron suggère que de gros efforts pourraient être faits à l'éducation nationale, à la défense et dans les ministères sociaux. Mais le Gouvernement - heureusement ! -, semble faire le contraire. En effet, l'éducation nationale, déjà privée de 4 816 postes l'an passé, paie un assez lourd tribut !

Pour donner un exemple concret, pour 2006, il est prévu de supprimer 800 postes d'enseignants mis à disposition dans les associations, ce qui va mettre en grande difficulté les associations éducatives complémentaires de l'enseignement public et, partant, l'école publique elle-même. La crise traversée par les banlieues invite pourtant à ne frapper ni l'éducation nationale ni les ministères sociaux !

Le Premier ministre s'est d'ailleurs trouvé contraint de rétablir un certain nombre de mesures du gouvernement Jospin supprimées par le gouvernement Raffarin, à commencer par les crédits alloués aux associations de quartier.

Après avoir détruit la police de proximité et les emplois-jeunes, il s'agit de créer 5 000 postes d'assistants pédagogiques et 20 000 contrats d'accompagnement pour l'emploi et contrats d'avenir.

Il était urgent que le Gouvernement revoie sa copie, mais que de temps perdu !

On peut aussi s'interroger sur l'articulation de ce plan avec la réduction revendiquée des effectifs : afficher comme priorité la lutte pour l'emploi et supprimer des postes de fonctionnaires n'apparaît pas cohérent à première vue ! Nous connaissons même, depuis plusieurs années, des pénuries dans certains secteurs, et les personnels infirmiers en sont un bon exemple. Seul M. Jégou semble ne pas visiter les mêmes hôpitaux que nous ! §

Tout cela témoigne d'une gestion irraisonnée des ressources humaines. Si la LOLF traduit un progrès vers la transparence, il faut aujourd'hui aller plus loin et établir un état des lieux pour chaque catégorie de fonctionnaires, faute de quoi le Parlement n'aura pas les éléments suffisants pour avoir une meilleure vision de la gestion des personnels.

En outre, s'il est nécessaire de mieux affecter les personnels en fonction des besoins, il faut surtout mener une politique vigoureuse de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

On voit bien là le caractère incongru de l'organisation d'un débat sur les effectifs, on y voit aussi le projet politique de la droite : réduire le nombre de fonctionnaires et le périmètre de l'Etat. Or se focaliser sur le traitement budgétaire conduira inévitablement à l'échec.

Parallèlement, les carences du dialogue social empêchent une grande réforme de l'Etat, laquelle ne saurait s'effectuer sans les fonctionnaires, et encore moins contre eux. Le dialogue est l'élément constitutif d'une culture de responsabilité, de performance, de résultats, telle que l'a voulu la LOLF. L'un ne va pas sans l'autre !

Quant à la hausse affichée de 1, 8 % du pouvoir d'achat en 2005, elle n'est qu'un simple rattrapage de l'inflation, et le minimum normal qui pouvait être accordé. Rappelons qu'une partie de cette augmentation n'a été obtenue, au printemps, qu'à la suite des fortes mobilisations et du fait de la proximité du référendum !

Selon une logique de contournement devenue habituelle, le document cadre remis le 9 novembre, qui a été jugé inacceptable par les syndicats, ne présente aucune proposition chiffrée et n'offre aucune perspective de revalorisation du point d'indice, tandis que l'ouverture des négociations salariales est reportée au 6 décembre, c'est-à-dire après le vote du budget.

Le Premier ministre a esquissé des pistes qui ne sont guère satisfaisantes. On pourrait même dire qu'elles sont provocantes, tant elles semblent conditionner l'augmentation du pouvoir d'achat des fonctionnaires à la hausse de leur temps de travail, par le déplafonnement des heures supplémentaires ou par le rachat des heures de RTT.

Mais quelle ambition pour la fonction publique peut-on réellement attendre d'un gouvernement qui, pardonnez-moi, monsieur le ministre, place la modernisation de l'État sous la tutelle du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, privant ainsi le ministre de la fonction publique de l'exercice de ses responsabilités ?

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