Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, mise en pratique de promesses électorales, estimations hasardeuses du coût des réductions d'impôt imputables aux dispositions adoptées, effets macroéconomiques peu évidents et limités, tout, dans le texte qui résulte des travaux de la commission mixte paritaire sur ce projet de loi prétendument écrit en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, montre que la représentation nationale voit son rôle détourné de l'intérêt général.
Il s'agissait, si l'on en croit les termes du projet de loi, de mettre en oeuvre les promesses du candidat Nicolas Sarkozy, par l'utilisation subtile d'une sémantique séduisante mais fort éloignée de la réalité.
Si l'on prend l'exemple des heures supplémentaires facilitées pour que chacun puisse, librement, travailler plus et gagner plus, la vérité commande de dire que les salariés les plus modestes vont être les dindons de la farce.
Moins de prime pour l'emploi, moins d'allégements de fiscalité locale, moins d'indemnités journalières en cas de maladie, moins de retraite au terme d'une vie professionnelle plus intense et plus épuisante, voilà ce qui nous est promis !
Et quand les entreprises auront décidé de substituer l'utilisation du contingent d'heures supplémentaires à l'embauche de nouveaux salariés et à la hausse annuelle des salaires après négociations, ce sera encore moins !
Quelle tromperie tout de même que de prétendre ainsi rendre du pouvoir d'achat aux salariés, alors même que le Gouvernement a comprimé depuis 2002 le traitement des fonctionnaires et que la hausse du SMIC, au mois de juillet, a été limitée à 2, 1 % !
Ce qui est sûr, en revanche, c'est que l'allongement de la durée du travail, c'est aussi l'allongement de la durée d'utilisation des capacités de production et l'accroissement subséquent des résultats et des bénéfices des entreprises.
Sans revenir sur ce que mes collègues de la commission des finances ont pu dire sur cette question, comment ne pas pointer que c'est du côté des dividendes que les heures supplémentaires vont surtout permettre de gagner plus ?
Et Dieu sait que les autres dispositions du texte font maints cadeaux à ceux qui disposent, pour l'essentiel, des plus gros patrimoines et des plus hauts revenus !
Passons sur l'anecdotique article 2, destiné à permettre aux heureux parents des étudiants issus des couches aisées de bénéficier d'une importante remise d'impôt sur le revenu, de 1 500 euros par enfant.
Passons sur l'article 3, relatif aux emprunts immobiliers, qui va juste autoriser les promoteurs immobiliers à assurer l'écoulement de leur stock de logements et permettre aux établissements financiers de se prémunir, d'une façon relative, contre les risques croissants d'insolvabilité de leur clientèle.
Passons également sur l'article 7, relatif aux parachutes dorés, qui va rejoindre assez vite le musée des dispositions législatives sans application concrète. Même si son inspiration vient de loin - je pense notamment à la traduction française d'une recommandation de l'OCDE -, il n'encadre pas les parachutes dorés ou argentés ; il ne fait qu'aménager la piste d'atterrissage, madame la ministre !
Passons aussi sur les articles portant sur le revenu de solidarité active, dont on ne sait s'il faut le prendre comme une disposition destinée à faciliter la réinsertion professionnelle, ou comme un instrument de remise en question des statuts dans la fonction publique et des garanties collectives dans le secteur privé.
Que pèse d'ailleurs le RSA, monsieur le haut-commissaire, dans l'esprit d'un gouvernement qui pense imposer à l'ensemble du monde du travail le service minimum dans le secteur public, le contrat de travail unique, la généralisation des horaires de travail atypiques ?
Parvenons d'emblée à l'article 4, relatif à la réforme des droits de mutation - successions et donations -, illustration spectaculaire de la « rupture ».
Exploitant l'émotion légitime et un certain bon sens populaire, le Gouvernement prétend, avec cette réforme, permettre à chacun de transmettre à ses enfants le fruit de son travail.
