Intervention de Michel Barnier

Réunion du 8 décembre 2004 à 21h45
Loi de finances pour 2005 — Affaires étrangères

Michel Barnier, ministre :

Vos rapporteurs ont insisté sur cet aspect au regard des régulations passées. Michel Charasse a qualifié d'« éprouvants » les effets de la régulation budgétaire imposée en 2003. Vous observerez que nous avons échappé à la régulation en 2004 par la volonté de chef de l'Etat.

Par ailleurs, un quart de notre budget est soumis au risque de change. Je remercie Adrien Gouteyron de l'intérêt qu'il a bien voulu porter à cette problématique et d'avoir rappelé qu'aucune hypothèse de change n'a été fixée au cours de la négociation budgétaire. Il y a là, c'est vrai, un facteur d'incertitude. Nous voulons intégrer cette préoccupation dans le contrat d'objectifs et de moyens en cours de discussion avec le ministère des finances.

D'ailleurs, pour être honnête, d'autres incertitudes demeurent sur certains chapitres dont les dotations pourraient s'avérer insuffisantes. C'est le cas des appels à contribution du Fonds européen de développement et des opérations de maintien de la paix dans le cadre des Nations unies. J'ai obtenu l'assurance que les moyens nécessaires seraient dégagés le cas échéant en cours d'exercice et sans redéploiement. Je sais aussi que, sur ce point, je pourrai, le moment venu, compter sur votre soutien et votre vigilance.

Un mot, enfin, sur les Français de l'étranger. Je vous ai dit combien nous étions attentifs à leur sécurité. Robert Del Picchia et Louis Duvernois ont posé la question des indemnités versées aux membres de l'Assemblée des Français de l'étranger. Pour l'instant, les membres de cette Assemblée perçoivent une indemnité forfaitaire qui ne couvre pas, en effet, les charges liées réellement à leur mandat, et, comme vous, je considère que cette situation n'est pas normale.

Le Gouvernement n'est pas hostile à une évolution dans ce domaine, car les conseillers des Français de l'étranger sont les seuls élus du peuple auxquels rien n'est versé au titre des frais, importants, qu'ils peuvent engager dans leur circonscription. Cela n'est pas satisfaisant. Je vais donc réfléchir avec vous. Il faudra trouver les moyens de financer cette nouvelle dépense. Je vais également réfléchir, monsieur Del Picchia, à cette idée qui me paraît intéressante d'une deuxième session annuelle de l'Assemblée des Français de l'étranger.

Je sollicite encore quelques instants votre attention pour répondre à quelques-unes des grandes questions de politique internationale que certains d'entre vous ont évoquées, même si j'ai l'occasion par ailleurs, devant la commission des affaires étrangères ou par écrit, ou lors de questions orales, de m'exprimer sur tel ou tel de ces points, que nous allons malheureusement retrouver quelquefois dans l'actualité.

Serge Vinçon a évoqué l'OTAN et son rôle futur. Gardons à l'esprit quelques données essentielles : la France est le troisième contributeur à l'OTAN, et j'aurai peut-être l'occasion de le rappeler demain à Bruxelles, au cours de la session ministérielle de l'OTAN ; des généraux français commandent les deux plus grandes opérations actuelles de l'OTAN, au Kosovo et en Afghanistan.

Même si les relations transatlantiques doivent évidemment être évoquées - elles le seront en effet demain, et ce sera d'ailleurs la dernière réunion de l'Alliance en présence de Colin Powell - , l'OTAN doit avant tout se concentrer sur ses opérations.

Au Kosovo, où il ne faut pas baisser la garde, nous devons maintenir les effectifs de l'OTAN, car les prochains mois seront difficiles. En Afghanistan, où la stabilisation progresse ? Renaud Muselier représentait avant-hier le gouvernement français aux cérémonies d'investiture de Hamid Karzai ? mais où le fléau de la drogue demeure le problème le plus grave - je rappelle que 80 % de l'héroïne consommée en Europe provient d'Afghanistan -, il faudra également maintenir des effectifs nombreux. Dans toutes ces zones de crise, la réponse doit être globale, et pas uniquement militaire.

Josette Durrieu m'a interrogé sur l'Iran. Ce dossier, sur lequel j'ai beaucoup travaillé avec mes collaborateurs et avec mes collègues Jack Straw et Joska Fischer, nous offre un triple motif d'encouragement.

D'abord, trois Etats européens se sont engagés dans cette affaire, avec le soutien de Javier Solana. Ils ont donné l'image d'une Europe unie, d'une diplomatie européenne qui se construit, qui agit et qui convainc. Chacun des trois Etats a apporté ses atouts dans cette négociation, et je peux dire que si nous n'avions pas été ensemble tous les trois, probablement aucun de nous n'aurait pu la conduire seul.

Ensuite, l'Iran a accepté de suspendre ses activités d'enrichissement et de retraitement de l'uranium ; cette suspension est actée dans l'accord signé à Paris le 15 novembre dernier.

