Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que l'ordre du jour nous conduit à examiner aujourd'hui a pour objet de créer un ordre professionnel pour les 450 000 infirmiers que compte notre pays.
Sans qu'il faille en faire un argument décisif, l'aspect numérique du débat n'est pas négligeable. À titre de comparaison, l'effectif des infirmiers équivaut au double de celui des médecins ; il est aussi infiniment supérieur à celui des pharmaciens, des sages-femmes, des masseurs-kinésithérapeutes et des pédicures-podologues, autant de professions qui disposent déjà d'une structure ordinale pour leur représentation, la fixation des règles déontologiques et le règlement des contentieux disciplinaires.
L'absence d'un ordre infirmier apparaît plus singulière encore au regard du rôle dévolu aux infirmiers dans le système de santé, notamment auprès des malades âgés ou en soins palliatifs et dans les domaines de la prise en charge de la douleur et de la prévention, rôle d'ailleurs reconnu et renforcé par la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, qui a favorisé le développement des délégations de soins entre professionnels de santé.
Plus que jamais, la profession d'infirmier a donc besoin aujourd'hui d'une meilleure reconnaissance, en cohérence avec les fonctions qu'elle assume désormais, et d'un cadre déontologique adapté aux nouveaux enjeux de qualité et de permanence des soins. De fait, le respect des règles éthiques et des bonnes pratiques professionnelles est loin d'être assuré, la fixation des principes déontologiques par les décrets de 1993 ne s'étant pas accompagnée de la création d'une instance de contrôle et de sanction.
Devant ce constat, la mise en place d'un ordre professionnel constitue depuis plusieurs dizaines d'années une revendication forte des infirmiers libéraux, qui, plus que leurs confrères exerçant en établissement de santé, sont confrontés aux carences de la profession en matière tant de discipline interne que de représentativité.
Depuis 1996, cette attente s'est traduite par plusieurs initiatives parlementaires, dont aucune à ce jour n'a abouti. La raison de ces échecs a longtemps tenu aux réticences d'une partie de la profession. Je rappelle que celle-ci comporte une part largement majoritaire d'agents publics travaillant dans les hôpitaux et de salariés des établissements de santé privés, les infirmiers libéraux, fervents défenseurs d'une structure ordinale, représentant moins de 15 % de la profession. Or, les fonctionnaires et les salariés, qui disposent déjà d'un cadre disciplinaire défini par leurs statuts, ont longtemps considéré comme inutile et coûteuse la création d'une telle instance.
Cependant, ces positions de principe ont fortement évolué, et un consensus s'est progressivement dégagé sur le caractère insuffisant du système institutionnel actuel, sur les carences présentées par la procédure disciplinaire et sur la nécessité de mieux reconnaître l'identité et la compétence professionnelle des infirmiers. Telles sont aussi les conclusions de la mission de médiation que vous avez mise en place, monsieur le ministre, au début de cette année.
La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale le 13 juin dernier constitue la traduction législative de ce nouveau consensus puisqu'elle vise la création d'un ordre national des infirmiers chargé des traditionnelles missions ordinales de contrôle de la déontologie et de défense des intérêts de la profession, mais aussi du suivi de la démographie et de l'évaluation des pratiques professionnelles.
Ainsi, les infirmiers français disposeront enfin, comme la plupart de leurs homologues européens, d'une instance capable de les représenter aux niveaux national et international. C'est désormais nécessaire, ne serait-ce que si l'on se réfère à la situation de la France au sein du Conseil international des infirmiers, qui compte 112 membres : en raison de la fragmentation des associations représentatives nationales, notre pays n'y occupe aujourd'hui que la 37e place, alors qu'il est celui où exercent le plus d'infirmiers.
L'ordre rassemblera de manière obligatoire l'ensemble des infirmiers, à l'exclusion des infirmiers militaires. Il assurera ses missions, comme l'a précisé M. le ministre, par le biais de trois échelons territoriaux - départemental, régional et national - et sera financé par la cotisation de ses membres.
Ses conseils comprendront chacun un nombre égal de membres titulaires et suppléants, calculé en fonction du nombre de professionnels établis sur leur territoire. Ceux-ci les éliront par catégorie : fonctionnaires, salariés du secteur privé ou infirmiers libéraux. À cet égard, l'Assemblée nationale a souhaité qu'aucune catégorie professionnelle, quelle que soit son importance numérique, ne puisse détenir la majorité des sièges afin d'éviter une surreprésentation des fonctionnaires dans les instances ordinales.