Louable intention, si elle ne masquait, en réalité, un cadeau fiscal éhonté en direction des patrimoines les .plus élevés, dont tout laisse penser qu'ils vont connaître, dans les années à venir, une optimisation maximale, leur permettant d'échapper assez largement à toute imposition.
Une succession moyenne en France, selon les données fournies par les rapports eux-mêmes, pèse 100 000 euros, et la moitié des successions représentent une valeur inférieure à 80 000 euros.
En relevant les franchises de droits de 50 000 euros à 150 000 euros, on ne règle, de fait, que la situation éventuellement délicate des ménages sans enfants. Mais on permet surtout aux ménages les plus aisés de bénéficier d'une réduction particulièrement sensible des droits à payer.
Madame la ministre, l'exonération de droits pour la part du conjoint survivant, ce n'est pas la même chose selon que le patrimoine légué vaut 100 000 euros ou 10 millions d'euros ! Et grâce aux donations, ce sont des patrimoines très importants qui bénéficieront d'allégements de fiscalité sensibles. Un heureux propriétaire de château, père de cinq enfants majeurs, pourra, en vertu des dispositions de l'article 4, doter immédiatement ses enfants de 900 000 euros de patrimoine, sous réserve d'usufruit, et inviter d'ailleurs son épouse à faire de même. Cela ne coûtera rien !
L'exonération ou l'allégement de l'ISF découlant du démembrement familial de ce patrimoine viendra se cumuler avec l'économie réalisée grâce à la donation !
Parlons, l'espace d'un instant, de cette question du patrimoine.
Sachant que le salaire médian dans notre pays s'élève à 1 600 euros par mois, imaginons qu'un salarié médian, et méritant, travaille pendant quarante ans. Il aura perçu au total 768 000 euros. Que remarque-t-on ? Que la somme de cette vie de travail, hors tout prélèvement fiscal correspondant à ce niveau de rémunération, est à peu près équivalente au patrimoine ouvrant droit au paiement de l'ISF.
En clair, pendant toute leur vie professionnelle, la moitié des salariés de notre pays ne gagneront pas une somme supérieure au plancher de l'ISF...
D'ailleurs, pour être assujettis à cet impôt, il faudrait qu'ils décident de ne rien consommer pendant quarante années, de n'acheter ni véhicule, ni appartement, ni maison de famille !
En fait, une grande majorité des assujettis à l'ISF disposent d'un patrimoine dû à la naissance et à un l'héritage, sans que leur mérite et leurs qualités professionnelles interviennent.
Quand vous vous attaquez à l'ISF, madame la ministre, monsieur le rapporteur, vous vous en prenez à l'un des rares impôts progressifs et justes.
Pourquoi l'ISF est-il juste ? Tout simplement parce qu'il met à contribution des patrimoines dont l'essentiel provient du travail d'autrui. Il est donc légitime que, par la fiscalité, un peu de ce produit revienne à autrui.
Les actionnaires dits minoritaires, dont on a préservé les intérêts grâce au dispositif « Dutreil », n'accordent souvent aucune attention au devenir des entreprises dont ils détiennent des titres. La seule chose qui les intéresse, le plus souvent, c'est le montant du dividende qu'ils peuvent en escompter et celui de l'éventuelle plus-value qu'ils pourront tirer de la revente de leurs titres au moment opportun.
Que l'entreprise dont ils sont actionnaires embauche, mette en oeuvre un plan social, licencie ou délocalise sa production est le cadet de leurs soucis, l'essentiel étant que la rémunération du capital soit assurée.
Pour les nombreux membres de la famille Mulliez et alliés, peu importe que les caissières d'Auchan, de Décathlon ou de Leroy Merlin soient embauchées à temps partiel imposé et soumises au seul bon gré du responsable de magasin quant à l'amplitude horaire de leur présence : ils veulent que les profits soient au rendez-vous, accompagnés de la valorisation du patrimoine.