Intervention de Brigitte Girardin

Réunion du 5 octobre 2006 à 9h30
Modes de gestion des crises africaines — Discussion d'une question orale avec débat

Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le continent africain est, vous le savez, une priorité dans le domaine de la coopération française, comme l'a souhaité le Président de la République.

Je tiens à remercier M. Dulait d'avoir traité de manière très pertinente ces questions qui, touchant un continent qui nous est si proche, intéressent non seulement le Gouvernement et le Parlement, mais aussi l'opinion publique en général.

La priorité française accordée à l'Afrique tient à la force des liens qui nous unissent à ce continent, mais également à la raison. En effet, on ne le répétera jamais assez, sans développement de l'Afrique, nous ne lutterons pas efficacement contre l'immigration clandestine, les grandes pandémies ou les atteintes à l'environnement.

Je voudrais surtout souligner que, contrairement à l'image souvent répandue, l'Afrique est un continent au fort potentiel. Pour s'en convaincre, il suffit de regarder l'attitude des nouvelles puissances économiques, en particulier des nouveaux pays émergents, qui s'intéressent de plus en plus à ce continent. Et quand j'évoque ce potentiel, je ne parle pas uniquement des ressources naturelles, comme le pétrole, les mines ou les forêts, je parle également de la grande richesse de ses hommes et du dynamisme de sa jeunesse. L'Afrique connaît ainsi, sur la période 2005-2007, avec un chiffre de 5 % à 6 % par an, une croissance économique supérieure à la moyenne mondiale.

Nous évoquons aujourd'hui plus particulièrement les crises qui secouent ce continent. C'est un aspect qu'il ne faut pas négliger. Nos actions pour remédier à ces crises sont nombreuses, qu'il s'agisse de prévention ou de reconstruction.

Pour ne citer qu'un exemple, nos efforts dans le domaine du renforcement de la gouvernance et de la transparence peuvent avoir un effet décisif en la matière. Ainsi, rendre public le niveau des revenus des ressources pétrolières et minières, comme le prévoit l'initiative dite EITI de transparence des industries extractives, c'est réduire fortement l'intérêt d'une appropriation de ces ressources par la force. Car on sait bien qu'en Afrique de nombreux conflits ont trouvé leur origine dans la compétition pour l'exploitation des richesses de son sous-sol.

Nous soutenons aussi fortement, dans les pays en sortie de crise, les processus de démobilisation, de désarmement et de réinsertion.

Notre engagement en faveur de l'Afrique est d'abord financier. C'est principalement pour ce continent que le Président de la République a décidé, en 2002, de porter notre aide publique au développement, qui était inférieure à 5 milliards d'euros en 2001, à plus de 9 milliards d'euros en 2007. Vous le constatez, monsieur Boulaud, il s'agit, depuis notre arrivée au pouvoir, d'un quasi-doublement de notre effort.

Nous avons décidé de consacrer les deux tiers de notre aide bilatérale à l'Afrique. Aucun autre pays ne fait un tel effort. Nous aurons l'occasion d'en reparler en détail lors des prochains débats budgétaires. Dans cet effort, je tiens à rassurer M. Pozzo di Borgo, le Nigeria, qui est en effet une puissance importante de ce continent, n'est pas pour autant négligé.

Mais notre engagement en faveur de l'Afrique n'est pas seulement financier et budgétaire. Je ne reviendrai pas sur les nombreuses initiatives prises, qu'il s'agisse de la mise en place d'une contribution de solidarité sur les billets d'avion affectée au secteur de la santé, des actions en faveur de la préservation de la biodiversité ou de la diversité culturelle, de la grande conférence sur la microfinance ouverte par le Président de la République il y a un an, de nos initiatives en matière de co-développement ou de l'annonce récente d'une enveloppe d'un milliard d'euros sur trois ans pour le secteur privé africain.

Vous le constatez, l'Afrique est et restera la priorité, je dirais même la première motivation, de nos actions particulièrement ambitieuses en matière de coopération.

Les Français ne s'y trompent d'ailleurs pas. Dans un sondage récent, 83 % d'entre eux considèrent que la France joue un rôle important dans l'aide publique au développement et 68 % approuvent notre priorité donnée à l'Afrique.

Je souhaiterais aborder un peu plus en détail le dossier de la Côte d'Ivoire, que j'ai été amenée à suivre depuis un an à la demande du Président de la République. Je me suis en effet rendue onze fois à Abidjan et dans le reste du pays depuis novembre dernier. La Côte d'Ivoire présente - de manière hélas « exemplaire » ! - tous les ingrédients et toutes les difficultés d'une sortie de crise avec ses composantes politique, diplomatique, militaire, économique et de sécurité de nos compatriotes encore présents dans le pays.

