Intervention de André Dulait

Réunion du 5 octobre 2006 à 9h30
Modes de gestion des crises africaines — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de André DulaitAndré Dulait :

Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le ministre, mes chers collègues, en travaillant sur la gestion des crises africaines, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées n'avait pas l'intention de réduire le continent africain, riche de nombreuses potentialités, à la seule dimension des conflits qui l'affectent, mais elle avait pour objectif de dresser le constat des évolutions intervenues dans ce domaine où notre pays prend une part très active.

Il s'agit d'un sujet complexe aux implications nombreuses, et je me réjouis tout particulièrement de la présence de Mme la ministre de la défense, de Mme la ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie et de M. le ministre des affaires étrangères.

Il s'agit d'un sujet dont nous ne pouvons nous désintéresser quand bien même nous le souhaiterions : le continent africain est notre voisin et nous ressentons les conséquences des secousses qui l'affectent. Ce n'est pas notre sensibilité historique à ce qui se passe sur ce continent qui est en jeu, mais c'est bien notre intérêt actuel, en tant qu'Européens, à voir l'Afrique prendre place dans la mondialisation et à entrer dans un processus vertueux de développement.

J'ajouterai qu'à l'heure où le continent africain intéresse tant les grands partenaires de l'Union européenne, qu'il s'agisse des États-Unis, de l'Inde ou de la Chine, dans le domaine économique mais aussi dans celui de la sécurité, un désengagement de ces questions serait particulièrement malvenu.

Les conflits africains, qu'ils soient interétatiques ou intra-étatiques, ont diverses origines et relèvent de divers registres : identitaires, politiques, pour la prise du pouvoir, militaires - violence publique, violence privée -, économiques, et je pense notamment aux questions foncières.

Je citerai un seul chiffre : de 1963 à 1998, 474 millions d'Africains ont été affectés par ces conflits, soit 60 % de la population.

Ces crises ont favorisé les pandémies, entraînant une mortalité très élevée des populations civiles, un blocage du développement économique ainsi que d'importants déplacements de population. Plus de 20 millions d'Africains ont ainsi été déplacés au cours de ces années.

La grande complexité de ces conflits rend très difficile toute tentative de prévention ou de résolution des crises.

À l'évidence, il est préférable qu'une crise politique et sécuritaire puisse trouver une solution endogène. Nous en avons quelques exemples. Mais, lorsque des drames humanitaires surviennent et que l'équilibre régional est menacé, une intervention extérieure peut être nécessaire.

En République démocratique du Congo, en Côte d'Ivoire, au Soudan, l'urgence s'est imposée. En Somalie, pays devenu symbole des difficultés de l'intervention extérieure, au Darfour, l'instabilité menace toute la sous-région. Or, une intervention est souvent, et même le plus souvent, mal reçue, qu'elle vienne d'une ancienne puissance coloniale, comme la France, alors que la rhétorique de la « seconde décolonisation » rencontre un écho profond auquel nous devons être attentifs, ou qu'elle vienne de l'Organisation des Nations Unies, parfois présentée comme l'instrument de puissances extérieures, comme c'est le cas dans la crise du Darfour.

La gestion des crises africaines est donc une double quête, celle de la légitimité et celle de l'efficacité. Quel peut être le rôle de la France dans la recherche de cet équilibre ?

Conscient de ces difficultés, notre pays a fait le choix du multilatéralisme et de l'appropriation africaine, un choix qu'il s'efforce de promouvoir et d'appliquer. Le multilatéralisme, c'est, en premier lieu, l'Organisation des Nations Unies, qui est à même de qualifier une situation et de rendre légitime l'emploi de la force. Toutefois, les reproches faits aux capacités d'action des casques bleus sont connus ; ils ont été rappelés lors de la crise libanaise et ont conduit les armées occidentales, notamment européennes, à privilégier d'autres voies, comme des interventions sous mandat ou des interventions nationales en appui aux casques bleus.

L'exemple de la FINUL - la force intérimaire des Nations unies au Liban - renforcée peut-il trouver d'autres applications ? Je souhaite que les conséquences puissent être tirées pour renforcer l'efficacité des opérations de maintien de la paix.

