Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat appelle dans un premier temps quelques observations. En effet, il tend à polariser l'attention sur l'une des dépenses les plus importantes du budget général, à savoir le service de la dette.
Toutefois, pour garder à l'esprit certaines données, permettez-moi de rappeler quelques chiffres.
Le besoin de financement de l'État est fixé par l'article 51 du projet de loi de finances à 130, 8 milliards d'euros, dont 125 milliards seraient a priori couverts par les nouvelles émissions de bons du Trésor et d'obligations d'État, celles-ci étant indexées sur l'inflation depuis plusieurs années.
Ce sont là des sommes importantes : ces 125 milliards d'euros d'émissions correspondent au montant réuni de l'impôt sur les sociétés, de l'impôt sur le revenu et de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, dont une part importante servira d'ailleurs, faut-il le préciser, à amortir les émissions antérieures. Tout se passe donc comme si l'État souscrivait de nouveaux emprunts pour en rembourser d'anciens.
Ce débat sur la dette pourrait conduire à considérer qu'il est temps d'arrêter un tel processus, qui nous conduira, à la fin de 2006, à un niveau de dette publique supérieur à 66 % du produit intérieur brut marchand, et à un encours de la dette supérieur à 1 200 milliards d'euros.
Ce débat et ces chiffres pourraient donner le vertige et nous éloigner - en apparence seulement, bien sûr ! - des préoccupations concrètes de nos concitoyens. Mais cet éloignement n'est qu'apparent. En quatre années de gestion, le poids de la dette publique est en effet passé de 56 % à 66 % du produit intérieur brut. Cette situation résulte notamment de la persistance d'un déficit budgétaire élevé, supérieur chaque année à 40 milliards d'euros, et d'une croissance faible de l'économie.
Tous les indicateurs budgétaires sont aujourd'hui dans le rouge. Qu'il s'agisse de la comptabilité courante de l'État, de la situation des prix de l'énergie, de l'atonie de l'investissement des entreprises ou du déficit de plus en plus important de notre commerce extérieur, tout montre que les choix opérés depuis 2002 n'ont pas permis de rompre avec la logique de l'endettement à long terme de l'État.
Si l'on ajoute à cela que les comptes sociaux se détériorent aussi sûrement que sont mises en oeuvre des réformes inégalitaires dans le domaine des retraites et de l'assurance maladie, on se rend compte que la situation est pour le moins préoccupante.
D'autres informations figurant dans le rapport que notre collègue Paul Girod a présenté au printemps dernier ne manquent pas d'attirer l'attention.
J'en retiendrai deux.
Premièrement, l'essentiel de la dette publique de l'État est porté par des non-résidents. Cela appelle, de la part de notre rapporteur, l'observation suivante : « La dette négociable de l'État s'apparente de plus en plus sur le plan économique à une dette extérieure, ce qui implique que la charge d'intérêt ne s'analyse plus comme un simple transfert de ressources à l'intérieur du pays entre contribuables et détenteurs de titres, mais comme une dépendance de la nation tout entière vis-à-vis de l'extérieur. » En d'autres termes, les Français paient aujourd'hui des impôts en faveur des acteurs des marchés financiers.
Deuxièmement, la dette publique est fragmentée et les engagements de l'État ne sont qu'une partie de la forêt de l'endettement public. Cette partie est certes importante mais, hélas, elle n'est pas unique et un certain nombre de structures ad hoc en gèrent certains éléments. On pense évidemment à la Caisse d'amortissement de la dette sociale, la CADES - il n'est pas certain qu'elle ne soit pas amenée, dans les années à venir, à prendre à sa charge des sommes encore plus importantes issues des déficits de la protection sociale -, mais il en existe d'autres, dans des domaines stratégiques, notamment en matière d'infrastructures, qui soulèvent des questions récurrentes.
Au début des années quatre-vingt, était-ce une bonne idée de laisser la SNCF ou EDF s'endetter, le plus souvent en lieu et place de l'État, pour financer les investissements nécessaires à la qualité de leur réseau et aux services que ces entreprises publiques rendaient à la collectivité nationale ?
Le cas du ferroviaire est parlant : entre la dette cantonnée dans le service annexe d'amortissement de la dette de la SNCF et celle qui est inscrite au passif de Réseau ferré de France, nous atteignons un volume global de 30 milliards d'euros. De surcroît, cet encours est le plus souvent assorti d'un taux d'intérêt moyen plus élevé que celui qui grève la dette publique de l'État.
Nous sommes aujourd'hui confrontés à des dispositions législatives qui tendent à brader le patrimoine de RFF - voyez l'article 48 -, tandis que l'opération de privatisation partielle d'EDF s'est soldée par une prise en compte évidemment insuffisante des charges à venir, notamment s'agissant de la désaffectation des centrales électronucléaires parvenues en fin de cycle.
A ce point du débat, nous pouvons esquisser quelques remarques et propositions.
La dette publique, c'est la soumission de la politique publique aux marchés financiers. En outre, nous pouvons presque nous demander si elle n'est pas « instrumentalisée » pour justifier toutes les politiques mises en oeuvre dans les pays de l'Euroland, car la dette est la meilleure démonstration de la financiarisation de l'activité économique.