Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la crise qui a sévi dernièrement en outre-mer a mobilisé toute la presse française et internationale. Malheureusement, le rapport qui nous est soumis ne consacre qu’une demi-page à la réorganisation territoriale de l’outre-mer, avec une seule préconisation, une assemblée unique.
Le 1er décembre 2009 marquera les dix ans de la Déclaration de Basse-Terre, que j’ai signée, dans cette même ville dont je suis le maire, avec mes collègues de Guyane et de Martinique.
Depuis la Constitution de 1958, différentes législations ont été adaptées à l’outre-mer, sans politique véritablement pensée et mise en œuvre dans l’intérêt de ces régions.
L’outre-mer, c’est une autre France, dans un environnement totalement différent.
Je le répète depuis des années, si l’on observe l’espace géographique de la Caraïbe, on constate que la France est absente dans les instances décisionnelles de la Communauté des Caraïbes, ou CARICOM, dans celles du Forum des États d’Afrique, Caraïbes et Pacifique, ou CARIFORUM, et dans celles qui ont été mises en place par les conventions de Lomé, où se prennent cependant les décisions majeures pour le développement de la zone, notre pays se contentant de donner un mandat à l’Union européenne.
Il est tout de même aberrant que le siège caribéen de l’Europe se situe à La Barbade plutôt qu’en Guadeloupe ou en Martinique, qui sont des territoires européens ! Ce sont de telles erreurs qui révoltent aujourd'hui la population.
De même, la France, principal bailleur de fonds dans le domaine de la coopération dans la Caraïbe, complète le montant des fonds alloués aux départements d’outre-mer par le Fonds européen de développement régional, le FEDER, et de ceux qui sont consentis par le Fonds européen de développement, le FED, aux États de la Caraïbe, mais elle n’en a jamais profité pour régler le problème fondamental de l’hospitalisation des étrangers sur le territoire français, dont le coût reste à la charge des hôpitaux !
Comment évoquer l’intégration dans la zone, quand on voit la complexité de nos procédures administratives comparée à la simplicité de celles qui sont appliquées dans la Caraïbe ? Par exemple, à Saint-Martin, dans la zone hollandaise, qu’aucune barrière ne sépare de la zone française, le délai de construction d’un aéroport est inférieur à un an, alors qu’il est de trois ans et demi, voire quatre ans, chez nous !
Dès lors, peut-on parler de coopération ?
La vision jacobine que la France a conservée a fait échouer notre projet. Ce que nous avions demandé voilà dix ans, M. Domota l’obtiendra peut-être par la révolte, le désordre et sous la pression. Cela me choque. Nous, nous voulions agir conformément au droit, écouter tous les points de vue, tous les partis politiques, pour élaborer un document de fond.
S’agissant de la gouvernance, je ne m’étendrai pas sur la coexistence des deux assemblées. Un petit territoire comme le nôtre compte une commune, une communauté de communes, une communauté d’agglomération, un département, une région, et personne ne sait qui fait quoi. Il n’y a aucune lisibilité.
Le rapport du comité pour la réforme des collectivités locales présidé par M. Balladur prône une assemblée unique, sans en préciser toutefois les prérogatives, ce qui pourrait impliquer que tous les pouvoirs sont confiés à un exécutif autoritaire.
C’est la raison pour laquelle le statut des Canaries, des Açores et de Madère nous paraissait le meilleur, l’existence d’un conseil exécutif faisant obstacle au pouvoir total et dictatorial d’un président.
J’en viens au problème des communes. Il est amusant de constater que des routes nationales, régionales, départementales et communales passent dans une même commune ; cependant, c’est également décevant, le maire sollicité répondant toujours que telle route est l’affaire du département ou de la région – ce n’est jamais la sienne ! – et, dans le même temps, la région renvoyant la balle à la commune, au département. Au final, personne ne s’en sort ! Une petite ville comme la mienne est traversée par trois routes ! Mme le ministre, qui connaît bien l’outre-mer, notamment Basse-Terre, sait que ces problèmes se posent de façon récurrente.
J’aborderai à présent la question de l’octroi de mer.
M. le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique a indiqué que des délais seraient accordés aux entreprises pour acquitter cette taxe. Attention ! L’octroi de mer est une taxe très ancienne – elle date du XVIIe siècle –dont le produit est perçu par les communes sur toutes les marchandises pénétrant dans nos régions.
Or la France se laisse leurrer par le concept européen tendant à transformer l’octroi de mer en une TVA régionale. En effet, alors que la TVA est une taxe fixe, l’octroi de mer représente une taxe modulable par les élus, qui disposent ainsi d’une sorte d’autonomie fiscale.
Or l’Europe ne touche pas aux negativ lists des îles de la Caraïbe. En d’autres termes, la Dominique pourrait taxer à 100 % une bouteille d’eau produite en Guadeloupe, mais cette dernière, soumise à la réglementation européenne, ne pourrait appliquer une taxe supérieure à 20 % à une bouteille sortant de la Dominique. Comment peut-on parler de concurrence ?
J’aborderai également la question de l’omniprésence de l’État. Vous avez ressenti cette dernière, madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État. En tant qu’élue, j’ai toujours dit ce que je pensais : nous en avons assez de cette situation où trop de fonctionnaires viennent chez nous pour profiter de l’indemnité dite de cherté de vie, de ces chasseurs de primes qui viennent en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, à la Réunion, et qui, à la différence de leurs prédécesseurs, ne s’intègrent pas dans le tissu familial et économique local et ne connaissent pas les Antilles. Depuis leurs bureaux, ils prennent des décisions qui sont en inadéquation avec la réalité.
Expliquez-moi pourquoi certains problèmes, comme celui des cinquante pas géométriques, appelés autrefois les cinquante pas du Roi, ne sont jamais réglés ? Pourquoi certaines règles ridicules – par exemple celles aux termes desquelles le lit des rivières relève de la compétence de l’État, et les berges, de la compétence des propriétaires et des communes – ne sont jamais abolies ?
Les États généraux de l’outre-mer seront l’occasion de mettre fin à ces situations et de colmater les brèches. Il importe de mettre l’ensemble des dossiers de l’outre-mer sur la table et d’y apporter des réponses claires et précises.
J’entends dire partout que les habitants de l’outre-mer veulent leur indépendance et qu’il faut tout simplement la leur donner. Madame le ministre, monsieur le secrétaire d'État, il ne s’agit pas de cela !
D’ailleurs, conscients de la méconnaissance totale de nos frères métropolitains au sujet des problèmes qui nous intéressent, nous avons été prudents en 2003, lors de la modification de la Constitution : vous ne pouvez pas nous imposer l’indépendance !