En fait, le comité Balladur, malgré la qualité indiscutable de son président, a produit un rapport - il nous faut bien en parler - entaché d’un vague parisianisme qui n’est que l’avatar d’une pensée toute faite et d’un manque d’expérience de terrain l’éloignant des réalités. Or que sont les réalités sinon le poids de l’histoire et de la géographie ?
On connaît bien sûr par cœur le processus historique qui a conduit très tôt à l’État centralisé que nous avons connu. Des Capétiens à Napoléon, tous les pouvoirs centraux ont poursuivi la même fin. Que le préfet et, surtout, l’instituteur prêchent pendant quarante ans l’unité guerrière et le massacre de 1914 parachève dans le sang l’épanouissement d’un nationalisme qui prétend faire que les Français pensent tous uniformément, et qui y réussit presque. Certes, bien des nuances existent encore dans cette unité apparente, mais les différences culturelles interrégionales n’ont tout de même rien à voir avec les réelles divergences qui, dans les autres pays, opposent les Catalans aux Basques et aux Sévillans, ou encore les Lombards aux Calabrais, pour ne prendre que ces seuls exemples.
De ces histoires divergentes, il est ressorti des structures territoriales très différentes.
Nos régions sont pour la plupart artificielles. Celles de nos voisins, qui furent des principautés, des républiques et des monarchies, ont une identité réelle et profonde, assise sur la culture et sur une unité économique véritable. Toutes – Turin, Milan, Munich et tant d’autres que je ne citerai pas – ont un passé de capitale, de centre administratif et politique assumé pendant des siècles, de centre économique régional au cœur d’un réseau de villes dense, de centre de rayonnement intellectuel international.
Négliger ces réalités aboutit à de petits crimes contre l’Histoire, qui ne seraient pas graves s’ils n’avaient pour résultat le colportage d’idées trop simples, et donc fausses.
Première idée fausse, la taille ferait la puissance. Décomptant les Lombards, on projette le regroupement de régions françaises pour qu’elles atteignent une prétendue taille critique de trois ou quatre millions d’habitants, mais ce regroupement ne change rien à l’immense espace à gérer, à l’absence de réseau urbain, à l’éclatement de la vie économique et, surtout, au poids toujours prégnant de la capitale parisienne, dont – j’attire votre attention sur ce point – le TGV, puissant outil de centralisation, accentue encore la puissance.
La deuxième idée fausse, ou trop simple, est celle des vertus du statut. Ainsi, il suffirait d’une réforme administrative créant des métropoles à statut particulier pour que, tout à coup, la dignité qui leur serait offerte par le plein exercice leur donne puissance et rayonnement. Cependant, la puissance, c’est d’abord l’économie, et donc l’attractivité, liée elle-même à la puissance financière et au nombre de sièges sociaux de grandes sociétés.
Il est vrai qu’il existe quatre, cinq ou six grandes métropoles en France, comme le disait tout à l’heure M. Mercier. Je suis tout à fait d’accord pour le reconnaître, mais en quoi leur donner la compétence d’action sociale et de sécurité civile va-t-elle les renforcer dans la compétition européenne ? Ce qu’il leur faut, c’est une réelle marge de manœuvre, des moyens puissants en matière économique et une grande liberté d’action dans tous les domaines, y compris dans ceux éventuellement délégués – mais non pas transférés - par convention ou contrat volontaire passé avec la collectivité départementale ou régionale.
J’ai d’ailleurs noté que, plutôt que d’imposer, M. Balladur semblait, lors de son audition, s’orienter désormais vers la solution du contrat négocié.
Troisième idée fausse, la suppression d’un niveau - ou de deux niveaux - serait gage de plus d’efficacité et d’économies.
Outre qu’il ne faut pas trop jouer avec le sentiment anti-élu de nos concitoyens – je parle du nombre d’élus, éventuellement de leurs indemnités et des économies qui pourraient être réalisées –, on peut « tordre le cou » rapidement à cette dernière idée en observant que la réduction du nombre d’élus territoriaux proposée par le comité Balladur – 2 000 de moins par rapport au nombre actuel de conseillers généraux et régionaux – aboutirait à une économie de l’ordre de 30 millions d’euros, soit 0, 03 % des 91 milliards d’euros de dépenses des deux catégories de collectivités concernées…
Quant au prétendu « millefeuille », il se retrouve partout en Europe, et le comité Balladur ajoute même une feuille avec les métropoles, qui, si elles devaient exercer des compétences, exerceraient toutes celles des conseils généraux.
Belle simplification, en effet !
Au demeurant, je prétends que cette construction aboutirait à une France paralysée et à une pagaille généralisée.
De quoi s’agit-il ? Le comité Balladur a bien identifié le réel problème, qui tient au nombre très élevé de communes. Après l’hommage rituel rendu aux vertus des élus locaux, et au lieu de chercher à faire que cette situation constitue une chance, nos grands sages s’orientent vers une suppression de l’échelon communal.