D'autres, sur ces travées, ont suivi un parcours comparable au mien, toutes tendances confondues.
La création d'un ordre national des infirmiers devrait être une pure question d'intérêt général, transcendant les clivages partisans. Or, depuis dix ans, c'est tout le contraire, et une polémique vient à nouveau de s'engager sur ce point.
Depuis dix ans, la création d'un ordre national des infirmiers est réclamée par une part substantielle de la profession. Déjà, en 1993, un collectif réunissant trente-deux organisations et syndicats se formait en faveur d'une telle création. De nos jours, des enquêtes récentes montrent que 65 % à 80 % des infirmiers sont favorables à une structure à cotisation obligatoire. Dernièrement, un groupement de 38 associations s'est constitué sous l'appellation de « Groupe Sainte-Anne » pour réclamer la création d'un tel ordre. Enfin, lors de la journée nationale d'action du 12 mai 2005, la création d'un ordre national figurait au nombre des revendications principales de la profession.
Monsieur le ministre, l'UDF appelle de ses voeux la création d'un ordre national des infirmiers, et ce depuis plus de dix ans. Mon collègue et ami député Jean-Luc Préel a déposé trois propositions de loi sur ce thème en 1995, 2002 et 2005.Or la gauche puis la droite les ont tour à tour rejetées.
L'argument socialiste était simple et peut se résumer ainsi : nul n'est besoin d'un ordre national des infirmiers ; l'essentiel figure déjà dans le décret !
Quant à l'UMP, si elle se déclarait favorable à la création d'un ordre national des infirmiers, elle ajoutait : « pas tout de suite, plus tard, nous verrons ! ». Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir fait cesser ces atermoiements.
Ces deux arguments sont fallacieux : non, la création d'un ordre infirmier n'est pas inutile ; oui, il est urgent de s'y atteler.
La création d'un ordre national des infirmiers est indispensable, car l'éclatement de leur représentation affaiblit toute la profession sur le plan tant national qu'international.
Du point de vue national, la représentation des infirmiers et infirmières est éparpillée entre plus de cent cinquante associations ou syndicats professionnels dont la représentativité est assez faible, puisque seuls 4 % des infirmières adhèrent à une confédération syndicale et 8 % à une association professionnelle.
Sur les plans européen et international, la France, cela a été parfaitement démontré, est sous-représentée au Conseil international des infirmières, alors que l'importance numérique de la profession lui donnera la première place lorsque la représentation sera unifiée. Cette situation est d'autant plus regrettable qu'elle est marginale.
En France, la profession d'infirmier est, avec ses 460 000 membres, dont 60 000 libéraux, la profession de santé la plus nombreuse. Or elle n'est toujours pas organisée, alors que les 206 000 médecins, les 69 000 chirurgiens-dentistes et pharmaciens, les 60 000 kinésithérapeutes, les 16 550 sages-femmes, sans parler des 10 500 pédicures-podologues, disposent de leur propre ordre professionnel.
Cette marginalité existe aussi à l'échelle européenne, puisque dans de nombreux pays européens tels que l'Espagne, l'Irlande, le Danemark, l'Italie ou le Royaume-Uni, des ordres infirmiers existent déjà.
S'il est nécessaire de créer un ordre national des infirmiers, c'est parce que ces professionnels de santé jouent un rôle médical de premier plan dans notre pays ; ils sont ainsi par tradition des partenaires privilégiés du médecin. En France, médecins et infirmiers forment un tandem inséparable et complémentaire.
En outre, au cours de la période récente, cette caractéristique du métier d'infirmier français s'est fortement accentuée, ce qui explique que la création de l'ordre national des infirmiers est non seulement nécessaire, mais aussi urgente.
Comme nombre de procès l'attestent, hélas ! les infirmiers sont aujourd'hui confrontés à des questionnements éthiques extrêmement lourds, notamment au moment de la fin de vie des patients.
Plus généralement, l'évolution des techniques médicales, particulièrement dans les domaines du génie génétique, des soins palliatifs et de la lutte contre la douleur, ainsi que l'utilisation de molécules très efficaces, et donc potentiellement dangereuses, ont compliqué les protocoles et accru sans cesse les compétences médicales des infirmiers et infirmières.
La technicité de cette profession s'est fortement affirmée. En témoigne l'allongement des études, dont la durée est passée de deux ans à trois ans et demi.
Le partenariat entre médecins et infirmiers est de plus en plus étroit. Ces derniers sont au coeur de ce que l'on nomme désormais « l'équipe médicale ». L'infirmière et l'infirmier accomplissent la prescription, nouent des liens privilégiés avec le patient et, dans les cas les plus graves, l'accompagnent jusqu'au bout.
Tout cela, nous n'avons cessé de le clamer. Nous ne pouvons donc aujourd'hui que nous réjouir : nous avons apparemment été entendus par ceux-là même qui dénonçaient naguère notre « harcèlement textuel ». Mais peu importe l'origine du texte - nous ne défendrons pas nos droits d'auteurs ! -, ce qui compte, c'est que l'ordre national des infirmiers soit finalement créé.
Que signifie la création d'un ordre national des infirmiers ? Il s'agit d'un acte de reconnaissance, qui atteste l'importance et la compétence d'une profession. Le texte qui nous est soumis aujourd'hui constitue-t-il un acte réel de reconnaissance ? Pour une large part, oui !
Dorénavant, l'adhésion à l'ordre national des infirmiers sera une condition d'exercice de ce métier. Ainsi, les pouvoirs publics trouveront en cette instance l'interlocuteur représentatif de toute la profession dont ils avaient besoin, afin de débattre des problèmes de déontologie, d'éthique, de formation initiale et continue, de définition et d'évaluation des bonnes pratiques.
C'est d'ailleurs parce que l'universalité est la condition sine qua non de l'utilité de l'ordre national que nous ne comprenons pas pourquoi les infirmiers militaires en seraient exclus. Nous proposerons de supprimer cette disposition.
Certains aspects de la proposition de loi peuvent encore laisser penser aux esprits chagrins que l'ordre national des infirmiers que l'on entend créer s'apparentera plus à une association loi de 1901 ou à un club qu'à un véritable ordre.
Rappelons que les termes « assemblée générale » figuraient dans la première version du texte, ce qui constituait un indice fâcheux ! Heureusement, ils ont été supprimés, mais il faut encore faire le ménage.
Le texte prévu pour l'article L. 4312-2 du code de la santé publique donne comme toute première mission à l'ordre celle d'assurer « la défense de l'honneur et de l'indépendance de la profession d'infirmier ». Qu'est-ce que cela peut bien signifier ? De qui se moque-t-on ? Ce qu'attendent les infirmières, ce n'est pas qu'on lave leur honneur, c'est qu'on reconnaisse leur compétence !
Et qu'en est-il de l'indépendance ? S'exerce-t-elle vis-à-vis du médecin ? C'est ridicule ! Par définition, l'infirmier ne peut être indépendant du médecin. Une fois de plus, pour faire plaisir à certains, on a demandé à des fonctionnaires de « pondre » un texte, bien loin des attentes des populations concernées. Je défendrai un amendement tendant à mettre un terme à cet égarement.
Si l'ordre national des infirmiers n'est pas une association loi de 1901, il n'est pas non plus un syndicat. Des syndicats, il en existe déjà ; il n'est pas besoin d'en créer par la loi !
C'est pourquoi la possibilité donnée à l'ordre d'organiser « toutes oeuvres d'entraide et de retraite au bénéfice de ses membres et de leurs ayants droit » ne me semble pas avoir sa place dans ce texte.