Intervention de Pierre Mauroy

Réunion du 18 mars 2009 à 14h30
Débat sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales — Orateurs des groupes

Photo de Pierre MauroyPierre Mauroy :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre discussion d’aujourd'hui, qui porte sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, prouve au moins une chose : le débat démocratique est bien vivant au sein de nos assemblées.

En effet, pas moins de trois missions et de comités se réunissent depuis des mois pour définir l’organisation administrative future de notre pays : la mission temporaire du Sénat, dont le rapport d’étape sert de base à notre discussion cet après-midi, le rapport Warsmann de l’Assemblée nationale, et le comité Balladur, auquel j’ai participé et qui vient de remettre son rapport au Président de la République. S’ajoutent aux travaux de ces structures ceux des partis politiques sur ces mêmes questions.

Cet intérêt porté à tous les niveaux pour repenser notre organisation administrative témoigne de la nécessité d’aller de l’avant sur cette question. Près de trente ans après l’adoption des lois de décentralisation de 1982-1983, qui avaient alors soulevé de grandes approbations mais aussi suscité de fortes oppositions, tout le monde s’est assez rapidement accordé au fil du temps sur l’idée qu’il fallait poursuivre et approfondir la décentralisation.

C’est donc dans un esprit d’ouverture qu’André Vallini et moi avons accepté de faire partie du comité Balladur ; notre unique perspective était de participer à la réforme des collectivités locales.

Bien sûr, à la lecture des rapports en présence, on voit bien que des différences sensibles se manifestent sur la façon d’avancer dans la démarche décentralisatrice, même si, et je m’en réjouis, des consensus peuvent être dégagés sur des points aussi importants que l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct, la nécessité d’achever la carte de l’intercommunalité, la possibilité de regroupements volontaires entre régions et départements ou encore l’émergence de métropoles fortes, encore que les modalités évoquées par les uns et les autres pour y parvenir diffèrent, et quelquefois beaucoup.

Sans me livrer à une analyse comparée des positions en présence, je me contenterai d’en évoquer certaines au cours de mon intervention, qui portera essentiellement sur le travail effectué par le comité Balladur et, plus particulièrement, sur les points d’accord et de désaccord qui se sont dégagés au fil de débats d’ailleurs marqués – comme la plupart des débats sur ces sujets – par une volonté de consensus, en tous les cas, par un état d’esprit qui me plaît beaucoup.

Cet état d’esprit fut le mien lorsque j’administrai la ville de Lille, pendant près de trente ans. Je le conservai lorsqu’il me revint d’animer la communauté urbaine de Lille, qui a bien prospéré tout au long de ces quelque vingt années. Dés lors, je ne peux que me retrouver dans ces débats. Et demeure intacte ma volonté d’avancer avec les opposants du départ qui nous rejoignent peu à peu en chemin, en tous cas sur certains points, tout en exprimant franchement les désaccords qui subsistent.

J’ai approuvé, avec André Vallini, seize des vingt propositions qu’a formulées le Comité. Le président Balladur avait résumé nos débats en vingt questions et vingt propositions. Je n’ai pas voulu – et le président Balladur non plus – d’un vote global : émis par un comité de personnalités nommées par le Président de la République, il n’aurait guère eu de sens. Nous avons néanmoins pris position sur chacune de ces vingt questions.

J’ai donc approuvé celles des propositions qui vont dans le sens de la régionalisation et de la décentralisation, autrement dit, celles qui s’inscrivent dans la continuité de ce qui a été réalisé depuis une trentaine d’années.

En revanche, nous avons refusé celles qui s’en éloignaient trop, voire qui nous paraissaient en contradiction avec cet état d’esprit.

Il en est ainsi particulièrement de la proposition n°3 du rapport du comité Balladur, qui prévoit l’élection des conseillers régionaux et départementaux sur une liste unique au scrutin proportionnel au niveau de circonscriptions infra-départementales, ce qui a pour conséquence la suppression des cantons actuels pour les remplacer par des circonscriptions plus larges, à partir desquelles seraient élus les conseillers départementaux et régionaux, appelés « conseillers territoriaux ».