Enfin, l'AIEA a confirmé formellement cette suspension. La résolution présentée par les trois pays a été adoptée par consensus. Nous sommes maintenant disposés, comme nous nous y sommes engagés avec l'Iran, à entamer des négociations pour un accord de plus long terme, comportant un volet sur le nucléaire civil, un volet économique et industriel et un volet de dialogue politique et de sécurité.

Cet accord, qui empêche que ne survienne une crise probablement très grave, devrait nous apporter des garanties objectives quant à la finalité exclusivement civile du programme nucléaire iranien. Il s'agit d'un accord important, fragile, et nous devons rester vigilants.

Jean-Pierre Cantegrit, Jean-louis Carrère, Paulette Brisepierre, notamment, ont évoqué la crise en Côte d'Ivoire, qui secoue ce pays ami. Je me suis déjà exprimé ici même, quelques jours après le bombardement de Bouaké. Au nom de l'Union africaine, le président sud-africain Thabo MBeki vient, comme M. Cantegrit l'a rappelé, de se rendre sur place - il l'a d'ailleurs fait à deux reprises -, accompagné de représentants de l'Union européenne, du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.

Je veux saluer ici l'engagement personnel du président sud-africain, depuis le début puisqu'il était déjà présent à Kléber. Je souhaite également souligner l'engagement indéfectible du président Omar Bongo, qui suit ce dossier sans relâche, depuis le début, lui aussi, avec la sagesse et l'expérience que chacun lui connaît. Je rappelle d'ailleurs qu'en novembre dernier c'est lui qui avait permis de relancer un processus déjà bloqué, à l'occasion d'une réunion à Libreville avec le président Laurent Gbagbo et mon prédécesseur Dominique de Villepin.

De fait, je veux surtout saluer la complémentarité de la communauté africaine sur ce dossier difficile, qui concerne en réalité la plupart des facteurs de crise caractérisant ce continent qui nous est cher.

Les conclusions de la mission du président Thabo MBeki et des initiatives de l'ensemble des dirigeants de l'Union africaine ont confirmé sans ambiguïté la nécessité de mettre en oeuvre tous les engagements pris à Marcoussis et à Accra pour conduire des élections ouvertes à tous et pour engager réellement le désarmement dans un pays réunifié.

C'est une solution exigeante, difficile, et il n'y en a pas d'autre. Elle est appuyée de façon unanime par la communauté africaine comme par la communauté internationale, et, pour notre part, nous maintiendrons sans hésitation notre engagement dans ce sens. Permettez-moi de vous dire, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'en Afrique la vocation de la France n'est pas d'être un gendarme : elle doit être le partenaire du développement, de la paix, de la stabilité.

Je voudrais également répondre à Louis Duvernois, Jean-Pierre Cantegrit, Jean-Louis Carrère, André Ferrand et Joëlle Garriaud-Maylam, qui ont évoqué les modalités de l'aide qui sera versée à nos compatriotes qui ont tout perdu en Côte d'Ivoire.

Cette responsabilité devrait être confiée à la mission interministérielle aux rapatriés. Aujourd'hui même, en fin d'après-midi, une réunion interministérielle, présidée par le directeur du cabinet du Premier ministre, a préparé un décret étendant aux Français de Côte d'Ivoire le bénéfice de la loi du 26 décembre 1961 relative à l'accueil et à la réinstallation des Français d'outre-mer, qui avait été adoptée pour les Français d'Algérie.

Vous me permettrez de m'associer aux remerciements que vous avez été nombreux à exprimer pour tous ceux, fonctionnaires, bénévoles, particuliers, collectivités locales, que ce soit à Abidjan, à Paris, au Quai d'Orsay ou à Roissy, qui ont été formidables lorsqu'ils ont accueilli tous ces Français. Outre les sénateurs représentant les Français de l'étranger, nombreux sont ceux qui sont venus à Roissy. Je tiens à leur dire ma gratitude et mon admiration.

Mme Bergé-Lavigne, MM. Bret et Plancade ont évoqué la situation en Irak et les perspectives du conflit israélo-palestinien après la disparition de Yasser Arafat.

Plus que jamais, l'instabilité au Moyen-Orient est au coeur des problèmes du monde et au coeur de nos préoccupations. J'ai souvent dit que le conflit israélo-palestinien était un conflit central. Il y a, dans cette région, un besoin de paix, de justice et de sécurité, et notre génération à le devoir d'y répondre.

Avec le décès de Yasser Arafat, c'est une situation nouvelle qui se crée. Toute notre action, avec les Européens et dans le cadre de ce que l'on appelle le Quartet - Russes, Américains, Nations unies et Européens - vise à faire en sorte que la transition politique permette la désignation des nouveaux responsables palestiniens dans les meilleures conditions possibles.