S'il est prévu que le conseil départemental soit plus particulièrement chargé des missions administratives de l'ordre, le règlement des contentieux sera confié aux conseils régionaux et au conseil national. Le conseil régional comprendra ainsi en son sein une chambre disciplinaire de première instance, compétente pour les infirmiers libéraux et les fonctionnaires qui seront déférés par les autorités habilitées. Pour les salariés du privé, l'employeur sera seulement tenu de prévenir le président du conseil national de toute sanction disciplinaire prononcée en raison d'une faute professionnelle. Le conseil national de l'ordre, pour sa part, comprendra une chambre disciplinaire nationale d'appel dont les décisions seront susceptibles de recours devant le Conseil d'État.
J'observe enfin que, si la proposition de loi ne mentionne plus l'existence de conseils interrégionaux - on a sans doute estimé, et c'est assez légitime, que la région constitue le seul échelon pertinent pour la mise en oeuvre des politiques de santé -, elle a conservé les références aux interrégions existant pour les autres ordres professionnels. Il en résulte que la possibilité de créer de telles instances pour l'ordre des infirmiers demeure. La commission s'en félicite dans la mesure où la plupart des ordres sont aujourd'hui dotés de ce type de structures lorsque le nombre de praticiens est trop faible sur un territoire donné : c'est notamment le cas outre-mer, où des conseils interrégionaux existent, par exemple pour les médecins et les chirurgiens-dentistes de la Réunion-Mayotte et des Antilles-Guyane.
À ce sujet, monsieur le ministre, la commission, sollicitée par les infirmiers et les élus de Nouvelle-Calédonie, souhaite que le projet de loi relatif à l'outre-mer que nous serons amenés à examiner dans les prochaines semaines prévoie la possibilité de créer en Nouvelle-Calédonie un ordre des infirmiers qui dépendrait du conseil national de l'ordre de métropole pour les questions disciplinaires.
Les auditions organisées par la commission ont révélé l'ampleur des besoins des infirmiers et l'ont convaincue de l'utilité de créer une instance ordinale. Elle proposera toutefois d'améliorer son dispositif sur deux points : par souci d'efficacité, d'abord, et pour organiser la compétence disciplinaire du futur ordre à l'égard de l'ensemble de la profession, en prévoyant que les infirmiers salariés du secteur privé relèvent aussi de ses chambres disciplinaires en cas de faute professionnelle ; par souci de cohérence, ensuite, en suggérant de supprimer le conseil national des professions paramédicales.
Ce dernier conseil, créé par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, n'ayant jamais vu le jour faute de décrets, la participation des infirmiers y est totalement virtuelle. Dans le texte qui nous est soumis, il est proposé que, lorsque les infirmiers auront un ordre, ils seront exclus de cette instance, ce qui paraît logique. Pourtant, une option différente avait été retenue en 2004 pour les masseurs-kinésithérapeutes et les pédicures-podologues : malgré la création de leurs ordres respectifs, ils sont demeurés membres de l'assemblée interprofessionnelle du conseil. La situation ubuesque qui résulte aujourd'hui de la succession de textes relatifs à la représentation des professions paramédicales appelle à mon sens une solution radicale : la suppression d'un conseil qui ne me semble plus être de grande utilité.
En effet, les orthophonistes et les orthoptistes, dorénavant les seules professions paramédicales dépourvues de structure ordinale, nous ont fait savoir qu'ils préfèrent que les règles déontologiques soient fixées par la voie réglementaire et que le respect en soit assuré par l'autorité judiciaire. Nous souhaitons, monsieur le ministre, que vous puissiez prendre l'engagement devant la Haute Assemblée de satisfaire sans délai cette exigence légitime.
Je voudrais, pour conclure, saluer le travail de concertation mené depuis plusieurs mois par nos collègues députés Maryvonne Briot et Richard Mallié avec les associations et les syndicats infirmiers, ainsi qu'avec vous, monsieur le ministre.
La possibilité est envisagée d'organiser les premières élections ordinales dès le premier semestre de l'année prochaine. Nous souhaitons que cette échéance puisse être respectée. C'est pourquoi, mes chers collègues, au nom de la commission des affaires sociales, je vous invite à adopter cette proposition de loi, attendue par une profession dont nous reconnaissons tous le rôle essentiel dans notre système de santé.