Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après Michel de Montaigne, on peut citer un autre écrivain tout aussi célèbre, en tout cas l'un des sénateurs les plus connus, Victor Hugo : « Une moitié de l'espèce humaine est hors de l'égalité, il faut l'y faire rentrer : donner pour contrepoids au droit de l'homme le droit de la femme. ».
Un siècle plus tard et soixante ans après l'institution du suffrage féminin, la France est toujours caractérisée par une participation des femmes à la vie politique plus faible que celle que l'on rencontre dans les autres pays européens, même si, bien sûr, les lois relatives à la parité ont déjà fait beaucoup.
Des progrès sont donc encore nécessaires pour atteindre le seuil de 30 % considéré par l'Union européenne comme la condition minimale pour que les femmes exercent une influence réelle sur les politiques publiques.
A l'instar de l'égalité politique, l'égalité professionnelle n'est pas pleinement acquise. Symptôme révélateur de ces inégalités persistantes : les rémunérations.
Depuis quelques années, les femmes sont entrées massivement dans le monde du travail. En quarante ans, le nombre d'hommes sur le marché du travail a augmenté d'un peu plus de 1 million alors que celui des femmes a progressé de 5, 5 millions. On compte aujourd'hui 12 millions de femmes actives pour 14 millions d'hommes. Pour autant, la diminution des écarts de salaires entre les deux sexes stagne. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : à travail égal et à qualification égale, une femme ne perçoit aujourd'hui en moyenne que 80 % de ce que toucherait un homme.
Il existe une autre source d'inégalité : les écarts moyens de rémunération ; ils sont très variables d'une catégorie socioprofessionnelle à l'autre. Tandis que, chez les employés, les femmes gagnent presque autant que les hommes, chez les cadres, elles ne gagnent que 77 % du salaire de leurs homologues masculins. Ces écarts de salaires sont d'autant moins acceptables que l'on ne peut reprocher aux femmes d'être moins diplômées que les hommes, au contraire !
Il faut tenir compte, en outre, de l'impact sous-estimé de ces salaires sur les retraites des femmes, qui seront diminuées d'autant. Enfin, notons que les femmes ont toujours un accès difficile aux postes stratégiques, que ce soit dans le secteur privé ou public.
Cette situation est non seulement contraire au principe constitutionnel d'égalité, mais également préjudiciable à l'économie française. Comme l'a souligné notre collègue Mme Sittler, dans la perspective du choc démographique que connaîtra le marché du travail lors du départ à la retraite de la génération du baby-boom, le travail des femmes sera un vecteur de croissance.
En conséquence, aucune raison économique ne justifie ces discriminations. La productivité des femmes est la même que celles des hommes et la mixité apparaît même comme un facteur de performance dans les entreprises. C'est donc bien dans les mentalités que reste ancrée cette inégalité : l'inéquité salariale est le fruit d'obstacles plus culturels qu'économiques.
Certes, la loi seule ne suffira pas à changer les mentalités ou à lever les préjugés culturels. Toutefois, elle peut y contribuer dès lors qu'elle enrichit et renforce les mesures précédentes.
En matière d'égalité salariale, nous devons beaucoup à la législation européenne, particulièrement développée depuis les années soixante-dix. Différentes dispositions des traités successifs, mises en oeuvre par l'adoption de directives, témoignent de la forte préoccupation de l'Union européenne en matière d'égalité salariale, celle-ci étant devenue un axe majeur de l'acquis communautaire. La jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes contribue aussi largement à l'avancée du droit de l'égalité.
Le législateur français, pleinement conscient de la nécessité à la fois sociale et économique de parvenir à une égalité de rémunération, a également contribué à la formation d'un droit de l'égalité salariale. Trois lois ont ainsi précédé le texte que nous examinons aujourd'hui.
Au regard de l'accumulation des textes, on est en droit de s'interroger sur l'efficacité et l'effectivité de la norme de droit dans la mesure où les lois se suivent sans rien changer, ou pas suffisamment. L'inflation législative aurait-elle pour objet de masquer une impuissance législative, comme le relevait déjà le juriste Georges Ripert en 1949 ? Comment éviter, madame la ministre, que votre loi ne reste lettre morte ? Assurément par une approche novatrice, non seulement globale, mais aussi coercitive.
