Madame le ministre, lors de la première séance de questions d’actualité au Gouvernement dans cet hémicycle, au mois d’octobre dernier, je vous avais demandé si le débat sur la décentralisation serait un vrai débat, avec des enjeux et des réformes, ou si le scénario était déjà écrit. Au vu des conclusions du rapport Balladur, j’ai le sentiment que c’est bien la seconde hypothèse qui a prévalu. Le scénario est déjà écrit : la création des conseillers territoriaux et la modification des modes de scrutin constituent l’ultime message que le Gouvernement ait souhaité faire passer.
Ce rendez-vous avec les collectivités locales préfigure-t-il vraiment la préparation de l’acte III de la décentralisation ou sera-t-il un nouveau rendez-vous manqué ? Préfigure-t-il la nécessaire mue territoriale dont la France a besoin ou s’agit-il d’un simple toilettage de notre spécificité française ? Sentirons-nous encore le souffle décentralisateur que j’ai connu dans les années quatre-vingt et que d’autres orateurs ont évoqué ?
La décentralisation est un gage d’efficacité et de responsabilité : un gage d’efficacité, car elle rapproche la décision des acteurs de terrain ; un gage de responsabilité, car elle consacre l’engagement des élus face aux citoyens.
Nous affirmons d’autant plus notre attachement à la décentralisation que nous observons aujourd’hui deux tendances inquiétantes : la première correspond à la tentation récurrente de « recentraliser » certaines compétences, et nous en avons eu un aperçu ce matin s’agissant de la formation professionnelle ; la seconde résulte de la situation d’asphyxie financière à laquelle l’État réduit aujourd’hui les collectivités territoriales.
Notre débat – nos rapporteurs l’ont très bien dit – ne doit pas porter sur la remise en cause des collectivités locales, de leur rôle et de leur efficience. L’important est non pas ce qui est bon pour les élus mais ce qui est bon pour les Français : j’adhère donc aux propositions de nos rapporteurs, dans leur totalité.
Étant le seul à m’exprimer au nom des régions – je représente une espèce rare au sein de cette assemblée –, même si les rapporteurs et Pierre Mauroy les ont évoquées, ce dont je les remercie, je voudrais insister sur deux points essentiels.
Premièrement, le comité Balladur estime que nous devrions nous inspirer de la loi PLM pour mener la réforme des collectivités territoriales.
Or, malgré la clause générale de compétence, les départements et les régions mettent essentiellement en œuvre des politiques relevant de champs de compétences qui leur ont été attribués dans le cadre des lois de décentralisation.
On ne peut donc comparer l’organisation et la répartition des compétences entre les départements et les régions avec celles qui prévalent entre les maires et les maires d’arrondissement. La loi PLM ne peut être transposée localement. Les mandats électifs correspondent en effet à deux missions radicalement distinctes dans le cadre des régions et des départements.
Deuxièmement – et sur ce point, je vais m’écarter de mon collègue Jacques Blanc –, les propositions du comité Balladur reposent sur l’analyse selon laquelle il y aurait, d’une part, le couple formé par le département et la région et, d’autre part, le couple composé de la commune et de l’intercommunalité.
Je m’élève violemment contre cette analyse. Il y a un couple formé par l’État et les régions, notamment à travers les contrats de plan, les fonds européens régionaux et la délégation aux régions de ces fonds. La Bourgogne nous en fournit un exemple concret, puisque nous avons lancé la semaine dernière l’Espace régional de l’innovation.
À côté de ce couple, il y a un autre couple qui se conçoit très bien, formé par le département et la commune, caractérisé par la proximité et la complémentarité, qui interviennent tous deux dans le domaine social.
Si l’on suit la proposition du comité Balladur de former un couple département-région, on devrait en déduire la fusion de leurs exécutifs en une seule et même collectivité. En effet, si l’on prévoit un scrutin unique, il doit forcément en découler une seule collectivité. Or, le comité Balladur plaide au contraire pour une clarification des compétences des deux collectivités, chacune étant confortée dans son existence.
Les contraintes financières des collectivités locales entraînent, de fait, une spécialisation accrue des différents échelons.
La fusion des listes électorales pour deux collectivités qui ne partagent aucune compétence et peu de politiques communes privera nécessairement l’une des deux d’un vrai débat démocratique et mettra inéluctablement l’une sous la coupe de l’autre. J’imagine sans peine la position de mon collègue et ami Alain Rousset, président de l’ARF, sur cette question.
Si les présidents de départements qui siègent au conseil régional se mettent d’accord pour fixer une feuille de route et l’imposer au président de région, quelle sera la marge de manœuvre de ce dernier ? Cette situation aboutira forcément à la domination d’une collectivité sur l’autre.
Alors que l’objectif affiché est de parvenir à une meilleure clarification des compétences de chacune des collectivités, on voit mal comment une fusion des listes sans fusion des institutions pourrait aller dans ce sens !