Intervention de Joël Bourdin

Réunion du 29 avril 2009 à 14h30
Débat sur la crise financière internationale et ses conséquences économiques

Photo de Joël BourdinJoël Bourdin :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans ce propos général, je n’aborderai que l’aspect européen de la crise, même si je n’oublie pas, bien sûr, que celle-ci trouve son origine outre-Atlantique du fait de l’insouciance de la gouvernance financière américaine, qui a laissé filer l’offre de prêts au-delà des limites de capacité de remboursement des ménages et des entreprises, notamment dans le secteur immobilier.

La crise financière internationale a soumis l’Union européenne à une dure épreuve et a souligné quelques faiblesses de son dispositif économique, financier et monétaire. Certes, grâce aux initiatives prises lors de la présidence française, l’Union européenne a vite mesuré l’ampleur des problèmes posés par la crise et perçu la nécessité de développer une réflexion en profondeur sur les moyens permettant de les surmonter, mais il demeure que cette crise révèle des imperfections, des divergences et des fractures naissantes.

Les imperfections tiennent à la réactivité des différents États et aux dispositifs conjoncturels qu’ils ont improvisés. La composition des plans de relance ne traduit pas la même analyse des facteurs déterminants de la croissance et des équilibres financiers. La France a d’abord tablé sur les investissements, en mettant en place des dispositifs visant à soutenir l’investissement et, donc, la croissance. La Grande-Bretagne a surtout cherché à stimuler la consommation. Mais, en définitive, tout le monde s’est retrouvé, ces derniers temps, dans un système de policy mix alliant souvent l’investissement et la consommation. A priori, cela semble aller dans le bon sens, mais ne suffit pas à masquer les nettes divergences de fond des politiques économiques menées par les États européens. Pour schématiser, l’Europe de l’euro a adopté trois politiques, illustrées par trois pays : l’Allemagne, l’Espagne et la France.

L’Allemagne, ce n’est pas une nouveauté, fonde sa stratégie sur une politique de déflation compétitive, de contrôle des coûts salariaux, de compression de la masse salariale, débouchant sur des soldes commerciaux excédentaires importants et obtenant ainsi l’un des taux d’inflation les plus faibles de la zone euro. Ce pays inspire à la Banque centrale européenne, la BCE, une baisse des taux d’intérêt et influence l’euro à la hausse.

L’Espagne, en revanche, table sur la consommation pour effectuer son rattrapage. L’évolution des salaires a eu tendance à dépasser celle de la productivité et l’inflation accompagne le mouvement, entraînant une détérioration des soldes commerciaux.

Alors que, dans le passé, l’Allemagne a tiré profit de son commerce extérieur, en Espagne – comme en France, d’ailleurs –, le commerce extérieur joue un rôle de contrainte. Ce pays influencerait donc plutôt l’euro à la baisse.

La France se situe entre ces deux modèles. Comme l’Allemagne, mais moins bien qu’elle, elle fait en sorte d’ajuster l’évolution des salaires à celle de la productivité ; elle se situe ainsi du côté des bons élèves au regard de l’inflation : le taux d’inflation français est inférieur à la moyenne des pays de la zone euro. Comme l’Espagne, mais pour d’autres raisons, la France souffre d’un commerce extérieur déficitaire.

Ces différents modèles ne se juxtaposent pas de manière neutre : ils se contrarient. Il est clair que, dans la compétition mondiale, l’Allemagne accapare des parts de marchés à l’extérieur de la zone euro, mais aussi dans la zone euro, au détriment de ses partenaires.

Mon propos est essentiellement économique, mais il convient de se demander si cette situation a des conséquences monétaires. La réponse est évidemment positive !

D’abord, comme l’a démontré Robert Mundell, spécialiste des zones monétaires, une union monétaire n’est viable que s’il existe entre les pays qui en sont membres des convergences de points de vue et des solidarités financières. Si l’on peut dire, formellement, que l’Europe a développé des solidarités financières, force est de constater que les points de vue ne convergent pas totalement, comme le traduisent les différentes conceptions de la politique économique.

Quand un pays comprime ses coûts unitaires, comme l’Allemagne, alors qu’un autre s’accommode de leur augmentation, comme l’Espagne, la Banque centrale européenne peut-elle indéfiniment appliquer la même politique sans contrarier l’un ou l’autre ? La différence des politiques économiques appliquées est de nature à rendre inefficace la politique monétaire de la banque centrale. Si ces disparités ne sont pas à l’origine de la crise financière, elles préparent d’autres crises. Nous devons en être conscients : plus la divergence des approches économiques s’accentuera, plus le principe d’une politique monétaire unitaire en Europe sera vain.