Pour juger de l'approche globale, on ne peut s'arrêter à l'intitulé de votre texte, car celui-ci est inadéquat : le projet de loi ne porte pas uniquement sur l'égalité de rémunération, même si celle-ci en constitue le coeur ; il traite aussi d'aspects fondamentaux de la parité professionnelle, tels l'accès à la formation, à l'apprentissage ou à certaines instances délibératives et juridictionnelles comme les conseils d'administration ou de surveillance des entreprises publiques, ou les conseils des prud'hommes.
Volontaire et audacieuse, l'Assemblée nationale est allée plus loin en prévoyant, d'une part, des quotas et, d'autre part, une représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration des sociétés anonymes. Si, juridiquement, cette mesure prête à discussion, il demeure vrai, comme l'a très justement rappelé Gisèle Gautier, que la mixité au sein des instances exécutives est un facteur de dynamisme et un modèle pour l'entreprise.
Madame la ministre, nous souscrivons aussi pleinement à l'objectif de conciliation entre parentalité et vie professionnelle qui sous-tend votre texte. A cet égard, nous proposerons un amendement visant à ce que les salariés puissent utiliser le congé parental d'éducation, d'une durée maximale de trois ans, jusqu'aux seize ans de l'enfant. Période souvent délicate, l'adolescence est en effet un moment où la présence des parents est fortement ressentie.
S'agissant de l'aspect coercitif, nous estimons que votre texte ne va pas assez loin. Il s'agit pour nous d'un point très important. Des mécanismes très incitatifs sont créés pour favoriser l'émergence de l'égalité salariale. Seront-ils suffisants ? Sans sanctions comparables, par exemple, à celles qui s'appliquent aux entreprises ne respectant pas leur obligation d'emploi de personnes handicapées, le présent projet de loi risque d'être aussi peu appliqué que les précédents.
Aussi, nous défendrons un amendement, à nos yeux essentiel, tendant à ce que la contribution assise sur les salaires, dont seront redevables les entreprises qui n'auront pas respecté leur obligation légale d'organiser des négociations relatives à l'égalité entre les femmes et les hommes, soit non pas renvoyée à une future loi, mais inscrite dès à présent dans celle-ci.
Vous souhaitez privilégier la concertation. On ne peut que vous en féliciter ; nous y sommes tous pleinement favorables. Mais inscrire d'ores et déjà dans la loi qu'en cas d'échec le Gouvernement mettra en place une sanction pécuniaire c'est préjuger de l'inefficacité de celle-ci.
Pourquoi ne pas prévoir dès maintenant qu'une contribution financière sera demandée aux entreprises qui manqueront à leur obligation de négociation ? Ce n'est pas adopter un dispositif plus coercitif de prime abord, c'est seulement faire preuve de loyauté à l'égard des entreprises et les encourager à la responsabilisation. C'est aussi reconnaître que, faute de contraintes, les lois précédentes n'ont pas été appliquées. Inscrire dans cette loi la taxe sur la masse salariale évitera en outre de contribuer à l'inflation législative que dénonçait le président du Conseil constitutionnel, Pierre Mazeaud, en début d'année.
En tout cas, le groupe de l'Union centriste-UDF sera très attentif à la manière dont cette loi sera appliquée. Il lui semble en particulier indispensable que le pouvoir réglementaire établisse très vite des indicateurs sérieux et solides, ainsi que des objectifs chiffrés précis à atteindre, sur la base desquels pourront s'engager les négociations collectives. Nous aimerions avoir un engagement du Gouvernement sur ce point.
Pour finir, j'aimerais vous faire part de notre déception de ne pas voir inscrites dans le projet de loi des mesures visant à lutter contre le temps partiel subi. §Grand oublié de ce texte, il touche pourtant majoritairement les femmes. Faut-il rappeler qu'en 2003 82 % des 4 millions de travailleurs à temps partiel que compte notre pays étaient des femmes ?
Le temps partiel est souvent imposé aux femmes pour des emplois peu qualifiés ; il est facteur de précarité et, bien sûr, il contribue à renforcer l'écart de salaires de base constaté entre hommes et femmes.
Pour ces raisons, le groupe de l'UC-UDF défendra deux amendements, l'un visant à éviter que le statut de salarié à temps partiel ne donne lieu à des emplois du temps attentatoires à la vie privée et familiale imposés par l'employeur, l'autre tendant à ce que les salariés à temps partiel bénéficient en priorité d'un droit d'affectation aux emplois à temps complet de l'entreprise.
Nous attendons maintenant que le Gouvernement tienne l'engagement pris devant l'Assemblée nationale de réunir les partenaires sociaux sur ce thème.