Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me féliciterais sans réserve des orientations que traduit l'article d'équilibre du projet de loi de finances pour 2006 si nous étions dans un monde meilleur.
Un monde meilleur, ce serait d'abord une économie française qui tournerait à plein régime, sans chômage, l'orientation restrictive de la politique des finances publiques que vous nous proposez, monsieur le ministre, étant alors justifiée.
Hélas ! votre majorité a échoué à retrouver le rythme d'activité des années 1997 à 2001 et notre retard de croissance s'est creusé année après année. Une telle situation est en grande partie due à une politique budgétaire qui a renoncé à soutenir la croissance au nom d'un objectif d'assainissement structurel à contretemps.
Ironie du sort, mais implacable conséquence d'un malthusianisme comptable : les comptes publics n'ont jamais été aussi dégradés, sans que ces déficits, parce qu'ils ont été subis, aient donné aux Français le sentiment que l'État accomplirait sa mission qui consiste à contrecarrer le ralentissement économique.
C'est le contraire qui est advenu et que vous nous réservez encore pour l'avenir, monsieur le ministre, si j'en crois les engagements de réduction du déficit à marche forcée qui figurent dans votre programme à l'horizon 2009.
Un monde meilleur, ce serait aussi une France où la fracture sociale appartiendrait au passé, une France sans pauvres, où le revenu moyen serait de l'ordre de 22 000 euros. En somme, une France où l'on pourrait adopter votre réforme de l'impôt sur le revenu en sacrifiant sa dimension redistributive, celle-ci n'ayant plus lieu d'être, et où l'on pourrait ne pas réserver le cinquième des gains de votre réforme à seulement 0, 3 % des foyers fiscaux, car il n'y aurait plus que des riches !
Pour tout dire, un monde meilleur, ce serait une France dans laquelle la commission des finances pourrait écarter l'éventualité d'un barème moins déséquilibré, proposition qu'elle formulera peut-être et dont nous verrons bien quel accueil elle recevra.
Un monde meilleur, ce serait aussi un monde avec plus d'Europe, cette Europe que, collectivement, nous n'avons pas su faire comprendre à nos concitoyens, faute, sans doute, d'avoir su en combattre avec assez de pugnacité les dérives libérales et monétaristes.
Je remercie cependant le ministre de l'économie et des finances, la commission des finances, ainsi que le président de la délégation du Sénat pour la planification d'avoir osé s'élever contre les intentions de la Banque centrale européenne de resserrer sa politique monétaire. Il nous faut, en effet, dénoncer le dogmatisme de la BCE quand il est à l'oeuvre, ce qui, heureusement - il convient de le souligner - n'est pas toujours le cas.
Mais comment ne pas voir dans ces intentions une sanction de principe à la déjà trop modeste réforme du pacte de stabilité adoptée en cours d'année ?
L'Europe a besoin de politiques claires et responsables. Les États européens doivent retrouver le chemin des politiques coopératives. L'adoption de l'euro nous y invite tout en en renforçant l'efficacité. Au lieu de quoi, nous assistons sans mot dire à des politiques destructrices de désinflation compétitive.
Prenons au sérieux les marges de manoeuvre dont nous avons eu tant de mal à nous doter ! Le dialogue franco-allemand est manifestement à l'abandon, ce dialogue sans lequel le projet européen n'aurait jamais acquis droit de cité. La politique de notre grand voisin allemand ne peut nous laisser indifférents.
Plutôt que de souhaiter le retour aux dévaluations en chaîne que portent certaines propositions de TVA dite « sociale » - la TVA n'est jamais sociale ! -, nous devrions faire part à nos amis allemands des inquiétudes que nous inspire leur politique économique.
Nous devrions aussi agir avec toute la détermination nécessaire pour faire progresser l'harmonisation fiscale en Europe. N'est-il pas poignant de voir l'Allemagne revenir aujourd'hui sur les baisses d'impôt massives que, voilà cinq ans à peine, on citait dans certains cénacles comme l'exemple d'une saine adaptation à la mondialisation ? Le Gouvernement serait bien inspiré de méditer cette leçon !
Enfin, un monde meilleur, ce serait un monde où régnerait une plus grande éthique de la parole et de la décision publiques ; un monde où l'on n'afficherait pas une baisse des impôts en passant sous silence la réduction programmée des dépenses publiques, qui ne pourra qu'avoir des effets néfastes sur le bien-être des ménages, en particulier les plus pauvres d'entre eux ; un monde où l'on cesserait de prétendre que les Français ne travaillent pas assez, alors que la croissance est insuffisante pour absorber la main-d'oeuvre disponible ; un monde où ne seraient pas imputés à la réduction du temps de travail 19 milliards d'euros d'allégements de charges sociales, que la majorité a décidé de ne plus lier au passage aux 35 heures, alors que l'on réclame sans cesse une baisse du coût du travail ; un monde où l'on ne s'attribuerait pas, pendant la journée, le mérite d'avoir augmenté le SMIC, pour, le soir, le regretter ; un monde, enfin, où l'on ne prétendrait pas ramener en quatre ans les dépenses publiques à leur niveau d'il y a quinze, sans dire de quelle manière cela sera possible et sans évoquer les conséquences qui en découleront.
Il est essentiel que nos débats retrouvent plus de clarté et qu'ils contribuent à mieux informer nos concitoyens. Notre démocratie ne doit pas craindre les controverses dès lors qu'elles ne reposent pas sur des faux-semblants. Le groupe du RDSE entend donner l'exemple, puisqu'une partie de ses membres vous soutiendra, monsieur le ministre, tandis que l'autre s'opposera à votre politique budgétaire économique, sociale et financière en rejetant l'article d'équilibre du projet de loi de finances pour 2006.