Nous sommes impliqués en Côte d'Ivoire pour des raisons historiques et politiques. Historiques, parce que la France entretient depuis longtemps une relation très étroite avec la Côte d'Ivoire, qui a compté la plus importante communauté française d'Afrique jusqu'aux événements de novembre 2004. Raisons politiques, car la France, de par sa connaissance du pays et son influence au sein de la communauté internationale, a une responsabilité particulière dans la résolution de la crise. Cette responsabilité nous est régulièrement rappelée par la plupart des Ivoiriens eux-mêmes, par les chefs d'État de la sous-région et par nos amis américains et britanniques, eux-mêmes impliqués respectivement au Liberia et en Sierra Leone.

Notre engagement politique, diplomatique et militaire reste fort.

Nous sommes engagés politiquement : la France est écoutée au sein des principales enceintes multilatérales, comme membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU et comme membre fondateur de l'Organisation internationale de la francophonie.

Nous sommes engagés diplomatiquement : la France ne ménage pas ses efforts pour faciliter, avec tous ses partenaires, une sortie de crise. Après les accords de Linas-Marcoussis du 24 janvier 2003, négociés sous l'égide de la France, nous participons activement, depuis novembre 2005, au groupe de travail international - GTI - mis en place par l'ONU à la demande de l'Union africaine.

Nous sommes engagés militairement avec l'opération Licorne, force d'interposition de 4 000 hommes, dont Mme Michèle Alliot-Marie vous parlera, et nous appuyons l'ONUCI, l'opération des Nations unies en Côte d'Ivoire, et cela représente pour la France un coût financier annuel de 250 millions d'euros.

Nos objectifs n'ont pas changé.

Nous voulons avant tout l'organisation d'élections libres, ouvertes et transparentes, dont la première condition est l'établissement de listes électorales renouvelées. Tel doit également être l'objectif de toutes les parties ivoiriennes. La transition engagée le 30 octobre 2005, sous la direction du Premier ministre, Charles Konan Banny, qui a été nommé par l'Union africaine, n'avait pas d'autre but. De nombreux blocages ont, hélas ! empêché la tenue du calendrier et donc l'organisation des élections dans les délais fixés par la résolution 1633, c'est-à-dire avant le 31 octobre 2006.

L'enjeu actuel est de définir les modalités d'une nouvelle transition qui permettra d'aboutir - enfin ! - à la tenue de ces élections, dont le résultat doit être incontestable et permettre ainsi aux Ivoiriens d'avoir un président légitimement élu.

Nous sommes aujourd'hui à la croisée des chemins.

À chacun de mes déplacements en Côte d'Ivoire, je mesure combien la population est fatiguée de ce conflit dont elle subit les conséquences, qu'il s'agisse du chômage, de la déscolarisation massive ou encore de l'effondrement du système de santé.

Je note, d'ailleurs, que la présence de la France est bien perçue dans le pays. Les campagnes anti-françaises et anti-onusiennes sont très minoritaires. J'ai mesuré sur le terrain combien la population ivoirienne aspire à une reprise rapide et importante de la coopération française.

Il est donc nécessaire et urgent, au moment où la transition s'achève sur un constat d'échec, que les Africains et la communauté internationale tirent les leçons de cette expérience.

À cette fin, la CEDEAO, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, se réunira le 6 octobre prochain, l'Union africaine les 16 et 17 octobre, et, enfin, le Conseil de sécurité de l'ONU vraisemblablement le 25 octobre. Il conviendra alors de décider de la mise en place d'un nouveau dispositif de transition remplaçant celui de la résolution 1633.

Il est bien sûr difficile d'imaginer le meilleur scénario possible de sortie de crise, monsieur Ferrand, avant la tenue de ces réunions décisives, où la position des Africains sera déterminante.

Le GTI, auquel, vous le savez, je participe depuis bientôt un an, a, lors de sa dernière réunion du 8 septembre, dessiné les contours qu'il souhaitait pour la future transition. Il a fait quelques propositions visant à sortir de la dualité institutionnelle, à permettre au Premier ministre d'exercer réellement les pouvoirs qui lui avaient été conférés par la résolution 1633 ; il a également suggéré un renforcement du mandat du Haut représentant des Nations unies pour les élections.

Nous sommes cependant conscients de notre responsabilité particulière et de notre engagement vis-à-vis de la communauté internationale et de l'ONUCI : nous ne prendrons aucune décision unilatérale qui risquerait de créer une déstabilisation supplémentaire en Côte d'Ivoire. Nous continuerons de privilégier la concertation avec tous nos partenaires et nous gardons bien sûr à l'esprit notre devoir d'assurer la protection de nos ressortissants encore présents en Côte d'Ivoire au cas où des troubles apparaîtraient de nouveau à Abidjan ou dans le reste du pays.

Telles sont les précisions que je souhaitais vous apporter sur le dossier particulièrement difficile de cette crise ivoirienne, dont nous espérons tous qu'elle puisse être résolue dans les délais les plus brefs possibles.

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