C'est pourquoi nous soutenons la tenue d'une élection présidentielle transparente, démocratique, ouverte à tous les Palestiniens ; elle se tiendra le 9 janvier prochain.

La France prendra une part importante aux opérations de contrôle et d'observation de ce scrutin par l'Union européenne. Nous avons proposé à la Commission vingt-cinq candidats - c'est le chiffre maximum pour la France, selon les quotas par Etat membre - pour faire partie de l'équipe qui sera dirigée par l'ancien Premier ministre M. Michel Rocard.

Au-delà, c'est, bien sûr, la relance du processus de paix qui est la priorité. Nous percevons, actuellement, une ambiance plus positive, une plus grande disponibilité au dialogue.

J'évoquerai également le projet de retrait de Gaza, que j'ai qualifié de « courageux » lorsque je me suis rendu à Jérusalem et à Tel Aviv. Toutefois, il ne doit pas s'agir uniquement d'un simple retrait de Gaza : il faut que ce retrait soit réussi et que ce premier territoire duquel les Israéliens se retirent soit un territoire viable, stable, où les jeunes Palestiniens trouveront un avenir.

Enfin, des idées de conférence internationale circulent, pas encore très précises, mais qui correspondent à ce que la France demande depuis longtemps, pour peu qu'il s'agisse véritablement de remettre sur les rails la feuille de route.

J'estime, comme Mme Durrieu, qu'il n'y a pas d'autre alternative à cette feuille de route, hormis la spirale de la violence, qui touche indistinctement les enfants de Palestine et les enfants d'Israël.

Il faut donc saisir une opportunité qui, espérons-le, s'ouvre réellement au Proche-Orient. La France s'y engage pleinement pour que cette chance, la première depuis bien longtemps, soit saisie.

MM. Bret et Plancade ont évoqué la question de l'Irak. A Charm el-Cheikh, le 23 novembre dernier, les pays les plus concernés par ce conflit et la totalité des pays riverains de l'Irak, y compris l'Iran ou la Syrie, qui étaient présents, se sont mis d'accord sur une approche commune pour encadrer, consolider, j'allais dire parrainer le processus de transition politique prévu par la résolution 1546.

Nous nous sommes naturellement associés à ce travail. Comment la France aurait-elle été absente d'une telle conférence, qui vise à réintroduire enfin un peu de multilatéralisme dans l'action internationale ?

Nous avons pesé de tout notre poids pour que les textes adoptés soient le plus possible conformes à nos vues, avec l'ouverture du champ politique irakien, notamment lors des élections programmées pour le 30 janvier, qui doivent être des élections équitables dans lesquelles se reconnaissent toutes les communautés, toutes les forces irakiennes présentes sur l'ensemble du territoire irakien.

Un second point nous tenait à coeur : la perspective réaffirmée du retrait des troupes étrangères d'ici au 31 décembre 2005.

Par ailleurs, nous voulons aider bilatéralement les autorités irakiennes à remettre sur pied leur pays, sans envisager, ni aujourd'hui ni demain, le moindre engagement militaire.

Nous agissons également par le biais de l'Union européenne, qui met en place un ensemble de projets pour l'assistance électorale lors du scrutin du 30 janvier et dans le domaine de l'Etat de droit.

En effet, monsieur Plancade, un effort particulier a été consenti par le Club de Paris pour alléger de façon significative le poids de la dette irakienne. Nous avons d'ailleurs demandé, à Charm el-Cheikh, après avoir accompli un effort à hauteur de 80 % en plusieurs tranches et par étapes, aux autres créanciers - plus des deux tiers de l'endettement de l'Irak ne dépendent pas du Club de Paris - de consentir le même effort que nous.

Nous voulons donc être à la fois constructifs et vigilants. Nous sommes conscients des difficultés considérables que pose la sécurité dans ce pays. Nous restons convaincus que la seule solution durable est politique. Il n'y a pas d'issue par les armes ou par des opérations militaires. Il faut rendre aux Irakiens la maîtrise de leur destin. Nous veillerons donc à ce que les principes arrêtés à Charm el-Cheikh soient effectivement mis en oeuvre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai beaucoup abusé de votre patience, mais vous avez posé de nombreuses questions. Je tiens à vous remercier de votre attention.

L'année 2003 avait été marquée par une vraie inquiétude sociale et budgétaire au ministère des affaires étrangères. La prise de conscience qui en est résultée, sous votre impulsion, sous celle du chef de l'Etat et sous celle de mon prédécesseur, M. Dominique de Villepin, a permis de stopper la décrue des crédits. Nous amorçons aujourd'hui, de manière certes encore très modeste, je le reconnais, la consolidation de nos crédits, alors que chaque jour apporte, malheureusement, de nouvelles crises et de nouveaux défis, qui placent notre diplomatie en première ligne.

J'ai été sensible aux témoignages de reconnaissance et aux remerciements que vous avez été nombreux à adresser à l'ensemble des agents de l'Etat qui sont placés sous mon autorité.

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