Ensuite, les différentes attitudes économiques des États conduisent à des situations financières malsaines ou, à tout le moins, inquiétantes, comme le révèle l’écart des coûts de financement public dans la zone euro. Ainsi, la Grèce, dont la situation financière est particulièrement dégradée, emprunte actuellement à 250 points de base au-dessus du taux imposé à l’Allemagne : lorsque l’Allemagne emprunte au taux de 4 %, la Grèce doit emprunter à 6, 5 %, car l’Allemagne est la référence dans ce domaine. Puisqu’une dévaluation de la monnaie grecque qu’est l’euro n’est pas possible, tout se passe comme si la loi de la parité des pouvoirs d’achat se manifestait par un autre type d’ajustement, le spread, c’est-à-dire l’écart des taux d’intérêt ; excusez l’emploi de ce mot anglais, mais il s’agit d’un terme technique. Cet écart s’accroît au fur et à mesure que nous avançons dans la crise ; s’il se creuse davantage, il est clair qu’un certain nombre de pays, si ce n’est l’Europe entière, connaîtront un enfer financier.

Ce constat n’est pas encourageant, notamment pour les investisseurs étrangers, et je crains que ce phénomène, par nature cumulatif, n’aboutisse à une grave crise monétaire et financière en Europe. En effet, si la solidarité financière peut enrayer les à-coups d’une mauvaise conjoncture économique et monétaire, elle est vouée à l’échec en cas de déséquilibres structurels permanents profonds, surtout si ces déséquilibres touchent plusieurs pays, comme c’est le cas actuellement. Ainsi, l’Irlande et, dans une moindre mesure, l’Italie, le Portugal et l’Espagne partagent la singularité grecque, en empruntant à des taux nettement plus élevés que l’Allemagne et la France, même si celle-ci est un peu moins bien placée que l’Allemagne.

Monsieur le secrétaire d’État, il ne faut pas relâcher l’effort accompli sous la présidence française de l’Union européenne ; l’initiative d’une correction des trajectoires divergentes des pays européens doit être prise : il y va de la survie de l’euro après la crise !

J’en viens aux fractures : outre celles qui se manifestent dans la zone euro, d’autres fractures sont déjà bien visibles et douloureuses dans les pays émergents de l’Europe. C’est peu dire que de constater la débâcle des pays de l’Europe de l’Est qui espèrent bénéficier un jour de l’euro. Sans doute dopés par la perspective d’atteindre le niveau de vie des pays d’Europe occidentale, et peu habitués à gérer une variable monétaire, ces pays ont laissé aller leurs économies financières, en s’imposant notamment des endettements excessifs et, surtout, libellés en devises étrangères.

Ainsi, dans les pays baltes, les dettes des ménages et des entreprises sont libellés à hauteur de 80 % environ en devises, le plus souvent en euros ou en couronnes suédoises. Cet endettement appelle des mesures drastiques de correction : soit une dévaluation, mais celle-ci ne ferait qu’empirer la situation de ces pays endettés en devises, en accroissant le montant de leurs remboursements ; soit l’adoption d’une politique déflationniste, visant à réduire la dépense publique et les salaires. La Lettonie a retenu cette seconde option, en décidant de réduire ses dépenses budgétaires de 30 % ou 40 % ; par ailleurs, on peut s’attendre à voir les salaires baisser dans ce pays.

Une telle politique est-elle soutenable ? À vrai dire, la situation de ces pays a une incidence sur les autres pays d’Europe et sur l’euro, parce que la solidarité financière, qui constitue la base du pacte européen, engage l’Union européenne dans la restauration de l’économie de ces pays qui en font désormais partie ; je pense notamment à la Pologne, à la Hongrie, à la Tchéquie ou à la Roumanie. Fait aggravant, un certain nombre de banques de la zone euro sont fortement engagées dans ces pays – il s’agit essentiellement d’établissements autrichiens et allemands – et un défaut de paiement dans l’un des pays de l’est ne serait pas sans conséquences sur l’ensemble de l’économie européenne et, notamment, sur l’euro.

À cet égard, étant donné l’évolution de la conjoncture dans certains pays, comme les pays baltes, la Hongrie et la Tchéquie, ne doit-on pas considérer que le pire est devant nous ?

Monsieur le secrétaire d’État, sur ce sujet, notamment sur le soutien aux pays de l’est européens, j’aimerais bénéficier de votre expertise ou, en tout cas, de votre point de vue.

Mes chers collègues, mon propos peut sembler pessimiste, mais il se veut au contraire encourageant. L’Europe est une question sérieuse ! Il faut donc oser examiner sans complexe les problèmes qui se posent afin d’essayer de leur trouver des solutions.

Je gage que nous sommes capables de mettre fin au désordre économique européen. À cet égard, je fais confiance au Gouvernement qui, l’année dernière, a su redonner des couleurs à une Europe trop engoncée dans sa production administrative pour se poser les vraies questions.

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