J’ignore d’où vient cette idée. Au cours de mes discussions avec les élus, je n’ai jamais entendu quiconque se préoccuper de promouvoir une telle bizarrerie ! Il n’en fut d’ailleurs pas question au cours des premiers mois des travaux du comité Balladur. Nous étions parvenus à mi-chemin de notre mission quand quelques suggestions ont circulé à l’Assemblée nationale ; finalement, l’idée est parvenue jusqu’à nous.

Bizarre, oui, vraiment bizarre, cette proposition ! Force m’est de constater que ce système hybride n’est envisagé dans aucun des rapports. La mission sénatoriale, dans son rapport d’étape, ne prévoit aucun changement de cette nature, si ce n’est que les conseillers généraux doivent être élus en une seule fois tous les six ans. Cette idée, je l’approuve, comme beaucoup d’entre nous. Le rapport Warsmann est tout aussi muet sur le sujet.

Je dois dire que nous avons, au fil des semaines, reçu beaucoup de délégations. Et puis, l’une d’entre elles – je veux parler du groupe parlementaire de l’UMP et, principalement, de l’un de ses responsables – a appelé au big bang. Mon opposition à ce big bang est totale !

Mes chers collègues, dans ma vie d’élu, une vie partagée entre le Parlement et les collectivités territoriales, j’ai souvent entendu – comme vous, j’imagine – des propos agréables à l’endroit des élus locaux, ces 500 000 poilus, ces 500 000 hommes et femmes qui défendent et portent la République, quelquefois bénévolement, encore que, sur ce point, leur sort se soit heureusement amélioré au cours des dernières années. Mais jamais personne ne m’avait parlé de cette idée bizarre !

Or la voici tout à coup qui jaillit, porteuse d’un mélange des genres qui ne va bénéficier ni aux départements ni aux régions, dont la base électorale sera ramenée au niveau d’une circonscription infradépartementale, ce qui risque d’aboutir à une « cantonalisation » des régions, en contradiction avec la nécessité de faire émerger de grandes régions, capables d’égaler les régions européennes, au moins pour certaines d’entre elles.

Ces deux assemblées locales ayant un état d’esprit, une histoire, des façons de fonctionner et, surtout, des compétences et des objectifs très différents, André Vallini et moi estimons qu’il faut maintenir deux scrutins distincts pour l’élection de leurs conseillers respectifs.

À mon avis, il n’y a pas lieu de changer sur ce point l’existant ; j’y vois, outre l’un des fondements de notre action sur le plan municipal, départemental et régional, l’un des fondements de la République : d’une part, le conseil général, cet héritier de la grande Révolution, qui a su évoluer et s’impliquer avec un réalisme reconnu pour travailler au service des populations ; d’autre part, cette institution nouvelle que sont les régions. Le dynamisme de ces nouveaux élus régionaux leur donne naturellement vocation à prendre en charge l’avenir et à devenir les interlocuteurs de l’État, voire de l’Europe. Quels autres intermédiaires pourrait-on trouver ? La région paraît toute désignée pour ce rôle, d’ailleurs esquissé par des dispositions déjà prises entre les instances communautaires et cette collectivité.

Or ces deux assemblées aux objectifs si différents et pourtant si complémentaires se sont trouvées exposées à une véritable campagne de dénigrement. Nous étions accablés de tous les maux, surtout dans la presse ! Je n’avais rien entendu de tel au cours des nombreuses années durant lesquelles j’ai été un élu de la région, un élu du département, un élu de la communauté urbaine, un élu de la ville. N’allez pas me faire dire que nous sommes parfaits ! Qu’il y ait quelques réformes à faire, oui, certainement ! Mais faut-il pour autant réduire le travail des collectivités territoriales à une sorte de millefeuille où chacun toucherait à tout et où l’on finirait par dépenser beaucoup à force de redondance des tâches ?

J’arrête là le catalogue des reproches.

Si le big bang cachait quelques arrière-pensées, je comprends qu’on ait commencé par orchestrer une campagne. Mais celle-ci n’est franchement pas à la hauteur des enjeux de la République, pas à la hauteur non plus de l’action de tous ceux qui ont mené un combat tout à fait exemplaire, et dans des conditions difficiles, au sein de nos communes, de nos départements et de nos régions !

Ces 500 000 élus, la République devrait les honorer et ne pas tolérer de telles campagnes indirectes sur ce qu’ils font et ce qu’ils ne font pas ou sur l’argent qu’ils dépensent !

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