Le multilatéralisme s'exerce également à l'échelon régional. Profondément réformée, l'Union africaine est une source indéniable de légitimité, même si les vicissitudes de son intervention au Darfour illustrent ses difficultés à la fois politiques et capacitaires. Elle est le signe d'une volonté d'appropriation de leur destin par les Africains, que notre pays a choisi de soutenir. Le NEPAD, le nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique, projet né en Afrique et porté par les Africains, comporte un important volet de gestion des crises, qui s'articule aujourd'hui avec les institutions de l'Union européenne et de l'Union africaine. Il faut qu'il puisse prendre corps.

Les organisations sous-régionales, bien qu'encore faiblement intégrées et équipées, commencent, à des degrés divers, à se structurer. Les capacités des États membres étant très diverses, il y a un risque à ce que la régionalisation n'aboutisse, dans certains cas, à la consécration d'une puissance régionale donnée ou à la rivalité entre plusieurs candidats à ce leadership.

La coopération avec les organisations sous-régionales me paraît représenter une voie prometteuse pour la coopération française sur les questions de sécurité. Elle permettrait de promouvoir des solutions régionales, d'apporter un soutien opérationnel qui ne soit pas seulement bilatéral et de diversifier nos partenariats en matière de sécurité.

Il faut souligner que les évolutions sensibles du rôle de la France dans la gestion des crises s'opèrent sur le fond d'une continuité de la présence militaire française, ce qui les rend parfois peu perceptibles par nos partenaires.

On a su faire évoluer le rôle des bases françaises et, de facto, la présence militaire en Afrique a été réorientée : les forces en présence ont fait place à des soutiens à la projection pour la gestion de crises, notamment des crises africaines. Elles ont permis le déploiement d'opérations autonomes de l'Union européenne.

Cependant, leur fondement juridique repose aujourd'hui encore sur des accords de défense conclus dans les années soixante, dans un contexte de guerre froide où l'adversaire était bien identifié. Dans le contexte des crises actuelles, qui ne sont que rarement des différends frontaliers et des conflits interétatiques, l'application de ces accords est problématique, comme l'a illustré la crise ivoirienne. Est-il possible de les moderniser ?

En Côte d'Ivoire, la France a soutenu l'intervention de la CEDEAO, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, puis l'ONUCI, l'opération des Nations unies en Côte d'Ivoire. Mais, du fait de sa présence militaire sur place, elle s'est retrouvée en première ligne pour les évacuations de ressortissants, puis pour le soutien opérationnel aux forces de l'ONU, alors qu'elle n'avait pas souhaité s'impliquer directement. Après avoir demandé la mise en oeuvre de l'accord de défense au début de la crise, le président ivoirien semble désormais réclamer le retrait non seulement de la force Licorne, mais aussi du BIMA, le bataillon d'infanterie de marine.

Quelles seront à l'avenir les missions de nos bases en Afrique, alors que le Président de la République a clairement indiqué que la France ne resterait pas là où sa présence n'est plus souhaitée ? Comment rénover notre coopération militaire ? Comment intégrer la prévention, mais aussi l'après-conflit dans nos outils de coopération ?

Une plus grande implication de l'Union européenne paraît s'imposer. Mais, alors que le lien entre sécurité et développement a été établi par la mise en place de la Facilité pour la paix en Afrique, elle suscite à l'évidence de nombreuses réticences.

Les échanges entre l'Union européenne et l'Union africaine se multiplient, comme en témoigne la réunion des deux commissions à Addis-Abeba, ce dont il faut se féliciter. Quelle coopération concrète en matière de sécurité les deux organisations pourraient-elles mettre en place ?

La réussite de l'opération au Congo, à laquelle l'Allemagne a pris une part active nous apparaît déterminante. Quel premier bilan les ministres de la défense des États membres, récemment réunis en Finlande, en ont-ils tiré ? Cette opération pourrait-elle en annoncer d'autres, notamment avec la mise en place des groupements tactiques ?

Quel est aujourd'hui le projet que peut porter notre pays pour la sécurité et la stabilité de ses partenaires africains ? Il a su convaincre de la nécessité de réduire la pauvreté, pourra-t-il persuader, dans les débats internationaux, que la condition première en est la paix civile et qu'elle appelle une implication plus efficace de l'ensemble des partenaires du continent africain ?

C'est l'ensemble de ces questions, mesdames les ministres, monsieur le ministre, que nous souhaitons aborder aujourd'hui, et nous vous remercions par avance des réponses que vous voudrez bien nous apporter.

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